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EAN : 9782070303267
120 pages
Gallimard (25/02/1970)
4.1/5   24 notes
Résumé :

Jeux de massacre, pièce créée en 1970 au Théâtre Montparnasse, a pour thème une épidémie, une peste qui ravage la Ville.Des sketches rapides montrent les réactions des paysans, des riches bourgeois, des intellectuels, des médecins, des pauvres... La politique s'en mêle, car les gens des partis veulent exploiter la peste à leur profit. Finalement, le feu dévore la ville entière et rét... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Ayant écrit et créé cette pièce de théâtre en 1970, Eugène Ionesco n'en a pas moins été un véritable visionnaire. Malgré son titre, "Jeux de massacre" n'est pas un roman d'épouvante, ou un récit sommé d'horreurs (quoi que...) ; loin de là !
La pièce dont il s'agit raconte la détresse des citoyens d'une ville qui se trouve soudainement attaquée par un mal inconnu. Assimilé à la peste, ce fléau virulent ne cesse de progresser, de se propager et de décimer la population. La Mort, imprévisible et instantanée frappe alors sans distinction d'âge, classe sociale ou couleur de peau. Au fil du récit et des actes, les protagonistes s'emploient à donner une justification à la Mort qui surgit par tous les moyens possibles, mais là où Ionesco apporte sa touche personnelle, c'est qu'il ajoute à cette situation dramatique et tragique une part d'absurde, appelant à une réflexion d'ensemble sur le monde auquel nous appartenons, aussi bien au travers des personnages que des situations qui y sont présentées.

J'avais eu l'occasion de lire cette pièce au lycée sans y attacher autant d'importance qu'aux autres plus célèbres (dont "La Cantatrice chauve" ou "Rhinocéros") ; j'en ai mieux appréhendé la profondeur et sa dimension réflexive en le redécouvrant lors du Festival d'Avignon il y a quelques années.
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La tendance d'Eugène Ionesco à mettre du burlesque dans le tragique et du tragique dans le burlesque est particulièrement manifeste dans cette pièce. Jeux de massacre traite de la mort, sujet grave ,s'il en est, qui provoque toujours un malaise ; or ici Ionesco l'aborde par le biais d'un comique puéril presque simplet, et non sur un mode majestueux. le titre lui-même se réfère à l'attraction foraine qui consiste à tenter de faire écrouler une pyramide de boîtes de conserve vides avec une balle en tissu. Seulement, dans ce « jeu de massacre » là, le rôle des boîtes de conserve est tenu par des hommes et des femmes, quant à celui de  la « main invisible » qui les vise, libre au spectateur de donner sa ou ses réponses.

Ionesco prend le principe d'une maladie mortelle et contagieuse qui s'abat sur une ville, celle-ci est mise en quarantaine pour éviter que le mal ne se répande à tout le pays. La pièce met en jeu une population prisonnière et livrée à elle-même qui vit sous la menace d'un mal inexorable qui frappe au hasard. Ce principe est bien sûr emprunté à La peste, d'Albert Camus.


La construction en tableaux de la pièce permet de voir comment dans les divers quartiers de la cité les habitants se confrontent à l'inéluctable. Or, quelles que soient les catégories sociales mises en jeu la séquence s'achève toujours par la mort des protagonistes. La Camarde ne fait aucune discrimination entre les êtres, elle place tout le monde sur un pied d'égalité : c'est la grande niveleuse. Toutes les tentatives qui visent à échapper à l'inévitable, si elles ne sont pas dans la plupart des cas ridicules et inutiles, ne font qu'abréger une existence déjà largement hypothéquée. Ce qui est un thème assez classique dans le théâtre si l'on pense aux Mystères médiévaux mais aussi dans la peinture comme le triomphe de la mort de Pieter Bruguel : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/10/Thetriumphofdeath.jpg.

Mais notre Eugène, ménage son crescendo, les premières scènes ne comptent que quelques morts, dans les dernières ils sont indénombrables, ce sont des tas, des amas, des monceaux, des pyramides de cadavres. Devant la fatalité de ce qui les attend la plupart des personnages se réfugient dans le déni, et croient qu'ils y échapperont parce qu'ils appartiennent à une caste ou à une religion. En ce qui concerne l'aspect religieux du refus de l'évidence de la finitude humaine, Ionesco s'amuse à placer le rationalisme positiviste au même rang que n'importe quel mysticisme. Ainsi dans la scène des docteurs, six médecins, remplis de certitudes cartésiennes et imbus de la puissance que la science leur donne, décrètent, en toute modestie, l'immortalité.  Et si les gens s'entêtent toujours à mourir par milliers comme ils le font, c'est parce qu'ils ne suivent pas correctement les préceptes médicaux.

Dans notre merveilleux et si intelligent 21e siècle, ne sommes-nous pas gavés comme des oies de ce type de discours scientifiques ? Est-ce qu'on ne nous demande pas d'accepter la croyance en la maîtrise absolue de tous les phénomènes qui nous entourent par les grands experts scientifiques ? Aujourd'hui le simple fait de se réclamer de la science suffit à donner valeur de loi aux paroles de celui qui les profèrent ; dès lors il n'est plus question de les contredire.

« Sixième docteur : le bon sens ne nous apporte que de fausses vérités. Entre le bon sens et la Vérité, il y a un abîme. » : SCÈNE DES DOCTEURS

Qu'ils soient en soutane ou en blouse blanche tous ces pontifes exigent de nous une foi absolue dans leur parole. Ce point de vue a plusieurs fois été exprimé dans l'oeuvre Ionesco, par exemple dans La leçon, mais également de manière plus explicite dans Notes et contre-notes.

Par ailleurs, dans cette pièce, le discours est un outil efficace pour exploiter à son profit la peur et la crédulité des masses. Ainsi deux orateurs politiques, l'un conservateur et l'autre progressiste, désignent les responsables de l'épidémie, pour l'un il s'agit des pauvres sales et pouilleux qui propagent la maladie par leur manque d'hygiène, pour l'autre ce sont les pouvoirs économiques qui ont un intérêt financier à la propagation et empoisonnent sciemment la population. Dans les deux cas, la solution est simple, il suffit de tuer ceux ainsi désignés et tout rentrera dans l'ordre, à condition bien sûr qu'au préalable l'orateur soit consacré président ou consul. Heureusement la Maladie frappe, faisant disparaître les acteurs qui s'apprêtaient à mettre en oeuvre ce joli programme.


Si nombre de séquences révèlent une humanité stupide et méchante, Ionesco n'en est pas pour autant un misanthrope, il met aussi en jeu le pathétique et l'amour. En va-t-il donc pour un couple éperdument amoureux dont la mort de l'un d'eux laisse celui qui reste comme amputé, infirme, difforme. Ou bien est-ce une mère qui voudrait marchander avec la mort en se proposant à la place de sa fille si belle, si vivante et pleine d'espérance, mais rien n'y fait la mort frappe sans rime, ni raison, en dépit du bon sens, laissant la mère prostrée devant le cadavre de sa fille.

Le tempo de cette pièce est très rapide, avec des contrastes très marquées entre des séquences pathétiques et burlesques. Ionesco joue également sur la diversité des formes dramatiques, avec une grande virtuosité : discours, dialogues domestiques, scènes de marionnettes, rumeur diffuse dans une foule ... Il va même jusqu'à séparer la scène en deux, pour faire jouer deux séquences simultanément, qui dans un premier temps sont identiques, mais progressivement par quelques minuscules changements verbaux (conjonctions et ponctuation) aboutissent à deux situations opposées, du très grand art.

Cette pièce est un véritable tourbillon, le spectateur a à peine le temps de saisir ce qu'il vient de voir que déjà une autre action se met en place. Ionesco avait une capacité extraordinaire à utiliser et à créer des formes langagières extrêmement complexes qu'il mettait au service d'interrogations fondamentales, en l'occurrence notre incompréhension face à l'inévitable disparition de nos proches et de nous-même. Enfin ce qu'il y a de très agréables dans les textes de Ionesco, c'est qu'il laisse une part importante de liberté d'interprétation, et par-là, celle d'une grande inventivité pour ceux qui se lanceraient dans la réalisation de ses pièces. du théâtre à lire mais surtout à voir et à jouer !

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Cette situation covid que nous vivons quotidiennement depuis plus de 18 mois laisse inévitablement des traces un peu partout, jusque dans les critiques Babelio. C'est ainsi que, lisant souvent les nouveaux avis postés sur les livres que j'ai lus, j'en croise communément. Dans ceux sur 1984 par exemple, mais là, je vous le dis bien franchement, le lien me semble des plus saugrenus, ridicule même. Autres allusions vues dans les avis sur ''Le fléau'' de Stephen King. Avec ce roman, quand on se compare, on se console. C'est la même chose avec cette pièce d'Ionesco. le mal qui guette les protagonistes est foudroyant : le délai entre l'apparition des symptômes et la mort se mesure en secondes... le lecteur/spectateur se voit proposer une sélection de réactions humaines face à cette situation et à la mort, dont quelques-unes sont de troublants échos de ce que nous vivons actuellement. le premier discours de politicien par exemple, avec des accents conspirationnistes. le texte lui-même ne m'a pas autant amusé que celui de Rhinocéros, autre histoire de contagion soit dit en passant, mais c'est définitivement une pièce à laquelle j'aimerais assister ''en présentiel''. Ceci a des chances de se produire, puisque premièrement, selon le dossier accompagnant le texte, elle joui d'une popularité durable dans le milieu, et deuxièmement, je suis vacciné...
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
DEUXIÈME DOCTEUR : Si on suivait les préceptes de la médecine, consciencieusement, de bout en bout, personne ne mourrait.

TROISIÈME DOCTEUR : Théoriquement, ne meurent que les personnes qui relâchent leur vigilance et meurent sans le savoir, sans qu'elles s'en aperçoivent ou bien meurent ceux qui le veulent bien, ou alors les condamnés à mort ou les soldats tués à la guerre.

Scène des docteurs.
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QUATRIÈME DOCTEUR :[...] Je déplore à la fois que la mort existe, je déplore également qu'on doive vous le redire et que vous tâchiez de réfuter cette vérité.

CINQUIÈME DOCTEUR : Vous méritez d'être condamné à mort. Ainsi, puisque vous vous résignez à la mort, on peut bien vous la donner. Un petit tribunal, un petit jugement et ça y est.

SIXIÈME DOCTEUR : L'élan collectif ne craint pas la mort, elle n'existe pas pour les gens qui ont la tête solide, qui connaissent bien la doctrine et vont de l'avant, toujours de l'avant. La mort c'est la tentation de la réaction.

SCÈNE DES DOCTEURS;
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h'homme 7: si la chambre et aobord de la mer
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Vidéo de Eugène Ionesco
FACE-À-FACE CRITIQUE Pour son cinquième long métrage, Valeria Bruni Tedeschi opte à nouveau pour l'autofiction, en romançant ses années d'apprentissage à l'école des Amandiers de Nanterre, dans les années 1980.
L'école des Amandiers, dirigée par Patrice Chéreau, est dans les années 80 un rêve pour beaucoup de jeunes comédiens. Décrite comme un « anti-Conservatoire », elle voit défiler dans ses rangs Agnès Jaoui, Vincent Perez, Marianne Denicourt, Éva Ionesco, et donc Valeria Bruni Tedeschi.
La réalisatrice conte les souvenirs de sa promotion en les romançant. Louis Garrel, en Patrice Chéreau, et Nadia Tereszkiewicz, en Valeria Bruni Tedeschi, sont bluffants. Les Amandiers est un film de troupe dans lequel la réalisatrice parvient à dépeindre les années sida mais aussi les amours et amitiés d'une bande de vingtenaires qui découvrent le théâtre et y mettent toute leur énergie.
#amandiers #valeriabrunitedeschi #theatre
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