«Il n'y aura pas, dans ce livre, cette ligne calquée, cette épaisseur chronologique qui distingue, ponctuent, hantent l'oeuvre et la vie d'un artiste - comme une croyance, comme un voeu que la mémoire dévoie. Il n'y aura que des échancrures de temps : un tracé inégal, broché et, en apparence, rompu ( comme un souffle coupé parfois ),» ...
Dés la première phrase du prologue, le ton est donné, Daniel Gobbels ne s'attardera que sur «les échancrures de temps». Quelle merveilleuse expression !
Le texte, occupe la moitié du livre, et se lit comme une longue rêverie poétique qui va d'oeuvre en oeuvre. de petites vignettes en noir et blanc sont posées dans la marge pour faciliter le cheminement et nous renvoyer aux très belles reproductions en couleur que contient la seconde partie de l'ouvrage.
De nombreuses citations de peintres, de poètes, d'écrivains, de musiciens viennent soutenir son propos. Un gros travail de référencement donc.
Artaud « le corps commence, lamas, au point où commence la douleur de charpenter le sien. Être c'est avoir un corps d'abord, avant d'avoir une conscience, avant de flotter dans l'inconscient.»
Cette citation, trouve pour moi son écho dans les propos d'une lettre
De Staël à son galériste
Jacques Dubourg en 1954 : «Je vais essayer des figures, nus, portraits et groupe de personnages. Il faut y aller quand même, que voulez-vous c'est le moment, je ne peux peindre des kilomètres de natures mortes et paysages, ça ne suffit pas .... «
Georges Limbour ( écrivain et poète) «
Staël était plutôt un peintre nocturne et ses tableaux le disent assez. Il se relevait souvent au milieu de la nuit et peignait jusqu'au matin, où on le retrouvait la voix plus caverneuse et les yeux injectés de sang ... Son grand corps qui semblait infatigable contenait assez de place pour cacher pas mal de tourments et de secrets. Il semblait avoir, pendant la nuit, emmuré sous le maçonnage de ses grandes toiles on ne sait quels songes dont il ne parlait pas ...»
André du Bouchet ( poète )« le feu gagne lentement les espaces froids / les chaises au port sur les lames immobiles ...» extrait du recueil flot.
Un dernier mot pour évoquer le rapport
De Staël à la musique, particulièrement à la musique contemporaine celle de Schoenberg et de Webern qu'il écoutait dans son atelier, non pas en fond musical accompagnant son travail, mais pour s'en imprégner et en retranscrire sur la toile toutes les nuances et l'intensité.
Mon oeuvre préférée «les mouettes» 1955 huile sur toile 195 x 130 cm.
Ces mouettes qui en s'affranchissant de l'o deviennent muettes en nous tournant le dos.
« Travailler le vide jusqu'à la limite»
Nicolas de Staël
Je ne pense pas comme Oliver Barrot le dit, que le texte de
Daniel Dobbels n'a aucune importance, au contraire il montre qu'il n'y a pas de frontière entre les différentes expressions artistiques ; que l'oeuvre de
Nicolas de Staël contient la poésie de Raymond Char, de du Bouchet; que l'on entend la musique de Webern sur ses dernières toiles ; et l'on comprend pourquoi il allait vers plus de dépouillement.
Bien sûr on peut feuilleter ce livre comme un catalogue d'images, et avoir sa vision personnelle de l'oeuvre. Ce qui ne m'empêche pas de considèrer le texte de Dobbels comme un partage, comme celui que nous aurions pu avoir avec un ami lors d'une visite d'exposition. Un échange d'impressions qui éclaire sous un nouveau jour une toile, et révèle de nouvelles émotions.