Décidément, à chaque nouveau livre,
Philippe Forest fait la brillante démonstration d'un savoir-faire différent. C'est un funambule capable de pirouettes étonnantes, un artiste à la large palette. Il nous a donné des romans et des essais, mais aussi une biographie magistrale (
Aragon) et c'est sans doute à cause d'elle ─ grâce à elle ─ que Gallimard lui a demandé de nous concocter un
Napoléon dans la série "Des hommes qui ont fait la France". Dans un premier temps,
Philippe Forest refusa : on a tant et tant écrit sur ce personnage... mais, à peine sorti du bureau où il avait décliné l'offre, arrivé au coin de la rue, il envoya un message d'acceptation : il avait déjà trouvé une idée pour relever le défi de manière originale.
Cette originalité est double : on commence par la fin (d'où le sous-titre et le clin d'oeil à
André Castelot auteur de "Le Commencement de la fin " dans le cinquième volume de son "Histoire de
Napoléon Bonaparte") et on aborde le sujet principalement à partir de références littéraires. Si
Chateaubriand,
Stendhal, Dumas,
Balzac, Tocqueville et Hugo sont invités par l'auteur à venir plancher au tableau, des références plus récentes sont également convoquées (
Malraux,
Jean-Paul Kauffman,
Jean-Marie Rouart, etc.).
Et si les écrivains et historiens sont cités, c'est que sans doute le mythe
napoléonien est lui-même le produit des livres qui ont formé et inspiré
Bonaparte tout comme de ceux qui ont présenté et commenté son épopée.
Dès le prologue, le ton général de l'ouvrage est donné : "Mais peut-être la France, au fond,
Napoléon l'a-t-il faite davantage par sa défaite que par ses victoires. Car le vide qu'il laisse a duré plus longtemps que le monument qu'il avait édifié et dont ne nous demeurent que des vestiges, des symboles auxquels, lorsqu'il les a conservés, notre présent leur confère une tout autre valeur que celle que le passé leur avait attribuée."
le style est, comme toujours chez Forest, très agréable et le propos nuancé. Les "sans doute", "quoique", "ou alors" et autres liaisons vers la suggestion d'un autre versant possible de la pensée abondent.
Au final, une belle démonstration du fait que "le présent réinvente le passé à sa guise", raison pour laquelle "
Napoléon n'a jamais autant continué à changer que depuis qu'il est mort".