"Autant d'individus, autant de cas. C'était bien probable. Monsieur Hermès lui-même s'était toujours considéré comme un cas. Mais s'il lui était donné de pénétrer un jour dans les dessous de chacun, il découvrirait que tout le monde avait la même prétention. Il se souvenait de cette humide soirée de novembre où, sur le bateau qui le ramenait de Casa, il avait d'abord aperçu le premier feu d'un phare puis, petit à petit, d'autres feux étaient apparus et bientôt toute la côte avait surgi de l'obscurité, signalée par le pointillement de mille et mille feux anonymes, inconnus, tous semblables de loin, mais qui, à mesure qu'on se rapprochait du port, se diversifiaient et se précisaient, tantôt mobiles, tantôt immobiles, tantôt très brillants, tantôt si pâles... Ainsi, lui-même, perdu dans la foule innombrablle des vivants, il n'était qu'un feu, parmi tant d'autres feux, un feu dont rien d'abord ne trahissait la nature et les particularités, mais qui brûlait cependant avec une flamme à nulle autre pareille. Oui, parmi tant et tant d'autres feux ignorés, eux-mêmes dotés d'une existence personnelle et d'un éclat spécifique, le sien luisait doucement dans la nuit du monde. Et son destin ne consisterait qu'à l'entretenir et à en rendre la flamme plus vivace et plus sûre. Y réussirait-il ?"
"Mais quand il reprit sa route et qu'il leva la tête vers le ciel d'hiver miroitant faiblement dans les gris et les roses de ses nuages indolents d'où tombait une clarté comme empoussiérée d'or, il sut pourquoi il aimait d'un amour si naïf le grain usé et déteint des vieux murs de ces maisons des quais de même que l'écorce noirâtre de ces arbres dépouillés dont les branches s'inscrivaient dans la lumière pâle de midi comme des nervures dans un beau marbre. Il admirait ces peintres qui avaient pu, avec tant d'art et de patience, capter la poétique atmosphère de Paris. "
"Il se sentait au plus haut de son élan. Et, si perdu qu'il fût toutefois dans la société, au milieu de tous ces humains qui l'ignoraient, il jouissait de son indifférence présente à tout ce qui n'était pas lui et s'aventurait à croire qu'il lui serait bientôt possible d'accepter ce monde extérieur et de le pénétrer comme si l'étreinte qui allait le lier à ce monde, et qu'il souhaitait si fort, n'avait pas dû être de celles qui brisent et désespèrent, mais de celles qui fécondent."
Jean Paul Kauffmann : 31, allées Damour :
Raymond Guérin, 1905 1955
Depuis le
café parisien "Le Rostand"
Olivier BARROT présente le livre ""31, allées Damour :
Raymond Guérin, 1905 1955" de
Jean Paul KAUFFMANN en compagnie de l'auteur. Photos du livre.