Il y a quelques semaines, j'ai lu
L'examen, de
Julio Cortazar, qui racontait les déambulations de Juan et Carla dans les rues d'un Buenos Aires des années 50, au détriment de leur études la veille d'un examen. Un de leur camarade d'université y était mentionné à quelques reprises, mais il s'était montré plus sage : Andres. Resté chez lui à étudier, à quoi pouvait-il bien penser? Eh bien, ses pensées, il les a couchées sur papier. En effet, dans Journal d'Andres Fava, ce court roman, presque une nouvelle, nous avons droit à son point de vue en long et en large sur des sujets variés.
Si l'on retrouve la langue bien pendue d'Andres, ses idées, sa personnalité (tels que l'on pouvait les deviner dans
L'examen), on peut reconnaitre également celles
Julio Cortazar. Les deux plumes semblent se fusionner. le journal de Fava (bien qu'il n'y ait aucune mention de date, il a peut-être été écrit en une seule soirée, qui sait?) n'est pas le compte rendu d'une tranche de vie anodine mais plutôt une litanie, une vision du monde à laquelle se mêlent des considérations de toutes sortes.
Effectivement, on y retrouve une grande quantité de
poèmes, du cru de l'auteur ou empruntés à des grands artistes (
Rimbaud,
Cendrars, Laforgue…). D'ailleurs, Fava mentionne à droite et à gauche plusieurs auteurs qu'il apprécie. « Je végète, je vais et je viens, je me réfugie dans la lecture. Eliot, Chandler, Colette, Priestley, Connolly… » (p. 11). Et d'autres encore :
Gide, Lawrence, Greene, etc. La
musique (Gaillaume de
Machaut,
Alban Berg, entre autres, et des plus contemporains comme Bing Crosby) ainsi que le théâtre et le cinéma (
Laurence Olivier) ne sont pas en reste.
Toutefois, d'autres artistes ne rencontrent pas son approbation. Certaines lectures laissent Fava en plan. Par exemple,
Demian, de
Hermann Hesse. Il juge beaucoup. Quand un personnage ou une intrigue lui semble insipide (ses mots, pas les miens), il n'y va pas par quatre chemins. Fava est un type très catégorique : il aime ou il n'aime pas. Ainsi,
Demian, « se révèle être la créature la plus stupide genre superman » (p. 29) et « Sidney Bechet est nettement corny ». (p. 33). Et vlan! Mais il n'a pas que des opinions très tranchées. Il réfléchit, propose des théories, les explique. Par exemple, « La poésie veut être métaphysique et elle y parvient parfois avec Lamartine et Valéry. » (p. 39)
En effet, il s'arrête au style, au vocabulaire, puis replace un auteur dans son contexte, parle du désir de création, etc. Puis, tout d'un coup, ses pensées s'envolent vers des sujets aussi saugrenus que la décadence romaine vue à travers les yeux d'un moine perdu dans une province limitrophe. Tout cela peut sembler désordonné, incohérent – et ce l'est – mais c'est aussi cela la jeunesse. Un jeune esprit curieux (abreuvé par plusieurs maitres dans des disciplines aussi variées que la littérature, la philosophie, l'histoire et la politique) mais encore en formation, qui se cherche encore.
Qui, parmi les lecteurs, n'a pas déjà passer une nuit blanche (ou une très longue soirée) à deviser sur le sort du monde? Ou, à plus petite échelle, à se laisser aller en palabres, croyant tout savoir, en ayant l'impression que son opinion vaut l'or? Qui, le temps d'un échange entre amis, ne s'est pas cru critique littéraire ou politologue?
Bref, Journal d'Andres Fava, tout comme
L'examen, m'a ramené plusieurs années en arrière où je faisais comme Fava, je donnais mon opinions sur (presque) tout et rien, tentant par le fait même d'apprivoiser, de découvrir le monde. Ces deux romans, rédigés en même temps, ne furent publiés qu'en 1984, peu de temps avant la mort de
Cortazar. Elles permettent de découvrir un auteur moins expérimenté mais peut-être plus franc. Dans tous les cas, elles permettent de voir l'évolution de son style.