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EAN : 9782070141937
576 pages
Gallimard (09/10/2014)
4.44/5   39 notes
Résumé :
Devant l'ampleur et le caractère inédit des crimes nazis, les historiens butent sur la causalité profonde, qui reste obscure. Ces comportements monstrueux s'appuient pourtant sur des fondements normatifs et un argumentaire juridique qu'il faut prendre au sérieux. C'est ce que fait ici Johann Chapoutot dans un travail majeur qui analyse comment les philosophes, juristes, historiens, médecins ont élaboré les théories qui faisaient de la race le fondement du droit et d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Au nom du sang et de la race… des crimes contre l'humanité

Je commence par un pas de côté. Maxime Rodinson indiquait que le rôle d'une religion en tant qu'idéologie (mobilisatrice ou non) ne peut-être pensé indépendamment des rapports sociaux et de leurs perceptions.

Mais cela ne signifie pas que les constructions intellectuelles des justifications (politiques ou non) des actes soient mécaniquement déterminés par ces mêmes rapports sociaux.

Il convient donc d'analyser dans le détail les supports, pensés/imaginés/inventés ou écrits, des mobilisations et des actions. Qu'en est-il des fondements de la pensée et de l'agir des nazis ?

Dans son introduction, Johann Chapoulot revient sur l'argument de « la légalité de leurs actes », donné au tribunal par des accusés de crimes en 1945, pour contester les accusations. Il parle, entre autres, de « biologie », de « patrimoine des juristes », de « nicht schuldig », de ceux « convaincus d'avoir bien agi ».

Parler de mensonges, de cynisme, de barbarie, d'exceptionnalité allemande, n'explique rien. Déshumaniser « des auteurs du crime nazi », en faire « des étrangers à notre commune humanité » nous exonère de « toute réflexion sur l'homme, l'Europe, la modernité, l'Occident, en somme tous ces lieux que les criminels nazis habitent, dont ils participent et que nous avons en commun avec eux ». Il est certes plus commode l'éluder les questions, de refuser d'éclairer les contextes et de se cacher derrière un mot ou une extériorité fantasmatique.

Des crimes – certains seront considérés comme des crimes contre l'humanité – et des criminels, « Ces gens, qui n'étaient pas fous, ne considéraient pas leurs actes comme des crimes, mais comme une tâche (Aufgabe), une tâche certes pénible, mais nécessaire ». Des actes commis par des êtres humains ne peuvent être de la juridiction des psychiatres ou des zoologues, il convient de les étudier en historien-ne, de les inscrire « dans un récit et dans un projet » répondant à « des angoisses et des espoirs ». Essayer de comprendre (en complément dans un autre contexte, Bernard Lahire : Pour la sociologie. Et pour en finir avec une prétendue « culture de l'excuse ») cet univers mental, « dans lequel les crimes du nazisme prennent place », s'intéresser à « la conception nazie des valeurs et du sens ». L'auteur évoque la masse de documents aujourd'hui disponibles (avec l'ouverture des archives de l'ancien « bloc soviétique »). Il parle d'affronter « les généralisations et l'essentialisation », d'autant, que bien des idées nazies « n'avaient, dans le contexte de l'Allemagne, de l'Europe et de l'Occident à l'époque, rien de bien exceptionnel ».

Le sang, la chair, la « race », la « communauté », la « substance biologique », le « Volk », la normativité nazie, les discours facilitant « l'acte en en créant du moins les conditions de possibilité », ces sources et ces discours qui « exposaient ce qui était normal, disaient ce qui était souhaitable et formulait ce qui était impératif… », la qualité de la substance biologique, l'exclusion de « tout élément allogène ou dégénéré » », la procréation des individus et de « la race elle-même », la sélection et la « survie »…

« Pour faire face à l'incoercible nécessité naturelle – celle de la sélection et d'une lutte à mort entre principes raciaux – il convient de se battre en respectant non les lois des hommes et des faux dieux, mais celles qui sont dictées par le sang ».

Quelques éléments de contexte. « La fin de la Grande Guerre constitue une catastrophe qui réactive des traumatismes anciens » (Il faudrait ajouter, faute de solutions émancipatrices crédibles ou victorieuses – il ne saurait être question de passer sous silence les expériences révolutionnaires et leurs défaites), mémoire réactivée par certains et idéologiquement captée… de la guerre de Trente Ans ou de la Réforme de Luther, la fin de l'empire, le traité de Versailles et l'hyperinflation pour n'en rester qu'à l'Allemagne (« Aucun n'a connu ces gigantesques danses macabres, ces saturnales extravagantes et sans fin où se dévaluaient toutes les valeurs, et pas seulement l'argent » – Sebastian Haffner cité par l'auteur qui évoque aussi les peintures d'Otto Dix, les films de Fritz Lang : Mabuse ou M. le Maudit)

Je choisis de m'attarder sur l'introduction et la conclusion et d'être plus succinct sur les analyses présentées en trois parties : Procréer, Combattre, Régner.

Dans la première partie « Procréer », Johann Chapoulot aborde, entre autres, les mythes de l'origine, les essences auto-attribuées, la tradition völkisch, les discours judéophobes, les « lois de la nature », les regards vers l'Inde ou le Tibet, les hiérarchies propres au nazisme, les expérimentations sur les animaux, le nudisme et le naturisme, l'archéologie juridique et morale, « la prime inspiration et l'instinct de la race », les savoirs primitifs, l'immédiateté germanique, « La race germanique est ontologiquement, biologiquement morale », la morale « nordique », l'immédiateté comme manifestation de l'authenticité, les liens entre « race, communauté, éternité », le droit dérivant de « l'ordre du grand tout », la morale comme « fonction biologique vitale qui régule et irrigue le corps », le rejet de l'« esprit », l'immédiateté de l'animalité contre la raison, le peuple comme terreau de la norme, la rénovation du droit, « La rénovation du droit est donc une révolution, au sens de retour à l'origine », l'acculturation et la dénaturation du « germain » sous l'influence du monothéisme juif et de ses expansions chrétiennes, « le christianisme, en contraignant l'expression immédiate du désir, en dégradant la nature en péché haïssable, crée la perversion », les Juifs comme « peuple de la loi », la Révolution française et les droits des êtres humains, « contre la mathématique de l'égalité, réhabiliter la biologie de la différence », l'« insurrection raciale » contre l'universalisme et le libéralisme politique, le refus de l'égalité, la restauration de ce qui aurait été détruit, la germanité éternelle, l'idée que contrarier la nature c'est tuer la race, la « déjudaïsation » de la vie, la symbolique haïe du paragraphe, « le Führer est élu par la nature », la question de la stérilisation, « l'élimination de toute substance non viable », la politique eugéniste de l'Etat, la prophylaxie eugénique et raciale, la procréation « des purs et des forts », la prohibition de « toute mixtion raciale », la restauration de la nature « dans ses droits imprescriptibles », la révolution national-socialiste, l'insurrection des corps et de l'âme du peuple allemand, le Reich germanique…

Dans la seconde partie, « Combattre », Johann Chapoulot analyse la construction du « combat pour la vie », la guerre permanente contre soi et les autres, la loi naturelle et ses conséquences pour l'« homme », la décision d'assassiner tous les Juifs, la guerre et « le droit ne peut en aucun cas être un recours contre la guerre », le droit déterminé par la race, la lutte pour la vie consacrant le groupe, la question du « meurtre eugénique », la décision de « faire assassiner les malades héréditaires, handicapés physiques et mentaux en premier chef », l'« éthique » du médecin, le sang irrigant le corps du peuple, l'urgence démographique, « Nécessité fait loi, et, de fait, la Not entraine le Notzustand, l'état d'urgence », la communauté de combat, la levée des entraves et l'éradication du christianisme, la vie de « la race nordique », l'antisémitisme et l'anticommunisme, la légitime défense contre l'allogène voulant « la mort de la race nordique », la lutte contre les Volksfremde, les camps de concentration, « Arbeit macht frei1, qui orne les portails d'entrée de nombreux camps, et Jedem das Seine2, qui accueille les détenus de Buchenwald », l'arraisonnement du droit à la nature, le droit pénal comme guerre, la rétroactivité de la loi, les « divisions blindés du droit », les fonctions de la police allemande, les divergences politiques traités comme déviance biologique, « la probabilité comme loi de la loi pénale », l'« infection » induite par l'arrivée d'« immigrants étrangers », la prévention et l'éradication, « Cette rétention de sûreté policière constitue une double peine clairement revendiquée et assumée par les juristes et les policiers », la biologisation du droit, le combat contre l'homosexualité, les femmes appelées « par leur condition biologique, à enfanter », la lutte contre les « asociaux », l'enfermer-castrer-tuer, la volonté d'étouffer « la révolution d'en l'oeuf », la guerre externe et la « conscience de sa responsabilité inconditionnelle, morale », la Wehrmacht et la SS, la guerre à l'est, les Einsatzgruppen…

Je souligne la guerre en Pologne, la volonté de faire disparaitre « le principe polonais », le « principe slave » pour que vivent « l'Allemagne et la germanité », la liquidation des « élites » polonaises et de l'est, « les normes usuelles et coutumières ne valent pas à l'Est, territoire sauvage peuplé de sous-hommes (les slaves) et de microbes (les juifs) », l'est comme « espace d'exception permanent », les massacres de civils considérés comme un non-crime, l'hostilité de l'espace – l'espace contaminée – du territoire soviétique, les combattants soviétiques considérés comme des criminels à traiter comme tels, la logique de réduction en esclavage des populations slaves…

L'auteur parle aussi de « l'importation de la violence sur les théâtres occidentaux », la radicalisation de la violence face aux « exactions de l'ennemi », la substitution de mesures policières secrètes aux procédures judiciaires publiques…

Troisième partie « Régner ». La fin de « l'ordre international westphalien et versaillais », la lecture nazie de l'Histoire (1618, 1792, 1914), l'absurdité juridique internationale, le « mensonge » de la Tchécoslovaquie et « la biologisation et la médicalisation du cas tchèque », les critiques envers la SDN, les allemand-e-s par essence, le rapport de force comme simple fait, le droit comme dol et les tromperies du Traité de Versailles, la justice naturelle contre l'ordre international, l'espace vital, la colonisation de l'Est européen, l'exploitation « sans réserve de la force vitale étrangère pour servir les fins du Reich », la réparation d'une « injustice historico-biologique », l'espace sans lequel « la survie de la race est impossible », le ré-enracinement de la race, la cohérence de la « concentration biologique », les assassinats de masse en Pologne, la réduction souhaitée des populations en esclavage, la race nordique et le « sol et sang », contre la ratio le bios, les discriminations et les subordinations, le millénium comme frontière, le front uni contre l'ennemi de race, le traitement des Fremdvölkische, la gestion et la régulation des esclaves de l'empire, l'inexistence de la légalité et de l'égalité, la frontière et « le lien naturel qui rassemble les membres d'une même race », la citoyenneté biologique, le retournement de la haine et « six mille ans de haine juive », la responsabilité transhistorique, « Cette responsabilité envers le passé de la race est également une responsabilité envers l'avenir », une cruauté déniée en tant que telle, la convocation des « souffrances de la population civile allemande » dans « une guerre voulue par les Juifs » comme argument de justification génocidaire, le danger biologique et son traitement radical, « Bien loin d'être un crime, la Solution finale est la plus haute expression de la moralité naturelle »…

En conclusion, Johann Chapoulot rappelle ce qu'écrivait Adolf Hitler dans Mein Kampf (écrit en 1924-1925 et publié en 1927) : « Notre programme remplace la notion libérale d'individu et le concept marxiste d'humanité par le peuple, un peuple déterminé par son sang et enraciné dans son sol. Voilà une phrase bien simple et lapidaire, mais qui a des conséquences titanesque ». le Volk, le Blut et le Boden.

L'auteur parle, entre autres, de la « vision du monde » nazie et d'une « coupe transversale en étudiant les normes qu'elle secrète et la pensée de la norme qui la soutient », d'une histoire d'essence normative et incessamment racontée, d'« origine de la race » et des « temps heureux de la naissance », de « rendre la race germanique à la prime pureté de sa naissance », de l'Histoire réduite à « la guerre des races », de la haine des Juifs, du Volk donnant sens et existence à l'individu, de la « loi du sang »…

S'il faut « prendre les textes, images et paroles nazis au sérieux », malgré nos réactions de dégout de lecteur/lectrice d'aujourd'hui, il convient de souligner que bien des argumentaires « appartiennent à un fonds d'idées commun, qui n'est ni spécifiquement nazi ni proprement allemand, mais qui est européen et occidental » (des comparaisons seraient à faire avec les argumentaires développés au Japon). Des « idées communes » mais « radicalisées et mise en cohérence », des raisonnements et des concepts « qui se retrouvent, par capillarité, imitation ou citation, partout ».

Des idées pouvant devenir « impératives » et dont l'impact « dépend de contextes particuliers, situés dans des temps et des lieux spécifiques ».

Aussi surprenant que cela puisse paraître, bien des notions et argumentaires employés par les nazis restent familiers, usités sous des formes pas toujours radicalement différentes de nos jours. le plus souvent, la « race » s'est métamorphosée en « culture » ou en « civilisation » (mais des fondamentalistes dans toutes les régions du monde ou des suprématistes blancs étatsuniens parlent toujours de leur « race » comme clivage déterminant), des fondements biologiques du social sont toujours omniprésent, le sang (ou le sperme) demeure central pour l'hérédité revendiquée, les clivages « nationaux » sont essentialisés, l'histoire écrite au prisme de la nation a-historique, des relations sociales souvent naturalisées, etc.

Que dire aussi de certain-e-s intellectuel-le-s, enseignant-e-s en faculté ou non, qui au nom de la « science » déclinent la biologie, l'économie, la médecine, le droit… comme des espaces normatifs « naturels » pour justifier l'inégalité des êtres humains.

Mais il ne suffit pas de regarder du côté des réactionnaires. Les courants pour l'émancipation et de l'égaliberté devraient mieux peser leurs vocabulaires, leurs formules ou leurs énonciations. Leurs assises théoriques laissent place parfois à des essentialisation ou naturalisation de rapports sociaux. (J'ajoute, regarder aussi leurs soutiens – au nom d'un ennemi principal ou d'une contradiction principale – à des formes de pouvoir ou d'action incompatibles avec l'auto-organisation des populations et la dignité des individu-e-s).

Les crimes contre l'humanité commis par les nazis, sauf pour une minorité, sont aujourd'hui condamnés. Mais qu'en est-il des autres génocides, crimes de guerre, crimes contre l'humanité, massacres de masse, féminicides, mise en esclavage, exploitation ? Qu'en est-il des « justifications » des traites esclavagistes, des colonialismes, des guerres, des soutiens aux régimes dictatoriaux, des expérimentations sociales du libéralisme armé, etc. ?

S'il n'y a pas d'exceptionnalité nazie ou allemande, il y a bien eu une utilisation extensive des moyens de l'Etat et des grandes entreprises (dont des firmes privées pour la plus grande satisfaction de leurs dirigeants voire de leurs actionnaires) pour industrialiser la mort, pour mettre en oeuvre des politiques d'extermination.

L'actualité des fondamentalismes (nationaux, culturels, de marché, religieux, etc.), leurs ancrages « idéologiques », leurs utilisations littéralistes de textes anciens, leurs justifications par de fausses évidences, leur refus de contextualisation et d'historicisation, leur déni des contradictions internes aux formations sociales, l'essentialisation ou la naturalisation de relations concernant des êtres humains, leurs inventions/cristallisations visant à transcender justement ces rapports sociaux… nous obligent à comprendre ce que fut cette « loi du sang » et ce que sont les idées vecteurs de possible – lorsque les contextes le permettent – de ce que nous espérons toujours impossibles donc impensables jusqu'au réveil après la catastrophe. Les composts sociaux (matériels ou idéels) sont riches de nouvelles formes de fascisme.

Le ventre de la bête reste encore fécond…

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Comment des hommes, sains d'esprit pour leur immense majorité et parfois particulièrement cultivés ont-ils pu commettre et justifier (y compris après la défaite allemande) des crimes d'une atrocité et d'une ampleur inégalée, accepter d'aussi énormes sacrifices et renoncements pour une idéologie ? La question est souvent posée vis à vis du nazisme mais les réponses sont généralement peu convaincantes : pathologisation de quelques cadres dirigeants de l'époque voire du peuple allemand dans son intégralité ou alors on assène quelques des explications simplistes qui ne me semblent pas se suffire à elles-mêmes : "la crise économique", "l'effet moutonnier", "le populisme" etc.


Ici l'historien, Johann Chapoutot nous donne les clefs pour comprendre le national-socialisme et son univers mental (ses normes, son imaginaire) en se détachant des lieux communs. Pour cela, sa règle sera de prendre au sérieux cette idéologie que l'on se complait à dénier ou à caricaturer comme si c'était là le moyen le plus sûr de l'exorciser.
Alors, notre historien se retrousse les manches et dissèque les textes de lois, les annales, les livres, les articles, les déclarations, les correspondances des cadres du parti, des dirigeant, des idéologues, des juristes et intellectuels acquis à sa cause. Partant du principe que si les hommes de terrains ne sont pas des théoriciens, ils baignent dans un univers psychologique, un cadre intellectuel, qui leur permettent de hiérarchiser leurs objectifs et valeurs et de justifier les actes qui nous apparaissent comme les plus ignobles.


Il est toujours périlleux de retranscrire en quelques lignes un essai qui s'étale sur un peu plus de 500 pages. On est cependant frappé par le fait de méconnaitre beaucoup d'aspects liés à cette idéologie pourtant omniprésente dans notre espace culturel (films, livres, séries etc.) et qui a une place unique dans notre esprit en Occident (le fameux "point Godwin" en est une illustration flagrante parmi bien d'autres).


La plupart des idées véhiculées n'ont pourtant rien d'originales et sont assez fréquentes sinon majoritaires dans l'Europe de la première moitié du XXème siècle : Darwinisme social, rejet des élites intellectuelles traditionnelles, rejet du droit, hiérarchie raciale, sentiment de déclin et de perte des valeurs morales etc.
Quelques points plus originaux sont à signaler : tout d'abord le rapport à la nature (du moins à une certaine idée de la nature dure et "darwinienne") qui est extrêmement prédominant et sur lequel l'auteur insiste. le rejet du christianisme et des valeurs "orientales" et "antinaturelles" liées à cette religion est également étudié de près. L'articulation et mise en cohérence de ces éléments (dont la constante référence aux lois implacables de la nature) ainsi que le sentiment d'urgence, la dramatisation des enjeux va permettre la radicalité du discours puis la radicalité des actes et notamment les exactions commises sur les populations civiles (et plus particulièrement à l'Est) et les groupes considérés comme « nuisibles ».


Johann Chapoutot a construit avec La loi du sang : Penser et agir en nazi un livre édifiant et intéressant. S'il n'évite pas quelques redondances et qu'un sujet aussi sinistre sur 500 pages peut en rebuter certains, j'ai trouvé le livre globalement fluide et il se lit bien plus facilement qu'on ne pourrait le penser. L'auteur parvient à faire comprendre les enjeux complexes et les nuances liés à cette période sans pour autant perdre le lecteur profane. Un livre que je recommande aux amateurs d'histoire. Vous pouvez également consulter les nombreuses émissions radios réalisés sur France Culture avec cet auteur et accessibles depuis leur site.
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Comment expliquer la force de conviction massive des idées nazies dans l'Allemagne des années 1920-1930 et leur persistance éventuelle dans le monde d'après le nazisme ? En fait, nombre d'entre elles circulaient déjà bien avant l'époque de la prise du pouvoir par Hitler. Ainsi l'eugénisme avait-il ses chauds partisans dans les pays scandinaves aussi bien qu'en France, sans parler de l'exploitation coloniale, de l'antisémitisme ni de l'obsession de la pureté ethnique... L'oeuvre du nazisme fut donc plus leur mise en cohérence, voire en réseau, et surtout leur radicalisation - notamment à la faveur de la guerre - que la création d'une idéologie entièrement nouvelle.
Ce livre montre que l'idéologie nazie offrait bien une vision structurée du monde, capable d'envahir les consciences et séduire aussi bien le tout-venant que des penseurs aussi illustres que le juriste Carl Schmitt et le philosophe Martin Heidegger.
Le nazisme renferme une agressivité obsédante Johann Chapoutot en reconstitue la conception du monde « bionomique››, c'est-à- dire exclusivement centrée sur la préservation du sang « nordique germanique ››. Les juristes rivalisèrent de dialectique et d'efforts pour s'adapter à une ère où le droit du peuple (des Allemands) devait remplacer la Loi universelle (notion imprégnée de judéo-christianisme et de philosophie des Lumières). Dans l'Allemagne hitlérienne, une agressivité obsédante se déclenchait contre tout ce qui menaçait l'unité du peuple, y compris la « métaphysique" qui menaçait la fusion originelle de la nature et de l'esprit, dont la race pure portait au contraire le témoignage. le philosophe Heidegger, par ailleurs membre influent du parti nazi, a conçu son système métaphysique autour de cette idée de pureté essentiellement liée à la nature.
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Cet ouvrage de référence est une mine d'or, une démonstration implacable qui m'a totalement fait changé de regard sur le IIIe Reich. Cela s'explique par le fait que je n'ai pas étudié cette période à l'université mais uniquement lors des cours d'histoire, de quelques musées (le mémorial de Caen notamment), films (La Chute, opération Walkyrie...) et documentaires.

Mais, finalement, on ne s'intéresse jamais à l'envers du décor : aux bourreaux, à ce qui explique leurs actions. Face aux horreurs de ce régime, il est plus confortable de se réfugier derrière l'idée que les nazis étaient tous des fous, des psychopathes, ou des hommes agissant mécaniquement sous la contrainte autoritaire, contre leur gré ou sans discernement.

Mais la vérité est ailleurs, le parti nazi a su gagner des élections et mobiliser des foules d'allemands grâce à un projet enthousiaste et une idéologie d'une certaine "cohérence". C'est cette idéologie que Johann Chapoutot relate avec une plume limpide, efficace, et des exemples pertinents. On en apprend sur le rapport des nazis aux animaux (pourquoi tant de végétariens), aux religions (étaient ils païens ?), à l'histoire (les passages sur leur réécriture de l'Antiquité et leur haine de Richelieu sont particulièrement intéressants), au darwinisme (dont ils veulent appliquer les "lois" aux "races humaines") etc... Plus généralement, l'auteur nous explique bien que les Nazi adorent la hiérarchie, la domination du fort sur le faible, et accusent les Juifs de dénaturer l'humanité à cause de trois "idéologies égalitaires" qu'ils auraient produites : le christianisme, la démocratie libérale et le communisme.

Je recommande donc particulièrement ce livre ainsi que les conférences de Johann Chapoutot. Elles sont à l'image de son ouvrage : très claires, bien expliquées, et passionnantes.
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Une précieuse synthèse de l'idéologie nationale-socialiste dans ses sources diverses.
Elle fait apparaître sa spécificité radicale, et notamment celle de son racisme et de son anti-semitisme, basés sur la négation de la nature humaine et de la spécificité de l'homme. L'homme étant conçu comme un simple"animal humain" pour reprendre une terminologie contemporaine, il n'existe aucune différence de nature au sein de l'échelle des êtres, mais seulement des différences de degré. Dès lors il est logique d'introduire de pareilles différences de degrés dans l'espèce humaine, qui se traduiront en différences de valeur et de droits.
De même, à l'intérieur de chaque race, y compris et surtout la race supérieure germanique qu'il convient de protéger, on établit une hiérarchie en discriminant ceux dont la vie ne vaut pas la peine d'être vécue : malades, aliénés, déficients mentaux, handicapés, qu'il n'est pas souhaitable de laisser survivre. On débouche ainsi sur l'eugénisme et l'euthanasie afin de protéger la "race"; à la limite, la vie de ces "sous-hommes" a moins de valeur que celle d'un animal, que par ailleurs la législation nationale-socialiste protège à un degré particulièrement élevé.
Les Juifs ont une place particulière, car ils se situent en dehors de la nature, étant des êtres de pure culture, qu'il convient de détruire à titre préventif (contrairement aux hommes de races inférieures qui ne seront tués que pour des raisons objectives et non par principe.
On voit ici les conséquences logiques de la négation de la spécificité de l'homme, qu'on retrouve malheureusement aujourd'hui chez les mouvements animalistes, dont les plus extrémistes tirent rigoureusement les conséquences les plus extrêmes, et qui sont potentiellement aussi dangereux que les racismes contemporains. A ce sujet, on lira utilement"lettre ouverte aux mangeurs de viande qui souhaitent le rester" de Paul Ariès, ouvrage qui va plus loin que son titre un peu réducteur
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critiques presse (2)
NonFiction
09 février 2015
L’ouvrage, fondé sur une très solide culture juridique, grecque et latine, permet de comprendre que le nazisme n’était pas simplement l’expression de la force et du fait contre le droit ; il se pensait comme une loi, une loi de la vie, une forme de biocratie au service de la race, bien plus légitime que celle des puissances occidentales. Il est trop simple de rejeter ces idées extrémistes dans l’inhumain : elles trouvèrent, à l’époque, un public certain.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Lexpress
12 novembre 2014
L'historien Johann Chapoutot ausculte l'univers culturel et mental des concepteurs du IIIe Reich. Une plongée vertigineuse dans un délire rationnel.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Lors d'un Referendlager, un camp d'été de stagiaires avocats et magistrats tenu à Jüterborg, près de Potsdam, une potence est dressée pour pendre haut et court un malheureux "§" de carton. L'exécution a même droit aux honneurs des actualités cinématographiques. La Deulig-Tonwoche du 2 aout 1933 consacre en effet au camp de Jüterborg un reportage qui explicite le sens du camp et du simulacre d'exécution. Après que le commentateur eût expliqué que "l'éducation à la vie en communauté" était une des fins de l'Etat nouveau, le Staatsekretär Freiseler explique que, pour la première fois, le ministre de la justice, son supérieur Hans Kerrl, a eu l'idée d'"empêcher les candidats à un examen de réviser" seuls dans leur coin. Au lieu de passer leur été à s'user les yeux sur des codes, les voilà "en pleine nature", vivant en "communauté, en camarades", et apprenant à être des "soldats du national-socialisme et l'échine du nouvel Etat" au lieu de travailler égoïstement à leur réussite matérielle personnelle.
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un fonds d’idées commun, qui n’est ni spécifiquement nazi ni proprement allemand, mais qui est européen et occidental
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Ces gens, qui n’étaient pas fous, ne considéraient pas leurs actes comme des crimes, mais comme une tâche (Aufgabe), une tâche certes pénible, mais nécessaire
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Aucun n’a connu ces gigantesques danses macabres, ces saturnales extravagantes et sans fin où se dévaluaient toutes les valeurs, et pas seulement l’argent
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Cette rétention de sûreté policière constitue une double peine clairement revendiquée et assumée par les juristes et les policiers
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Videos de Johann Chapoutot (24) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Johann Chapoutot
Table ronde, carte blanche aux Presses universitaires de Lyon Modération : Julien THÉRY, directeur scientifique des Presses universitaires de Lyon Avec Johann CHAPOUTOT, professeur à Sorbonne Université, Éric VUILLARD, écrivain, lauréat du Prix Goncourt 2017
À l'occasion de la réédition des écrits politico-théologiques majeurs de Thomas Müntzer (1490-1525) dans une magnifique traduction signée Joël Lefebvre, les Presses universitaires de Lyon invitent à découvrir ce penseur méconnu en France, alors qu'il fut l'un des principaux artisans de la Réforme protestante. Prédicateur de talent, partisan de Luther de la première heure, Müntzer prend toutefois rapidement ses distances et assume des positions bien plus radicales : il prône la fin de l'oppression culturelle entretenue par les doctes et les clercs, la fin de l'oppression politique instituée par les princes, la fin de l'exploitation économique dont profitent les seigneurs. Il rejoint bientôt un mouvement de révolte, qui donnera naissance à la “guerre des Paysans”, et devient l'un des chefs de la rébellion, appelant à une révolution à la fois spirituelle et matérielle. Rapidement capturé, il est torturé puis exécuté. À travers la traduction de sept textes fondateurs et d'une vingtaine de lettres, Joël Lefebvre met en lumière l'intérêt à la fois philosophique, historique et linguistique de l'oeuvre de Thomas Müntzer. Les préfaciers de cet ouvrage, l'historien spécialiste de l'Allemagne Johann Chapoutot et l'écrivain Éric Vuillard, auteur d'un livre récent inspiré par l'action de Müntzer, évoqueront la portée de ses écrits dans une discussion animée par Julien Théry, directeur scientifique des Presses universitaires de Lyon et historien des relations entre religion et politique.
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