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Frédéric Richaud (Éditeur scientifique)Lanza Del Vasto (Préfacier, etc.)
EAN : 9782868532381
352 pages
Éd. Éolienne (19/05/1998)
4.46/5   41 notes
Résumé :

Avant je voyais la foule, mais maintenant pour la première fois je regarde la foule. Je m'appuyais contre un garde-fou qui me séparait des hommes, des femmes, de tous ceux-là qui moutonnaient, affluaient, semblaient se lier, puis disparaissaient dans d'autres tuyaux, dans (les portes ouvertes comme des tombes.
Alors le destin de l'humanité tout entière m'apparut clans ce mouvement de mauvaise marée : destins fondus clans le même glissement, destins lâ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Après le Bonheur des tristes je ne pouvais me résoudre à quitter Luc Dietrich.

L'Apprentissage de la Ville reprend cette étrange autobiographie là où la précédente nous avait laissés: à la désolation absolue, la totale dérélicton - au saut dans le vide auquel s'abandonne le jeune Luc après la mort de sa mère. 

Le langage brut, animal, sauvage de l'enfant a muté sous l'effet du chagrin et du manque.

 Cette seconde partie, sous le signe d'une errance urbaine entièrement livrée au hasard,  s'apparente à un récit initiatique et fébrile, ou à une confession en cascade et sans concession.

Malgré des  coïncidences pétrifiantes qui,  comme le fait si justement remarquer Lutvig dans sa belle critique, font penser à ces "rencontres surréalistes "qui font se percuter des personnages  dans des lieux improbables et se mêler des mondes qu'on aurait pu croire hermétiquement étanches et clos sur eux mêmes, malgré des  événements dramatiques, violents, véritables "épreuves" où l'âme se mesure à elle-même,  la  sincérité est toujours celle du  Bonheur des tristes. Elle n'est pas à mettre en doute .

Mais comme la mère est morte, qui mettait du baume sur ces drames,  renouait les fils entre chaque séparation,  Luc est plus erratique, plein de ruptures et de déchirures, incapable de trouver qui il est dans la jungle des villes, devenant ce que les rencontres et les chocs le font:  tantôt dandy, tantôt voyou, tantôt miséreux, tantôt grand bourgeois,  tantôt dealer, presque assassin, tantôt ange tutélaire et protecteur, homme à bonnes fortunes,  veule et méprisant, gigolo sans scrupule, ou  père de substitution, amoureux fou, fou tout court...

Ce moi dissocié court la ville, pénètre les milieux les plus fermés,  arpente quartiers interlopes ou cossus,  connait la zone comme sa poche mais aussi les librairies, les cathédrales, , travaille dans des  gargottes ou des lupanars chics, bat la semelle dans les  gares ,les couloirs du métro,  crèche dans des chambres de mimi pinson, des galetas, des châteaux, des wagons abandonnés,  de luxueux wagons lits..

A chaque nouvelle rencontre,  un aiguillage le jette sur une  voie nouvelle,  comme on dévie un train fou. La ville est le lieu de tous ces possibles,  le creuset de tous ces hasards . Une sorte de destin dans la toile duquel ce grand escogriffe ingénu, malheureux et écorché vif se prend, s'arrache, se précipite, tombe...

Des mains secourables se tendent, des mains captatrices,  aussi. Mais Luc est en mouvement, il ne reste jamais, il bouge. Si on l'immobilise, il s'échappe. Si on le stabilise,  il tombe.

Car il  lui faut tomber, pour savoir jusqu'où,  jusqu'à quoi, jusqu'à quand.

 S'abandonner comme un fétus de paille dans un ruisseau pour connaître qui il est, où il va, qui il perd.

 J'ai lu cette course éperdue comme on descend un torrent, derrière lui, sans reprendre souffle, ni pied.

J'en ressors un peu étourdie , toujours éblouie.

 Luc Dietrich, c'est une aventure à lui tout seul.

Le contraste est saisissant entre la calme gravité de Lanza del Vasto qui préface de façon si éclairante le livre de son ami et le livre lui-même,  cette cascade hallucinée,  au verbe foudroyant comme une évidence, cette quête-au- risque- de -se -perdre qui ne laisse aucun répit.
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Il avait le regard profond et grave de ceux qui ne s'attardent pas à vivre ; il a écrit ce livre avec ses tripes et son sang ; il en a façonné chaque mot de la glaise de sa vie et les phrases flamboient de cette poésie qui fera d'abord "le Bonheur des tristes" puis" l'Apprentissage de la Ville"
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Pendant quelques bonnes années, le surréaliste Victor Brauner peignit ingénument, comme dans un cauchemar enfantin, des personnages humanoïdes énucléés ou des silhouettes totémiques assimilables aux cyclopes.
Un jour, il perdit lui-même un oeil.
Son geste artistique en était une prémonition ou une façon d'attirer le réel ?
Juteuse question, dans le contexte du hasard objectif et des "pétrifiantes coïncidences"...

Le hasard de ma mémoire m'a vivement actualisé le souvenir des toiles de Victor Brauner lors de la découverte de Luc Dietrich.

Tout au long du "Bonheur des tristes" et de "L'apprentissage de la ville", j'ai pensé que sa transcription des sensations et des sentiments - d'un angle enfantin rendant le monde encore plus cru et cruel, en privilégiant les associations d'idées inattendues et le détail qui déraille insolitement - pourrait aisément l'approcher des surréalistes ; comme reflétée dans les yeux d'un enfant contrarié, la vie gagne en étrangeté et en brillance pathologique et nous dévoile, dans ses pages, la poésie des meurtrissures et des brisures.

Mais Luc Dietrich brille aussi par sa capacité d'entrevoir la pourriture dans le fruit mûr et goûteux, la fin de l'amour dans une étreinte passionnée, la mort dans les instants d'épanouissement de l'être. Cette grave intensité de ses livres traversés par le souffle de la fatalité, irrigués par le jaillissement du malheur (solitude, agonie, toxicomanie), l'apparente au romantisme : extraordinaire hybride humain-littéraire que j'ai honte d'avoir rencontré si tard. Un grand merci au proche qui a comblé cette lacune.

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L'Apprentissage de la ville est un livre qui me tient particulièrement à coeur et que je souhaitais vous présenter. Cette oeuvre est le second volet d'un diptyque débuté sept ans plus tôt avec le Bonheur des tristes.

L'Apprentissage de la ville a ceci de particulier qu'il met à mal toutes les conventions du pacte autobiographique traditionnel. Luc Dietrich y raconte une période de sa vie, de 1931 à 1935, mais si beaucoup d'éléments sont avérés, d'autres sont arrangés voire inventés. Ce brouillage de pistes atteint son paroxysme avec le sous-titre "Roman" donné à ce texte qui présente pourtant toutes les caractéristiques d'une autobiographie.

Né en 1913, orphelin de père, Luc Dietrich subit une enfance itinérante aux côtés de sa mère, toxicomane. Lorsque celle-ci s'éteint en 1931, le jeune homme est à son tour plongé dans une vie instable. Sans le sou, il fréquente toutes sortes de milieux, plus ou moins bien famés, et survit au jour le jour.
De sa rencontre avec Lanza del Vasto naît l'énergie qu'il met dans son oeuvre littéraire et qui nous permet, aujourd'hui, de mesurer le talent de cet écrivain disparu trop tôt...

L'Apprentissage de la ville est un texte très intimiste qui mériterait pourtant davantage de visibilité. Il dégage une poésie d'une rare beauté portée par un élan fugace d'une intensité inouïe.
Suivant au fil des pages l'itinéraire de l'auteur et le fil de sa vie, le texte nous emmène dans un monde à part, où la temporalité s'estompe au profit de tranches de vie, d'anecdotes, de souvenirs parfois fictifs dans lesquels le lecteur doit délier le vrai de l'imaginaire.
C'est une lecture qui m'a profondément marquée tant elle ne ressemble à rien de ce que j'ai pu lire avant. Luc Dietrich nous offre ici un texte vibrant d'émotion dont on ne ressort pas indemne.

Une lecture qui n'est peut-être pas d'un abord facile car d'une construction sans réel ancrage temporel, mais qui mérite qu'on s'y attarde, qu'on déchiffre cette vie qui porte en elle toutes les caractéristiques d'une tragédie grecque. Luc Dietrich s'est éteint à l'âge de 31 ans, en 1944, des suites d'une septicémie contractée par une blessure de guerre. Il laisse derrière lui une oeuvre brillante, d'une musicalité rare et vibrante d'images poétiques.
A lire si le style d'un auteur compte autant si ce n'est plus qu'une intrigue rocambolesque à souhait. A lire pour découvrir un artiste, une plume, une vie.
Lien : http://bouquinbourg.canalblo..
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Dans le chaos meurtrier et insignifiant de la ville moderne, assailli de partout par l'excitation stérile et la violence absurde, Luc se rend compte qu'il ne peut authentiquement sentir, penser, parler et agir qu'en s'infligeant la dure discipline de la présence à soi. Pour vraiment vivre la ville, il faut violer l'opacité de cette pellicule de néant qui fait dire au Gilles de Drieu que "la ville, c'est le vide", il faut apprendre la résistance, il faut devenir aussi dur et réel que les choses qui alors se dévoilent pour devenir sensibles et visibles. Et pensées, paroles, actions s'alourdissent tout à coup de la gravité du Sens, parce qu'à la façon des choses, la conscience en plus, on a compris que tout est déterminé d'avance. C'est ainsi que la ville, comme la vie, trouve son emploi, dans la destruction de nos "mobiles de mouche, à la mémoire épaisse et à la langue agile".
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Citations et extraits (37) Voir plus Ajouter une citation
Au bout de la rue était une étendue grise, délavée, dévastée de vent.
Je respirais à grands coups comme au bord de la mer.
La cathédrale se dressa dans le ciel avec une grandeur et une droiture intolérables.

C’est un rocher qui émerge des vagues, frotté de sable et bruni d’algues.
La pierre des tours chante de vent. C’est un rocher couché dans la hauteur.
Des corps décapités s’y multiplient jusqu’au sommet.

C’est un vaisseau frappé par sept naufrages.
Et moi, Dieu merci, je ne sais plus d’où je viens.
Je ne sais pas où je vais, je suis noyé et débarrassé de toute vie.

Je suis un corps que le flux aspire et rejette.
Je vais buter sur les pointes, sous les prophètes,
contre les guerriers, devant les reines aux tresses de cordage.

C’est un grand rocher évidé sur le ciel, et le ciel même glisse dans ses brumes,
mais ce roc humain est une montagne de foi.
Le rocher le plus sûr peut-il retenir le noyé qui s’y cogne ?
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Je sors dans la ville, j'y rencontre beaucoup d'objets dépareillés, des plâtres, des ferrailles.
La rue a beau être plate, il me semble que j'y descends. Je vois au col relevé des passants qu'il fait froid. Moi je sue, la rue aussi sue, et j'ai peur de glisser.
Je rencontre des débris de moi-même : chez un dentiste une mâchoire dans une cage de verre, mes poumons pendus chez un tripier et mes entrailles dans une poissonnerie, mon buste décapité se trouve planté sur une vis noire dans la boutique d'un tailleur, un orthopédiste expose ma jambe.
Mes yeux, ma tête, mon cœur et tous mes membres disparates s'étalent dans la quincaillerie.
Je m'écarte des magasins qui ont vomi leurs marchandises dans les vitrines. J'aurais voulu me vomir moi-même.
Je marche jusqu'à la tombée de la nuit sur les asphaltes qui dégorgent leur graisse et sous les arbres que la poussière étouffe.
Je m'arrête enfin devant la vitrine de l'armurier, et mon image toute vide s'y dresse dans la vitre, pénétrée de couteaux, de revolvers étagés (1995 : p. 141).
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Avant je voyais la foule, mais maintenant pour la première fois je regarde la foule.
Je m'appuyais contre un garde-fou qui me séparait des hommes, des femmes, de tous ceux-là qui moutonnaient, affluaient, semblaient se lier, puis disparaissaient dans d'autres tuyaux, dans des portes ouvertes, fraîchement ouvertes comme des tombes.
Alors le destin de l'humanité tout entière m'apparut dans ce mouvement de mauvaise marée: destins fondus dans le même glissement, destins lâchés par milliards comme poussières vivantes.
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Elle me tendit une tasse et, en même temps, me donna son regard. Et ce geste, ce regard m’ouvrirent des portes, me conduisirent par des escaliers jusqu’à ces intérieurs illuminés où les familles se renouent dans le soir et se recommencent. Je voyais la fille frôler le fauteuil du père, la mère pencher le front sur son ouvrage, le frère lever les yeux de son journal, et l’oncle et la tante, à la table verte, jouer aux dominos ensemble et chacun dans son jeu, et derrière leurs épaules les portraits m’ouvraient d’autres portes sur des chambres plus hautes, sur de longues suites de chambres où d’autres gens tournaient autour des tables et sous les lampes depuis des temps indéfinis. Et l’indifférence dans laquelle ils se coudoyaient entre eux et se prolongeaient les uns dans les autres est quelque chose dont la nature se trouve au-delà de l’amour, de l’aigreur, du plaisir, de l’intérêt ou de la haine, et ceux qui l’ont ne le savent pas, car ils l’ont toujours eu, et moi je ne peux le savoir, je ne l’ai jamais eu : ce métal inconnu, cette pierre dont la bâtisse humaine est faite : c’est son vide que je connais en moi, moi qui déborde de tout et que rien ne contient.
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Le sang coule dans le creux de la hanche, mes mains ne peuvent plus le retenir. Il est beau, il est précieux et il s'en va.
Et je m'émerveille que de moi qui ai mangé tant de vase, bu tant de pluie, mâché tant de nourritures grises, sorte une substance si rouge.
J'éprouve un contentement grave, parce que quelque chose va commencer pour moi, parce que maintenant je vais vivre ou mourir, et que ce sera également nouveau.
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Vidéo de Luc Dietrich
[RARE] Luc DIETRICH – Une Vie, une Œuvre : La soif d'être (France Culture, 1994) Émission "Une Vie, une Œuvre", par Jacqueline de Roux, diffusée le 3 mars 1994 sur France Culture. Invités : Michel Random, Frédéric Richaud, Yann de Tourmelin et Jean Daniel Jolly Monge.
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