Malgré son titre un peu sensationnel, "Les vérités inavouables de
Jean Genet" est un très bon livre. L'auteur s'attache à révéler la véritable personnalité de
Jean Genet et surtout, à lire de façon critique ses ouvrages, ainsi que les études qui leur ont été consacrées.
Genet en effet n'est pas séparable des commentateurs et journalistes qui l'ont fabriqué dans le monde littéraire et présenté au public, et il est l'unique écrivain dont les oeuvres complètes s'ouvrent par un essai de
Jean-Paul Sartre, qui donne par avance aux lecteurs la bonne façon de le lire et de l'interpréter.
Ivan Jablonka fait donc office de déchiffreur de légendes, d'intellectuel démystificateur, s'attachant à abattre le mythe, forgé par
Jean Genet lui-même, du poète-voleur en guerre contre une société injuste. D'autre part, il montre comment
Jean Genet, admirateur du nazisme, fut "toiletté" par ses protecteurs "résistants", comme
Sartre, et transformé en écrivain politiquement correct. La seconde partie de l'ouvrage est fascinante, car elle décrit en détail l'opération de repêchage par la gauche intellectuelle officielle des années 45-60, d'un écrivain mal-sentant venu de l'autre bord.
Cela suffirait à recommander chaudement la lecture de cet ouvrage, si par ailleurs l'auteur ne proposait une nouvelle définition du genre biographique et de sa méthode.
Ivan Jablonka rejette l'illusion d'exhaustivité qui anime beaucoup de biographes, pour proposer une méthode plus problématique, plus réfléchie, allant plus directement aux points nodaux du sujet, en utilisant les documents les plus divers, pour faire sortir la biographie littéraire du champ clos de la littérature et de la psychologie. La société, l'histoire, l'économie, tout le contexte matériel et humain dans lequel a évolué l'écrivain, nous apparaissent et contribuent à l'explication biographique. Pour
Jean Genet, l'Assistance publique, l'Occupation, les années d'après-guerre éclairent son oeuvre, qui ne sort peut-être pas grandie de cette mise en contexte.