"A-bi-cy-clêêêê-teu..."
Ah, et un si grand MERCI à vous, cher Yves Montand/Ivo Livi ! Votre voix et l'orchestration qui la sous-tendait nous sont aujourd'hui ce doux morceau d'immortalité, sans parler des odeurs de bords de rivière ‒ comme celle de la sueur de notre chère Paulette...
Ah, et comme il est déjà beau ‒ durant ces quinze dernière années ‒ d'avoir "un peu par hasard" eu la chance de découvrir et d'être (peu à peu) totalement ébloui par la lumière d'une vingtaine de romans d'André DHÔTEL (1900-1991), tels :
‒ "Nulle part" [1947]
‒ "Ce jour-là" [1947]
‒ "Ce lieu déshérité" [1949]
‒ "Les Chemins du long voyage" [1949]
‒ "Bernard le paresseux" [1952]
‒ "Les Premiers temps" [1953 ‒ tout premier CHEF D'OEUVRE ?]
‒ "Le Pays où l'on n'arrive jamais" [1955 ‒ petit CHEF D'OEUVRE et Prix Femina célèbre]
‒ "L'île aux oiseaux de fer" [1956 ‒ petit CHEF D'OEUVRE d'étrangeté]
‒ "Le Ciel du faubourg" [1956]
‒ "Dans la vallée du chemin de fer" [1957]
‒ "Les Voyages fantastiques de Julien Grainebis" [1958 ‒ pour son "Village invisible" inoubliable]
‒ "Ma chère âme" [1961 ‒ insurpassable CHEF D'OEUVRE]
‒ "La Tribu Bécaille" [1963 ‒ nouveau CHEF D'OEUVRE]
‒ "Le Mont Damion" [1964]
‒ "Pays natal" [1966 ‒ incontestable chef d'oeuvre]
‒ "L'Azur" [1968]
‒ "Un jour viendra" [1970 ‒ pas loin d'un CHEF D'OEUVRE]
‒ "La Maison du bout du monde" [1970 ‒ nouveau petit CHEF D'OEUVRE]
‒ "L'honorable monsieur Jacques" [1972 ‒ nouvel incontestable CHEF D'OEUVRE]
‒ "Les Disparus" [1975 ‒ incroyable... ultime ? - CHEF D'OEUVRE]
Soit vingt des quarante-neuf "romans et récits" recensés publiés de 1930 à 1986 ; nos lectures s'étant étalées sur une quinzaine d'années et notre subjectivité de lecteur (totalement incrédule, au départ) aura dont retenu pas moins de neuf "chefs d'oeuvre" (ressentis) sur la petite vingtaine d'ouvrages découverts... et peut-être, encore devrions-nous y ajouter "Nulle Part" et "Dans la vallée du chemin de fer" ?
André DHÔTEL restera donc ‒ selon l'heureux mot de François MAURIAC ‒ "le créateur du plus étrange des univers romanesques." Disons déjà qu'il a su ‒ au minimum ‒ "se créer un Monde à lui" (dans un style d'écriture souple et inimitable).
Nous voici donc ‒ par la voie la plus naturelle ‒ arrivés à l'abordage de "la Route inconnue" [1980], épais roman publié alors que l'auteur entamait sa 80ème année d'existence terrestre. Cet ouvrage fut édité initialement par Jean-Pierre SICRE, fondateur des éditions Phébus ; il vient d'être réédité ‒ sous une magnifique couverture - par Alain PONCET, fondateur des éditions La clé à molette, et célébré dans la 50ème livraison du bulletin "La Route inconnue", association des Amis d'André Dhôtel (que nous avons rejointe depuis quelques années).
Au départ, le jeune héros indécis habituel : Valentin Remirand, fils de libraire, hésitant entre enfance et âge adulte (chez Dhôtel, on ne dit pas "adolescent" mais on nous fait vivre inlassablement cette éblouissante zône de passage) ; il tombe vite amoureux d'une image entrevue : le visage mystérieux et bouleversant d'une demoiselle surprise à bicyclette.
Il la suit, son image l'obsède : ne serait-elle pas Angèle Bleuse, la voisine ? Ou la mystérieuse "soeur disparue" d'Angèle : une certaine Agathe, errant et passant d'une bande de garçons à vélo à un cercle de vielles rombières spirites, ou se réfugiant chez quelques romanichels compatissants, la prenant à l'occasion pour remplacer au pied levée leur "diseuse de bonne aventure" grippée (L'art de la Divination semblant, au fond, assez simple à pratiquer...).
Valentin "trace" à vélo, à la poursuite de son rêve... circulant bientôt sans fin sur les routes secondaires et les chemins autour de Bercourt où l'... " ‒ On s'emmerde ici, répétaient ses amis sans réussir à le convaincre. Si on allait à Mohon ou à Mézières on trouverait des filles " [Page 11 de l'édition La clé à molette].
Il s'adjoint bientôt Angèle la voisine (secrètement amoureuse de lui) et même "le grand Denis" (un de la "bande à vélos" protégeant l'aventureuse Agathe).
Le lecteur se pose très vite la question : Agathe est-elle une hypostase plotinienne d'Angèle (la jeune fille "proche et banale"), ou bien est-ce l'inverse ? Deux soeurs présumées...
La mystérieuse Agathe a comme ultime refuges, tout d'abord la maison d'une très jeune fille malade ‒ Aurore demeurant chez sa grand-mère, Mme Destreilles, est "chlorotique" à souhait"... ‒ puis le château incomplet d'un vieil enfant de nobles sans le sou, nommé Narvibard, chez qui elle va voler des roses (dans la roseraie du castel) : c'est pour les apporter en présent à Aurore. Petits vols certes moins risqués que d'avoir à plonger (mais c'est Denis qui le fera) dans les plans d'eau l'automne pour aller chercher des fleurs de nénuphar...
Valentin doit se faire une place dans l'existence mais n'y pensant pas trop... entre les services rendus entre les murs de la librairie des parents Remirand et d'autres rendus - en pointillés ‒ au restaurateur Pinque, se révélant un grand philosophe et surtout incroyablement complaisant avec son nouvel apprenti...
Donc les virées à vélo entre Bercourt, Vermont, Raunois et Charleville... La magie dhôtelienne des noms de lieux opère à nouveau. Nous nous perdrons dans ce "no-man's land" avec délices, bercés par les apparitions-disparitions de la demoiselle en bicyclette (un peu la Paulette de la belle chanson d'Yves Montand, vous l'aurez deviné !), devenant une sorte de mythe féminin local de l'errance suspecte pour la "vox populi" de l'Ardennes des plaines.
Le lecteur tiquerait bien un peu de temps à autre : par exemple, pour cette très étrange mansuétude du restaurateur pour son apprenti absentéiste ou en découvrant les discours (un rien trop énonciatifs du système de valeurs de l'auteur octogénaire contemplatif et botaniste fervent) du personnage de "Maman Béatrice", la grand-mère proche et complice du jeune Valentin... Mais rien de bien grave, au fond, puisque ce personnage bienveillant (et bien improbable) n'est pas central !
Et puis, peut-être cette soudaine effervescente d'italiques (sans la parcimonie de la pertinence de leur usage "gracquien") pour surligner encore les mystères d'Agathe... Mais le pire est à venir : le catastrophique Chapitre X [pages 165 à 183 de l'édition récente], venant juste après les quelques inquiétantes invraisemblances du chapitre précédent.
Le personnage d'Agathe nous y est présenté en TRES GROS PLAN et en discours direct : l'effet produit est soudain consternant. Car les dialogues sonnent immédiatement, irrémédiablement FAUX.
D'où ce personnage ‒ central, lui ‒ de cette jeune fugueuse (la belle Agathe) sonnant entièrement faux ‒ ou creux, car psychologiquement trop peu vraisemblable ‒ ou dissonant. Un personnage tragiquement puéril et donc très peu digne de crédit. Ses mobiles flous et pour tout dire, si peu dignes d'intérêt...
Manque d'exigence dans la construction du personnage censé être "central".
Agathe (au prénom de "bille de verre") reste donc ce personnage insignifiant, improbable, incertain, inconsistant... se jugeant elle-même, parlant de ses propres "sottises", énonçant "crever" plutôt que "mourir", semblant vouloir dissimuler son échec à "exister" dans la vulgarité proliférante de son langage pauvre et banal "à crever"... On l'entend même commenter pour nous (comme "en direct") les mystères et incertitudes de sa propre psychologie... [Aheum !] Un peu l'impression de surprendre ‒ au coeur d'un roman du grand DHÔTEL ! ‒ les tristes piapiatages des indigentes héroïnes des romans narcissiques d'Amélie Nothomb...
Sans parler d'un certain abus de situations répétitives, d'une impression de remplissage et de bâclage, de redites de dialogues... jusqu'au galvaudage de certains des purs procédés dhôtéliens du style "Ceci, oui, mais aussi son contraire" ‒ puisqu'à la fin, bien sûr : "On ne sait pas"...
Beaux mystères soudain disparus...
Un personnage raté au statut de personnage central, aïe !
Ici soudain tout se dessèche par la faute de ce personnage raté (Agathe aurait dû rester muette !), le récit se squelettise et parfois se répète dans les suites de cette prise de parole d'un personnage navrant, engendrant des réparties consternantes...
Dhôtel semble ne s'être aperçu de rien...
Rien de la subtilité poétique animant la dichotomie des "soeurs jumelles" Achyro ‒ la disparue de Samos ‒ et la blonde Hélène, future femme du jeune maraîcher du merveilleux roman de 1962, "Ma chère âme"...
Rien non plus de la grâce des deux "soeurs-fées" que resteront Viviane et Rosalie Aumousse, traquées par le pharmacien alcoolique dans ce nouveau chef d'oeuvre de 1972 : "L'honorable Monsieur Jacques" ‒ avec ses odeurs encore fraîches de pierre-à-foudre.
Nous sortions galvanisés de la lecture de "Les Disparus"[1976], publié par l'auteur encore juvénile dans sa 76ème année : un chef d'oeuvre de finesse, d'humour, de grâce, de poésie, d'humbles mystères, de concision aussi... et dont l'auteur était si fier, à si justes raisons !
"La Route inconnue" restera ‒ pour nous ‒ une oeuvre "amateure" et véritablement mineure ; tel un dirigeable prometteur gisant à terre, et palpitant encore (tel un grand cormoran blessé) jusqu'à la fin de son chapitre XIX final...
Assumons et prenons le risque de l'erreur judiciaire et de l'injustice faite envers ce roman... mais avis aux amateurs d'aller "y" vérifier !
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En prime, cet extrait d'un article du quotidien "La Cité" (Bruxelles) daté des 4 et 5 octobre 1980 au sujet de "La Route inconnue", 36ème roman d'André DHÔTEL [seul article réellement "un peu critique" parmi les 17 critiques laudatives retrouvées par le rédacteur de la Revue de presse du n°50 du bulletin de l'association "la Route inconnue" : n'oublions pas que Dhôtel venait d'accéder quelques années plus tôt à la reconnaissance "officielle" des qualités de l'ensemble de son Oeuvre, l'année de la parution de "Les Disparus". le consensus régnait alors, ainsi que l'obligation moutonnière des louanges... ] :
" Ce livre est un bain de jouvence... il n'est pas sans bavure. Mais c'est toujours la jeunesse qui sourd de cette plume octogénaire ! Comme au temps exaltant du "pays où l'on n'arrive jamais" ou des poèmes de "La vie passagère", André Dhôtel, plus lumineux que jamais toutefois, et plus simple, apprend le poids des choses infimes, le prestige de l'inutile comme jamais, peut-être, poète ne le fit, à moins d'un Jean Follain, et c'est tout dire ! Restent les coups d'oeil désabusés, en arrière-fond d'analyse, et la fêlure de quelques dialogues pêchant par excès d'angélisme. " [J. Fr. G.]
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