Agnes Desarthe:
le château des Rentiers: une perle de lecture.
A quoi ça tient la rencontre avec un livre? Je ne parle pas bien sûr d'un livre choisi , d'un auteur reconnu dont on attend avec impatience le dernier, l'ultime ouvrage, mais bien du livre inattendu, celui que l'on n'avait pas prévu de lire, la rencontre non programmée? Quelle main invisible a pu nous mettre sur la piste, et faire en sorte qu'il y avait finalement urgence à lire CE livre là , et comprendre que c'était bien LE moment pour faire cette rencontre? Peut on imaginer avoir été choisi par un livre? C'est la réflexion que je me suis faite en découvrant “
le Château des Rentiers”. , le nouveau livre d'
Agnes Desarthe.
Je ne la connaissais pas, ou fort peu , j'avais du l'entrevoir une fois chez
François Busnel. Je n'en avais pas été marqué. Et cette fois, pleine page de pub dans Lire Magazine, un visage grave et souriant, des traits attirants, deux lignes d'alerte sur sa réflexion sur le Vieillissement. Ok, tope là! J'ai senti. J'ai craqué. Et j'ai eu raison.
Le Château des Rentiers. En fait de château un appartement parisien dans la rue des Rentiers, acheté sur plan , par ses grands parents, juifs russes immigrés en 1930, vraie grand mère et grand père de substitution .
Tout part de là, l'autrice a désormais l'âge de sa grand mère, aujourd'hui décédée, lorsque l'appartement fut acquis. Rapidement rejoints par des couples d'amis, de même origine ou confession, au point de faire une petite communauté de vie. Assez pour faire un livre? Et bien oui.
Agnès Desarthe , égrène anecdotes personnelles, souvenirs, et une splendide et émouvante méditation sur le temps qui passe et sur le vieillissement. Au point, à son tour, de fantasmer la création d'un phalanstère (cher au philosophe utopiste
Charles Fourier ) où se retrouveraient, vieux et moins vieux, sur un mode de vie convivial, et libertaire. Comment? Elle a un plan en poche!
La première chose qui marque dans son récit, est son extrême délicatesse. Je me suis surpris en prenant le livre, en l'ouvrant, en tournant les pages , en le reposant, à le faire avec une infinie précaution, comme si j'avais peur d'en froisser les pages, de voir s'effacer l'encre de ses mots. On lit ce livre écrit avec pudeur, comme si l'on avançait les lèvres pour boire un Darjeeling fumant dans une tasse à thé en porcelaine. Pas un mot de trop.
Avoir commencé sa carrière par des livres pour enfants donne, sans doute à l'auteur cette légitimité à écrire sur un sujet profond, sans la moindre scorie, ni la plus infime redondance.
Pour autant, le livre s'il est grave n'est jamais triste. Il est même souvent gai,(si si!!)
empli d'anecdotes, comme cette aphasie brusque et transitoire, en réponse à la colère d'une lectrice âgée à la fin d'une conférence sur l'âge, sur les camps, saisissant l'assemblée et l'auteur: “vous n'avez pas le droit d'en parler!”
“L'expérience concentrationnaire est incommunicable. C'est une histoire racontée à des sourds par des muets.”
… Ou la recette du gâteau aux noix de sa grand-mère… si savoureusement racontée .
Les images que le livre suscite en moi: les peintures de
Fabienne Verdier qui d'un magistral coup de pinceau sait capter et calligraphier l'impermanence, un haïku de
Basho, une perle de rosée matinale sur un brin d'herbe, qui par sauts brefs, successifs, plonge dans le vide.
J'aimerais savoir comment
Agnès Desarthe écrit, je ne la vois pas travailler laborieusement son texte, mais bien plutôt, une fois prêt dans sa tête, le voir s'imposer et s'imprimer, d'un jet , sans ratures sur le papier. Il était prêt.
Le livre devient poignant lorsqu'elle évoque sa mère et ce dialogue singulier avec celle qui la visite en songes. (Maman, dont on apprend qu'elle fut cachée, pendant la guerre, dans une ferme …dans la Sarthe!)
“Je réponds à une question.
Pourquoi tu es morte? Je veux dire, si jeune? Si vite. Tu as été malade qu'une semaine. On n'a pas eu du tout le temps de se faire à l'idée.
Bah, j'ai vu une sortie. Je me suis dit pourquoi pas maintenant? Je ne voulais pas être un poids pour vous. Je ne voulais pas que ton frère ta soeur et toi ayez à endurer ce que j'ai traversé pendant les dernières années de vie de ma mère. C'est un peu comme sur l'autoroute. On roule vite, on voit une sortie, on s'y engage, et le temps qu'on se demande si c'était la bonne, on n'a plus la possibilité de revenir en arrière.
De belles pages sur le toucher , qui a tant de place dans nos vies, à tous les âges, pour disparaître quand on vieillit, parce qu'on finit par devenir invisible.
“Qui voudra encore de moi ? Est une question que les femmes se posent plus précocement que les hommes; certains d'entre eux le nieront et prétendront que nous sommes égaux face au vieillissement. C'est faux.
Arrive cependant un moment où l'on se rejoint. Après être devenu invisible ( personne ne se retourne plus sur votre passage, même les jours où, naïvement vous pensez être à votre avantage dans cette robe ou avec cette veste), on devient intouchable. Et la lamentation-toujours muette - qui s'élève alors n'est pas que d'ordre sensuel. On n'est pas seulement triste de ne plus plaire, ou de songer qu'il y a peu de chances que l'on vive un joli moment d'erotisme d'ici la fin de notre existence, on est physiquement inconsolable ( la plus part du temps sans se le formuler) de ne sentir aucune peau contre la nôtre, aucune main tendre sur notre épaule, aucun ventre collé à notre dos. “
Un livre pour tout âge au fond. Parce qu'on regarde ses parents et ses grands parents vieillir, et puis, c'est à notre tour de regarder dans le rétroviseur, “ Quoi? c'est déjà passé ?”
Je pense que l'on ne profite pas de la vie selon l'expression consacrée et bien maladroite, c'est plutôt elle qui dispose de nous , nous pose , nous expose puis nous dépose. Rien de triste dans tout cela, même si la nostalgie est bien là.
Aimerais je vivre dans la communauté libertaire imaginée par l'auteur? Peux-être pas, je suis trop solitaire. Mais en être le gardien ou mieux le jardinier, pourquoi pas?
“
Prevert a écrit: il faut essayer d'être heureux, ne serait-ce que pour donner l'exemple. “ Tachons de faire comme lui.
Un très beau livre sur le lien, passé, présent, futur.
Un mot clé pour résumer ce récit : la grâce .
Humainement recommandé.