Ce que je voulais vous dire aujourd'hui/
Jacques Chardonne (1884-1968)
Écrivain, critique et essayiste,
Jacques Chardonne a écrit des milliers de lettres à des personnes aussi diverses que
Marcel Arland,
Jean-Louis Bory,
Kléber Haedens,
François Nourissier,
Michel Déon… etc. Publié en 1970, ce recueil confirme un étonnant Chardonne, bouillant, contradictoire, facétieux, parfois féroce, anarchiste tendre, épicurien désespéré, et surtout un homme libre, réputé difficile à vivre. Considéré comme le colonel honoraire des Hussards, ce groupe d'écrivains dont la camaraderie illumina toute la fin de sa vie, Chardonne fut un artisan solitaire, pourfendeur d'adjectifs et avare de mots pour s'exprimer. Son goût aristocratique de la perfection l'a rendu souvent particulièrement acerbe et ses commentaires au vitriol sont légions. On découvre aussi dans ses lettres une certaine sagesse provinciale se fondant sur des traditions séculaires. Il a été considére dans son oeuvre romanesque l'analyste du couple, mais en fait dans les lettres ici présentées le sujet n'est que peu abordé. Moraliste plus que romancier, Chardonne laisse apparaître dans ses lettres qu'il est un styliste à la recherche de la perfection dans le dépouillement et l'harmonie.
Dans ce recueil, outre qu'il se plaît à être extrêmement critique à l'égard d'à peu près tout le monde, Chardonne peut être iconoclaste et écrit : « Ce sont les grands principes autour desquels on s'est battu qui ont ruiné la France. »
Et voici un florilège des phrases choc de ces 184 pages de missives :
« le Français a pour principale distraction de parler, et surtout de parler politique. Sur ces questions, il est l'homme le plus ignorant de la terre. »
« Les écrivains : pour les prix littéraires, je ne leur reproche rien. Ils font des heureux. Je regrette seulement qu'ils les rendent ridicules…Le Français, surtout s'il est écrivain, a perdu tout à fait la notion de décence. »
« Un peuple qui s'affaiblit devient perméable. Bien sûr les Américains et les Russes ont de grandes qualités ; nous ne prenons que leurs défauts. »
« Les écrivains : il y a Valéry,
Montherlant, certains ajoutent Chardonne, je veux bien. le reste ne vaut pas cher, je le crains…Il ne faut pas prendre les écrivains au sérieux. Presque tous, de sottes gens ! » Sincère ou moqueur M. Chardonne ? Allez savoir !
« La grandeur de l'espérance est dans le doute qu'elle contient. » Une très belle phrase.
« Accepter tout, c'est le miracle de l'amour. Il est cela ou il n'est rien. » Sublime !
« Les
femmes qui ont à se plaindre de moi sont mes préférées. Elles souffrent de la considération que j'ai pour elles. Elles sont en petit nombre : deux je crois ! »
Lucides ces lignes écrites en 1960 : « Avant deux siècles, les Chinois couvrirons le monde. Ce sera la grande nuit. »
« Il n'y a que l'écrivain qui ait le droit d'écrire n'importe quoi, de publier mille sottises, de se tromper toute sa vie, sans risques ; et puis il entre à l'Académie. »
Les
femmes : « …elles m'ont toujours intéressé, souvent agacé, jamais gêné ; l'amour fou, je l'ignore ; aucune femme ne m'a quitté ; j'étais parti avant. »
La mort : « La mort me sera douce ; elle est attendue dans la paix. »
Les gens : « La médiocrité des gens me rend malade ; je ne puis les supporter ; il y a ceux qui me plaisent ; très peu… »
« On peut tuer son ennemi, mais il ne faut pas lui faire peur. »
« Quand on se plaint de tout, il ne vous arrive rien de bon. »
« Un ennemi c'est un homme qui pense à vous tout le temps. »
Sur le monde actuel : « Ce qui se fait dans le monde, aujourd'hui, nous échappe entièrement ; aucun jugement n'a le moindre sens ; cultivez donc votre jardin. »
« La confession, cela me choque beaucoup. Il faut porter tout le poids de ses fautes. » Chardonne était protestant.
En bref, Chardonne talentueux est concis et possède un art inouï de l'apophtegme ; il agacera les uns et amusera les autres ; quoiqu'il en soit, il reste un artiste qui ravira les amateurs de la belle langue française. C'est pourquoi Mauriac fut un des rares écrivains qui trouva grâce à ses yeux. Camus, il exécra ! Pascal, il le considéra comme vulgaire ! Car il croyait aux miracles.
Un recueil étonnant.