Voyage en Champagne

On a des types en France,- des artistes bien sûr, des écrivains, qui ont eu un parcours qu'on ose à peine imaginer et dont je ne sais pas ce qu'il faudrait qu'ils fassent de plus pour non seulement qu'on s'intéresse à eux mais qu'on leur décerne les honneurs qui leur sont dus !

Pour cette petite chronique que je lui dédie, je sors le champagne de sa réserve littéraire : je l'écris en pensant à son prochain livre dont j'ignore totalement quel en sera le sujet, la seule chose que je sais c'est qu'il sera une bonne cuvée, car ce type là s'améliore de livre en livre comme ces Bordeaux dont il a le secret.

Aujourd'hui il vit dans une forme d'hédonisme avec les forces qui lui restent, et il a bien raison, cigare, les bons vins, mise à profit de ce qu'il a toujours voulu faire : la littérature, mais la savante sur le mode classique, plus sa quête spirituelle. Je dis les choses ici sans prétention, tel qu'il m'est apparu depuis l'événement qui a marqué sa vie sur trois années : 1986-87-88.

Jean-Paul Kaufmann ne veut pas trop qu'on parle de cette terrible épreuve comme otage au Liban, car il ne veut pas donner à penser qu'il est resté sur cette affaire traumatisante, comme on dit il a tourné la page, il a dit en son temps ce qu'il avait à dire, il l'a surmontée pour se consacrer à ce qu'il aime et qu'il aurait fait quoiqu'il en soit : sa vocation littéraire qui remonte à sa jeunesse avec ses compagnons que furent Balzac, Stendhal, La Fontaine qu'il lisait pour échapper aux infortunes de la pension dans un collège religieux du Maine et Loire. Pour cela, pour faire sienne sa littérature, il sera journaliste d'abord, et c'est cela qui l'a conduit à Beyrouth..

Aussi je n'en dirai qu'un mot, que Jean Paul me pardonne mais je pense qu'il me comprendra car il s'agit d'un sentiment partagé. Deux choses l'ont sauvé dans la geôle du Hezbollah à Beyrouth, Dieu, la Bible, et deuze le deuxième tome de Guerre et paix de Tolstoï qu'il a lu et relu. Ca me fait penser à l'écrivain Ahmet Altan sauvé aussi par la lecture des Cosaques cette fois de Tolstoï, jusque là du moins, car pour celui-là, l'épreuve n'est pas terminée, malheureusement.

J'avais cru, des années après, à un moment donné que Jean Paul Kaufmann avait du mal à s'en remettre et qui lui restait à vivre comme les gens qui ont vécu de pareils outrages, en retrait de ce monde violent avec plus ou moins de bonheur, comme des solitaires seuls témoins de ce qu'ils ont vécu, avec un fardeau lourd à porter.

Et puis, je vis Jean Paul Kaufmann, tel Lazare qui surgit entre les morts, s'entretenir désormais de livres comme un homme accompli grâce à sa force morale incroyable.

Et puis encore, je retiens "Venise à double-tour" comme un grand livre. Il parle tellement bien de Venise, qu'il avait dans un lointain passé visité et se remémore forcément ce passé et cherche à revoir ce qui l'avait fortement impressionné. Ces églises fermées qui lui plaisent plus que d'autres car ces interdits cachent bien des secrets et on ne révèle rien de Venise, c'est Venise qui hante les esprits, il appartient à l'artiste d'avoir peut-être ce regard sur Elle que n'ont pas les autres. La belle plume de Jean Paul Kaufmann nous indique les pistes qui nous mènent au Titien, à Véronèse, à Palma le Jeune, à étonnement Jean Paul Sartre avec son le Tintoret..

Je suis donc dans l'expectative du prochain Jean Paul Kaufmann.