Un livre fort bien illustré, et combien agréable à avoir en main. A ceux qui croient notre société hypermoderne libérée du sacré, l'auteur répond par l'analyse patiente de la salle de tribunal, du cimetière, du crématorium, des institutions, de la salle de spectacle, des jeux olympiques, des périmètres, des symboles de la République... Il décortique pas à pas, et aiguise un peu le regard. C'est séparer avec intelligence le sacré du religieux. C'est montrer que le sacré procède de la culture, que le sacrifice n'est pas spécifiquement religieux, mais simplement humain. "Enlever au sacré sa majuscule et ses mystères pour lui remettre les pieds sur terre : c'est le propos de cette enquête où l'oeil et l'esprit s'interpellent gaiement" (quatrième de couverture). L'entreprise frôle le sacrilège si elle permet un peu de jeter un coup d'oeil derrière les voiles de pudeur dont se dote le sacré.
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En deux actes richement illustrés, l'un géographique allant « par monts et par vaux », l'autre, plus historique, cheminant « par chroniques et journaux », Régis Debray inventorie les grands traits du sacré.
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Qui sacralise rêve au fond d'une fin de l'Histoire. Qui désacralise remet en marche la fabrique de l'humain. Toute sacralité trop haut perchée peut être dite intolérable parce que intolérante. Exclut le débat, monte aux extrêmes et dérobe au jugement critique les critères du bien et du mal. Quand ce n'est pas l'excuse absolutoire de l'ignoble, c'est l'alibi de l'arbitraire et l'abri du réactionnaire.
« Nos lieux de justice pénale, protégés à la fois par le gendarme et leur aplomb, n’ont pas besoin d’une Bible posée sur une table, comme aux Etats-Unis, ni d’un crucifix accroché au mur, comme en Italie, pour intimer silence et respect. L’ordonnancement théâtral du prétoire nous signifie d’avoir à bien nous tenir une fois franchie la double porte capitonnée pour prendre place dans la salle d’assises ou la chambre d’appel, où n’importe qui ne s’installe pas n’importe où, comme dans une église. »
On a coutume d’assimiler l’expérience du sacré au vertige de l’infini, luxe gracieusement offert au bipède par la voûte céleste ou l’Océan sans rivage. Tel serait, selon Romain Rolland, « le sentiment océanique de la vie ». […] Comment prendre la mesure de l’immensité si on ne la cadre pas (et plus serré est le cadrage, plus pressant est l’appel) ? Comment rendre la lumière plus étincelante qu’en plongeant dans la pénombre ? Pour qu’un ici s’ouvre sur un par-delà, la hauteur du plafond compte moins que le mur d’enceinte. C’est enchasser qui importe, pour la raison qu’aucun ensemble ne peut se clore avec les seuls éléments de cet ensemble (axiome d’incomplétude). D’où vient que seule une délimitation physique peut faire advenir de l’illimité dans les têtes.
Un constat. Dans les hôpitaux de l’Assistance publique, la nouvelle salle polyvalente partagée par plusieurs aumôneries, ce local aseptisé et pluriconfessionnel semblable au « point prière » des aéroports, se satisfait personne. […] Le sacré grand public est bas de gamme. La recherche de l’emblème universel et universellement respecté indique qu’il semble en aller de même sur la planète. Soft est le sacré mondial, hard le local, ethnique ou religieux. L’échelle des émotions est à l’inverse du rayon d’action : plus c’est large, moins c’est fort.
L’Occident moderne sacralisait le héros. Qui pouvait se faire passer pour tel devenait intouchable. (Et il y eut des héros léonins. Toutes les croix de guerre n’étaient pas blanc-bleu.
Aujourd’hui, il sacralise les victimes. Que se fait passer pour tel est tiré d’affaires. (Et il y a des victimes abusives. Tous les enfants, toutes les personnes agressées ne disent pas la vérité).
Claude Grange : "Je lance un appel, aux soignants, de rester dans le prendre soin"