Voici une sélection de quatre contes d'
Alphonse Daudet prélevés de son recueil fameux, les
Lettres de Mon Moulin, et qui donnent une idée de la diversité de l'ouvrage dont ils sont issus. Tantôt graves et poignants, tantôt légers et drôles :
1) La Mule du Pape est une nouvelle, un conte, une légende, je ne sais trop, assez loufoque au demeurant, témoignant de l'affection du pontife pour sa monture et de la mémoire du quadrupède envers ceux qui lui ont fait quelques misères. Cette mule du pape n'est pas encore tout à fait
la Jument Verte, mais l'on s'en approche, et je ne serais pas rigoureusement surprise que
Marcel Aymé s'en soit partiellement inspirée pour son roman (avec l'Âne d'Or d'
Apulée).
Outre la reviviscence et la réincarnation de l'Avignon papal, la morale de cette histoire est peut-être — sans garantie — qu'il ne faut jamais sous-estimer les capacités de mémoire de ceux envers lesquels on s'est rendu fautif de quelques exactions, pas même de ceux qui ont l'air de braves bêtes.
2)
L'Arlésienne est presque un conte philosophique. Il pose la question, qui n'est d'ailleurs pas une question mais plutôt un problème ou une constatation, qui de tous temps et en tous lieux, a remué, remue et remuera les coeurs, des jeunes et des moins jeunes. Celle du sentiment amoureux sans réciprocité, qui fait faire des folies aux hommes comme aux femmes, et qui fait verser des larmes, que rien ne saurait sécher, jamais.
3) L'Élixir du Révérend Père Gaucher est encore un conte cocasse qui nous relate la lutte entre le spirituel et le spiritueux. Conte d'une étonnante modernité sur les nécessités économiques dont les voies sont parfois presque aussi impénétrables que celles du Seigneur.
Alphonse Daudet nous présente donc une confrérie religieuse, les Prémontrés ou Pères Blancs, sombrés dans un dénuement tel que chapelle et église tombent en lambeaux et que les garde-robes sont en loques.
Certains pensent déjà à quitter la confrérie quand l'un des frères, à l'âme épaisse et à la foi paysanne, en charge des deux malheureuses vaches étiques qui restent à l'ordre, s'en vient proposer ses services. le frère Gaucher se dit capable de confectionner un élixir à partir des plantes de la région dont il a connu jadis le secret auprès de sa vieille tante mal embouchée. Chose dite, chose faite, les Pères Blancs se mettent tous à la besogne et l'élixir connaît instantanément un fulgurant succès alentour.
À tel point que le frère Gaucher, en tant que sauveur de l'ordre, se voit appeler désormais " révérend père " Gaucher. L'ennui, c'est que quand il élabore son divin breuvage, le révérend père a besoin de goûter, et même une fâcheuse tendance à bien, bien goûter, de sorte que, sous l'emprise de l'élixir, il se met à débiter les chansons paillardes que psalmodiait sa vieille tante lorsqu'elle préparait elle-même la liqueur. Acceptera-t-on cette entorse aux bonnes moeurs prêchées par les Pères Blancs ?...
4)
le Secret de Maître Cornille est le récit poignant d'un meunier provençal qui se bat pour sauver les apparences et lutter contre l'invasion du modernisme qui crée une concurrence insurmontable. Une thématique très forte et très sensible, où pourraient se retrouver tous ceux qui ont vu l'emploi de leur région dévasté par une concurrence déloyale qui grignote peu à peu toutes les entreprises, petites ou grosses, sacrifiées au Dieu rentabilité.
Un bon album en somme, peut-être pas exceptionnel, mais très plaisant, du moins c'est mon avis de mule, pas même papale, c'est-à-dire, pas grand-chose.