Pas de roman ni de nouvelles pour cette chronique, uniquement des entretiens. Sous cette couverture anonyme l'affiche est bien alléchante. Des auteurs comme
Richard Krawiec,
Mark SaFranko,
Michaël Mention,
Cathi Unsworth,
Irvine Welsh,
Christophe Siébert, etc, complétés par l'éditeur
Aurélien Masson,et par le touche-à-tout rasta-punk
Don Letts.
Marianne Peyronnet a choisi vingt-sept de ses interviews parues entre 2011 et 2022 dans le magazine musical New Noise où elle occupe le poste de pilier littéraire, et les a regroupé dans «
Bruit noir ».
À la lecture de tous ces entretiens, la conclusion est évidente :
Marianne Peyronnet maîtrise l'art de l'interview. Elle sait mettre en valeur ses interlocutrices et interlocuteurs ; ne perd jamais de vue son sujet, même quand elle semble s'éloigner vers la musique c'est toujours pour mieux revenir au(x) livre(s) des personnes intérrogées.
Grâce à la pertinence de ses questions sur des sujets tels que le travail et la construction des histoires, des dialogues, des personnages, des lieux, et de la place de la musique, on se rend vite compte que ses questions sont aussi importantes que les réponses, elles permettent de mieux lire après. Lire ce n'est pas uniquement dévorer une histoire, c'est apprécié la consistance d'une phrase, la tenue d'un paragraphe ou le rythme d'un dialogue. Les réponses apportées par
Franck Bouysse sur son travail donne envie de (re)plonger dans ses livres pour voir comment c'est fabriqué dedans, percevoir le squelette et les muscles par dessus. L'entretien avec
Patrick K. Dewdney va encore plus loin avec en plus la thématique du genre : littérature noire, blanche, populaire, politique, science-fiction. Voilà, pour moi, un auteur à découvrir.
Au fur et à mesure des entretiens, classés alphabétiquement et non chronologiquement, on perçoit bien ce qui permet à une bonne histoire de devenir un bon roman.
John King est très bien traité dans «
Bruit noir »,
Marianne Peyronnet lui consacre trois entretiens, en 2012, 2017 et 2021, ce dernier avec la participation d'
Irvine Welsh. Cinquante ans d'histoire populaire britannique défilent dans ses réponses, les
skinheads, les punks, les hooligans,
Thatcher, la classe ouvrière, le football. C'est une image réaliste de l'Angleterre, crue et très éloignée des élites, que J. King décrit, et dont il se sert comme cadre de ses romans.
le deuxième entretien, le plus long, est consacré à « The liberal politics of
Adolf Hitler », dystopie parue chez nous sous le titre « Anarchy In The U.S.E ». C'est un éclairage inhabituel sur la perception de l'Europe et de l'Union Européenne chez les anglais.
Vingt-trois autrices et auteurs figurent au sommaire de ce recueil qui est un véritable panorama du polar et du roman noir actuels. Il n'est pas possib
le de tous les évoquer. Parmi les quelques américains il y a
Mark SaFranko, c'est en partie grâce à cette interview parue en 2020 que j'ai eu envie de me plonger dans ses livres.
Cathi Unsworth, romancière anglaise, est une des rares femmes de «
Bruit noir ». Elle est issue du journalisme rock des années 90, c'est ce qui lui a permis de rencontrer son compatriote Robin Cook, grâce à qui el
le découvre le roman noir, puis se met à l'écriture. Elle explique pourquoi la musique tient une place prépondérante lors de l'écriture puis dans ses livres.
Je connaissais
Michaël Mention par son très bon «
Jeudi noir » sur un France-Allemagne de triste réputation. Ses propos, souvent drôles, sur sa façon d'écrire, de bâtir des histoires donnent véritablement envie d'ouvrir ses autres romans, notamment sa trilogie anglaise sur l'Éventreur du Yorkshire dont l'angle semb
le différer totalement de celui de
David Peace. Plus sérieusement, ce qu'il dit de la situation économique et de la place socia
le des auteurs est assez triste.
Autre riche entretien, celui avec
Sébastien Raizer. Tout y passe : sa découverte de Mishima et de la spiritualité orientale, sa carrière passée d'éditeur de livres consacrés au rock, sa première vie en Lorraine, son départ au Japon, et bien entendu ses romans.
Toutes ces personnes interviewées consacrent leurs livres à se confronter à la noirceur du monde et aux tréfonds de l'âme, bien loin de la littérature de salon feutré, ils grattent le réel comme
le dit si bien
Christophe Siébert. C'est aussi le cas de
Peter Murphy, Lisa McInnerney,
Caryl Férey,
Martyn Waites, etc.
Aurélien Masson a droit à deux entretiens, le premier en 2011 alors qu'il était directeur de la Série Noire, le second en 2019 quand il crée EquinoX aux Arènes. Ses fonctions d'éditeur et de directeur de collection y sont méticuleusement autopsiés. Là encore, lire ces entretiens ouvre de nouvelles portes à la lecture, au plaisr de tourner les pages.
C'est dans cette bonne trentaine de pages que le rapport entre polar et musique, polar et rock, est le mieux éclairé. La mise en parallè
le des deux est discutée avec beaucoup de pertinence. Finalement c'est presque la constante de beaucoup de ces entretiens, les rapports tissés entre le rock et le roman noir.
Marianne Peyronnet y revient chaque fois ou presque. C'est ce qui donne une belle cohérence à ce livre, et qui rend la lecture bien plus que plaisante. «
Bruit noir » plaira aux amateurs de romans noirs, plaira aux fans de rock, et encore plus à ceux qui sont les deux à la fois.