Six heures du soir,19 germinal, an II. Une jeune femme, Elisabeth Coste, est décapitée, ainsi que trois autres accusés, à Montpellier, sur la place du Peyrou, devenue place de la Révolution. Leur crime? Avoir fait cuire des galettes, pourtant plus économiques et nourrissantes que le pain, qui manque cruellement.
Ce roman de
Véronique Chouraqui "
D'un rouge incomparable" doit son titre au rouge écarlate dont seuls les teinturiers de la rue de la Draperie Rouge de Montpellier avaient le secret, couleur obtenue par la graine de cochenille, petit fruit poussant sur les chênes kermès, dans la garrigue. Mais ce rouge n'est-il pas, aussi, celui du sang que fait couler la guillotine, d'abord à Paris, puis en province?
Un récit riche, et propre à satisfaire un très large public.
Il plaira à ceux qui aiment les tendres et courageuses figures féminines, à ceux qui cherchent de belles histoires d'amour, car, au fil des pages, s'entrecroisent et se déroulent non seulement l'aventure d'Elisabeth et de Joseph, dont l'amour n'a pu se réaliser à cause des barrières sociales, mais aussi celle de la petite Flore, victime du cynique Azéma, celle de Catherine, la jeune servante, ardente, avide de s'instruire et de voir évoluer la condition des femmes, et bien d'autres...
Il plaira à ceux qui cherchent action, suspense et rebondissements: l'époque y est, hélas, propice.
Il plaira à ceux qui s'intéressent à l'histoire locale. Comme les événements s'étendent sur plusieurs années, on se trouve d'abord dans un Montpellier relativement calme, qui n'a même pas les outils permettant de faire fonctionner la guillotine. Puis, la répression se fait de plus en plus féroce, les prêtres réfractaires sont déportés ou doivent s'enfuir, leurs familles sont inquiétées. On apprend l'écrasement sanglant du camp contre-révolutionnaire de Jalès, en Ardèche. Bientôt les Espagnols sont aux portes de la ville, Montpellier est en état de détresse et de famine, le Jardin des Plantes est saccagé, les manuscrits, livres et gravures de la bibliothèque brûlés, le théâtre devient la sinistre scène de parodies de jugements, dont l'issue sanglante est déjà décidée. En arrière- fond, on entend le bruit et la fureur de la capitale, on apprend la mort sur l'échafaud d'Olympe de Gouges, les exécutions, les règlements de compte sous couvert de patriotisme.
Et c'est là le plus grand intérêt de l'ouvrage, le terrible tableau de ces années noires, où employer par hasard le mot "royaume" est de la provocation, où des ascensions spectaculaires se font au prix des pires infamies, où les dénonciations sont quotidiennes, où les juges ne sont que des pantins sinistres soumis au pouvoir, tandis que ceux qui, comme Joseph Durand, croyaient à la Révolution voient leurs idéaux bafoués.
Le style de
Véronique Chouraqui est aisé, le ton varié, la documentation - il s'agit d'un fait réel - extrêmement solide. On regrette néanmoins que l'instruction de l'affaire des galettes et le procès, malgré l'intérêt qu'ils présentent, traînent un peu en longueur...Mais on ne peut que féliciter les Editions TDO et l'auteur pour cet ouvrage riche, prenant et accessible à tous les lecteurs, et je ne peux que remercier Babelio et Masse Critique pour m'avoir permis de le connaître.