Amour et devoir
OU
Le chevalier servant
D'abord j'ai fait fausse route. Je ne comprenais pas ce roman et je suis allé voir quelques critiques. Aussi un peu de matériau biographique concernant
Giono. Difficile pour le lecteur débutant de ne pas trop se laisser influencer ! J'ai voulu voir dans
Mort d'un Personnage la traduction des ennuis de
Giono, peu après la seconde guerre mondiale. Ennuis juridiques et sans doute aussi ennuis créatifs ( le
Giono des deux manières). Mais ca ne me menait nulle part. J'ai alors eu une petite discussion avec une amie, et je me suis rendu compte qu'il ne faut pas toujours vouloir voir des thèses dans un classique, qu'il ne s'agit pas, non plus, de toujours chercher les événéments dans la vie personnelle de l'auteur qui seraient retraités par l'écriture. Il y a de ca, mais ... si on laissait le livre parler pour lui-même ? Cannetille considère les livres comme des amis et elle les écoute. Moi, débutant enthousiaste, je les soumets à la question. Parfois, j'en rencontre qui résistent.
Alors, si l'on écoute ce livre, qu'entend-on ? Un lointain écho. celui du Hussard sur le Toit. Vous vous souvenez,,
Angelo (
Angelo I), jeune homme fougeux, idéaliste et Piémontais, fait un crochet par la
Provence dans le cadre de ce que l'on pourrait appeler une mission de renseignement. C'est qu'il travaille pour les nationalistes. Pris au dépourvu par une épidémie de cholera, la foule enragée voulant le lyncher, il se réfugie sur les toits de Manosque, et cherche quelque chose à faire qui ait un sens.
Angelo est un homme dont la vie s'épanouit dans le cadre d'une mission, un service. Un de ces hommes à l'âme d'argent dont parlait
Platon. L'autre écho est celui de la marquise de Theus. Une créature fabuleuse, aristocrate vaguement pré-marxiste, immensément riche, soutenant les nationalistes piedmontais ,se moquant de son environnement social naturel, amoureuse d'
Angelo ...
C'est bien de cette marquise qu'il est question en ce troisième et dernier tome du Hussard.
Angelo (I) est mort, et son fils est un adulte qui ne déroge pas à la tradition familiale : il se choisit une mission. Les temps ont changé, et sa mission est humanitaire : transformer un asile pour aveugles en domicile, les conforter, les aimer. Il s'y ruinera, et il le sait. Même avec l'argent provenant de la vente des immenses domaines de la marquise. Celle-ci n'est pas un Pardi : elle ne vivait pas pour une mission mais pour un homme, et sa mort vide l'existence de la marquise de toute substance. Esseulée, elle vend tout et part vivre chez son fils. Ensemble, ils font le bonheur des indigents...
La
Mort d'un Personnage introduit la troisième génération d'
Angelo Pardi. de ses prédécesseurs, il a hérité la fougue, le courage, et le sens du devoir. Un devoir à choisir librement. Et il prend pour mission d'accompagner la marquise, très agée, et son propre père vieillissant, sur la route qui leur reste à faire. Là encore, il y a des parallèles avec le tome premier : la maladie ( l'épidémie de grippe qui affecte Marseille et les maux de la haute vieillesse qui affligent la marquise), la mort ( qui frappe la jeune aveugle qui complétait le ménage) , les toilettes ( non pas de morts du cholera , mais du corps défaillant de sa grand-mère), le besoin de servir ( non plus un peuple, mais une très vieille femme) .
Quand l'on a écouté ce livre, que ressent-on ? D'abord le froid, le froid humide d'une nuit glauque. C'est la nuit dans laquelle s'enfonce la marquise, traquant son
Angelo, qu'elle rejoindra dans la mort. Nuit, image du dépouillement de la très haute vieillesse. Nuit de l'absence. Nuit littérale, puisque la voilà aveugle. le froid, de cette solitude que l'on peut avoir même entouré, même aimé par quelques êtres chers. Un seul vous manque et .. Glauque, l'interminable alternance des jours et des nuits qui mène , tel un escalier monumental, vers cette issue qui se dérobe toujours. Les forçats, au moins, connaissent le terme de leur peine.
Dans cette nuit, quelques lumières. L'aide discrète, effacée de son fils. Puis le secours du petit-fils. Et, dans les tout derniers jours, les ambrassades d'un grosse fille de la campagne piedmontaise, qui vient "faire" le linge et la serre dans ses bras. Petite poupée comme de verre et de carton, qui salit les langes, et dit " j'ai besoin d'un calin" .
Nous voilà très loin des exploits d'un hussard. Très loin, aussi, du soleil de la
Provence. L'été glorieux de la vie est passé, les feux de l'automne aussi, et l'hiver est tout ce qui nous reste. Non, il reste plus, il reste "nous". La marquise a beau être sourde et aveugle, elle n'es pas folle, sauf au sens ou l'on peut être fou de solitude et de désir, ce désir de l'être absent. Elle n'est pas sénile, si elle dit et fait des choses étranges, c'est que la solitude l'y contraint. Mais elle reste cette créature fantasque, farouchement rebelle, têtue, qui ne sera jamais qu'à
Angelo. Et c'est ainsi que la mort la délivre d'une vie d'absence.
C'est un conte, plus qu'un roman. Comment tirer la conclusion d'un conte ? S'ils sont immortels c'est bien parce que chacun peut en tirer la sienne. A vous de jouer maintenant.