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EAN : 9782070264322
162 pages
Gallimard (15/12/1933)
3.57/5   15 notes
Résumé :
Quatrième de couverture

«J'étais en proie à de grands tourments ; quelques pensées très actives et très aiguës me gâtaient tout le reste de l'esprit et du monde. Rien ne pouvait me distraire de mon mal que je n'y revinsse plus éperdument. Il s'y ajoutait l'amertume et l'humiliation de me sentir vaincu par des choses mentales, c'est-à-dire, faites pour l'oubli. L'espèce de douleur qui a une pensée pour une cause apparente entretient cette pensée même ;... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Quarante et un ans après Monsieur Teste, Valéry reprend la veine de l'éveillé critique. Il n'est plus dépressif, plutôt volubile. Il présente ses idées du jour sous la forme d'un dialogue entre Moi et le Docteur (c'est l'époque où il fréquente Henri Mondor et écrit le Discours aux chirurgiens). La réflexion est vive, brillante, mais les échanges en ping-pong sont peu fertiles en idées. le livre vaut surtout pour sa dernière phrase : « un homme seul est toujours en mauvaise compagnie ».
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Un dialogue philosophique de haute volée non sans humour mais assez difficile à lire...
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"Un homme seul est toujours mal accompagné " telle est la phrase de conclusion de cet ouvrage , petit livre philosophique tres bien monté, agréable à lire,bref et intense ! Je recommande !
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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
par elles-mêmes, et les liaisons des corps indéformables.

— Vous êtes un bon ami. Docteur… Mais je vis de ceci. C’est d’autre chose que je meurs…

— Vous n’avez pas l’air excessivement mort. Vous gambadez dans les rochers comme une chèvre ; vous ferraillez pour et contre les idées, comme un beau diable, et exterminez les cacatoès… Tout cela n’est pas inquiétant. Mais vous exagérez. Croyez-moi… Détendez, détendez…

— J’ai besoin de brûler quelque chose…

— Voyons… Est-ce que vous n’avez pas quelques embêtements… que vous combattez et suralimentez à la fois… in intimo corde ?

— Tout le monde en a…

— Allons, vous êtes rongé, mon ami…

— Il y a du vrai.

— Vous êtes… mordu. C’est évident.

— Mais l’acuité et l’agilité de l’esprit, ce sont mes remèdes.

— Je ne connais pas exactement le mal ; mais j’ai peur qu’ils ne soient pires que lui.

— Je ne crois pas. Chaque organisme a ses méthodes de défense.

— Quel chicaneur… Il y en a qui prennent du bromure. D’autres vont à l’alcool. D’autres fréquentent l’opium et son auguste famille. Et d’autres font la noce. Je ne parle que pour mémoire de ceux qui envisagent le pistolet, la rivière, le cordon de sonnette, et autres sédatifs héroïques… Mais je n’ai jamais vu jusqu’ici un anxieux prendre pour moyen thérapeutique, cette espèce d’analyse quasi-géométrique, perpétuelle et généralisée… D’ailleurs, la Logique n’est pas médicalement très bien notée… Il y a beaucoup d’esprits trop conséquents parmi les anxieux et les para…

— Mais sapristi, je ne suis pas un anxieux !…

— Ta ta ta…

— Mais pas du tout… Je suis anxieux… peut-être… Mais pas un « anxieux »…

— Distinguo… J’aurais parié que vous couperiez en quatre…

— Oui, je distingue… C’est le propre de… moi !

— Vous tirez encore sur un perroquet.

— Je distingue. Je dis qu’il existe une anxiété « en soi », qui est illimitée, et qui n’a point de cause dans les événements et circonstances extérieures. On l’observe nettement chez des gens qui ont, comme on dit, tout ce qu’il faut pour être heureux.

— C’est assez juste. Je le regrette ; mais c’est assez juste.

— Mais ce n’est point mon cas. Je suis anxieux… dans la mesure où un homme auquel on serre la gorge est… asthmatique. Lâchez-le : il est guéri.

— C’est parfait… Mais attendez… Il y a des gens auxquels on n’est pas obligé de serrer bien fort la gorge. A peine l’on fait mine d’y mettre la main, ils se sentent étouffer. Ce sont des exagérants. Leur système va plus vite que les violons. Vous m’avez tout l’air…

— Que le Ciel vous entende… Je voudrais bien m’exagérer…

— Et ensuite : je ne suis pas bien sûr que — de votre anxiété…

— Relative !…

— Relative, soit…

— Relative, naturelle, explicable !…

— Soit, soit… Je ne suis pas sûr que de votre anxiété relative, naturelle, explicable, et cætera, et cætera — à l’anxiété…

— Essentielle.

— Soit. Essentielle, — il n’y ait pas… un glissement possible… C’est contre quoi je veux vous mettre en garde.

— Tout est possible, Docteur. Il y a sans doute en moi de quoi faire un anxieux essentiel…

— Bon… Nous en revoici à l’Implexe…

— Et en vous-même, il y a de quoi… Quand on songe à la quantité probable d’éléments d’idées et d’éléments d’actes qui sont « en nous » ; (à l’état latent, — c’est-à-dire… inconcevable) — et dont les combinaisons successives, le passage incessant à l’actuel, — nous constituent ! Parmi elles, il en est sans doute de plus fréquentes, de plus aisément renouvelables, — qui nous accoutument à elles, nous font notre « personnalité », et nous

la définissent, et nous y font croire, et nous la font concevoir comme une entité…isolable, et même indestructible, invariante, éternelle, indépendante au suprême degré… Mais ces liens profonds, cette reconnaissance de « nous-mêmes », me semblent se réduire ou se résoudre en sensations organiques, en appétences ou répugnances, dont on pourrait, pour chacun de nous, former une table qui le caractériserait…

— Il y a des albums pour jeunes filles où l’on trouve des questionnaires… Quelle est votre couleur préférée ? — Votre parfum ? …

— C’est cela… Mais ces liaisons se transforment… Avez-vous remarqué combien les goûts changent avec l’âge ?

— Les enfants n’aiment les huîtres ni les truffes.

— Et cependant quoi de plus personnel que nos goûts ?

— Nos dégoûts !

— Encore plus… À chaque instant, je coïncide avec ce que je tends à percevoir. Chacun, à telle heure de sa vie, est, en somme, un système… virtuel d’attractions et de répulsions, et aussi de… pressentiments de puissance et de résistance. Mais cette distribution est variable avec le temps…

— C’est-à-dire, avec n’importe quoi ?

— Et cependant, — elle est… ce qu’il y a de plus… nous-mêmes !…

— Est-ce que vous aimez les tripes ?

— Ah !… Pouah !… Quelle horreur !…

— Bien. Et le café ?

— J’en vis.

— Bien… Et cependant vous concevez que… dans… trois ans, (mettons), vous vous preniez insensiblement de tendresse pour les tripes et d’aversion pour le café ?

— Ce n’est malheureusement pas impossible…

— Et alors, votre personnalité ?

— Se réduira (sur ce point) à un souvenir… d’ancien amour pour le café et d’ancienne haine des tripes.

— Vous voyez qu’il vous restera quelque chose.

— Peuh… Un souvenir isolé, et que rien ne renforce plus, est à la merci…

— Mais supposez qu’au lieu de tripes et de café, je vous aie parlé d’autre chose… Que, par exemple, je vous aie demandé si un… goût plus vif, plus violent, — qui puisse occuper l’esprit, non seulement à l’heure des repas, mais jour et nuit, pendant des mois, — peut-être, des années, — un goût… passionné, un goût…

— Amer…

— Amer, et… tout-puissant enfin, vous paraissait aussi être sujet à cette oblitération, à ce pâlissement progressif…

— Ceci me semble impossible ; et toutefois, il n’y a point de doute.

— Ah !… Ah !…

— Et ici, Docteur, je vous pose une question ? A quoi, vous médecin, attribuez-vous la différence des goûts ? Pourquoi je n’aime pas la tripe ; et comment pourrais-je changer d’avis ?

— On n’en sait rien… C’est ce qui me permet de vous répondre ! C’est une affaire de métabolisme !… Vous comprenez ? Biochimie. Secrétions internes. Action de déséquilibres chimiques sur la cellule nerveuse… Ajoutons quelques réflexes, et association d’idées…

— Et servez chaud.

— Voilà.

— Et nous nous réfugions, comme il sied, dans le maquis de la petitesse. Tout commence à s’expliquer vers le millionième de millimètre… Il y a de la place dans ce pays-là. Il paraît que si l’on supprime les vides inter et intra atomiques, toute la substance d’un homme tient dans une boîte d’allumettes.

— Enfin, je vous ai résumé…

— L’état de la science… Elle tient sur ce point dans une boîte d’allumettes.

— Que voulez-vous, pauvre ami, nous pateaugeons !… C’est terriblement difficile. Après tout, il n’y a pas de raison pour qu’un être vivant puisse parvenir à se représenter la vie… Tout à l’heure, en jouissant de ce beau regard que l’on a ici, en y mêlant l’ennui du souci proche et lointain de cette sacrée existence que nous menons à Paris, de tout ce carnaval de choses, d’êtres et d’idées, tout cela en perspective… Vous avez parlé des Grecs…

— Oui. C’est une expression commode. C’est de la mythologie… C’est évoquer par un seul mot un modèle de vie… physiquement douce, ou magnifiquement instinctive, et un idéal combiné de liberté et de rigueur pour l’esprit. Mais, nous y mettons beaucoup du nôtre…

— Eh bien, j’ai ressenti une sensation désagréable… Tout ce que j’ai pu apprendre, m’a paru… presque misérable. Même le vocabulaire de la science m’a semblé tout à coup bizarre, comique, daté, suranné…

— Et moi, je suis frappé d’une chose… Pour ne parler que des sciences de la vie… On avait de grands espoirs, il y a quarante ou cinquante ans… On avait entre 1850 et 80, acquis l’évolution, les microbes, les synthèses organiques, l’histologie. Tout semblait converger vers une idée assez nette. On espérait parfois obtenir un peu plus qu’une idée. Plus d’un s’attendait à voir une gelée vivante se séparer un jour de quelque mélange de liquides rigoureusement morts…

— Mais tout ceci tient encore… Et même on entrevoit que des effets de rayonnement, qui étaient alors absolument inconnus…

— Oui. Mais je parle des espoirs. On se croyait à cent mètres du but, et il apparaît à présent à… cent kilomètres… Je ne parle, bien entendu, que de ceux qui le voient à distance finie.

— L’espoir, dit le Docteur, est fait pour varier.

— L’espoir…

— Feu !…dit le Docteur. Descendez-moi ça.

— L’espoir, lui dis-je, l’espoir…

— Il est vrai nous soulage…

— Oui. Mais voilà encore un illustre inconnu. Voilà qui est encore moins connu que l’idée fixe. Dans tous vos livres de psychologie ou de psychopathie il ne me semble pas qu’il en soit question… D’ailleurs, j’ai si peu de lecture de cette espèce que je dois me tromper…

— Je ne saurais vous répondre. Ce n’est pas ma partie. Mais je serais bien étonné que… Il est fort possible qu’ils en parlent, mais sous un nom savant qu’ils lui auront donné…
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— La divagation pure se déclare !

— C’est là ce qu’on appelle causer, mon cher Docteur…

— C’est de la détente… Il fait bon et superbe, ici. Nos propos font des ronds à la surface de nos ennuis.

— Le mal de l’activité s’y apaise.

— Oui. Si l’on se taisait un peu ?

— Une minute de silence ?… Gare !… Si l’on se taisait, ce qui parle à présent dans l’air, parlerait dans… l’homme… Dirait, peut-être, d’autres choses…

— Et vous n’y tenez pas ?

— Peut-être pas.

— Vous ne pouvez pas LE faire taire ?

— Non.

— Tenez-vous véritablement… à LE faire taire ?

— N… ON.

— Aïe, — Aïe, — Aïe ! Mauvais, mauvais…

— Omnivalence.

— Il fait rudement beau. Voyez moi cette grosse fumée là-bas qui s’est couchée sur l’horizon, et qui demeure en panne dans l’air absolument calme, comme un lange noirâtre. Et ce bateau. Il est là depuis ce matin. Il a mis sur lui tout ce qu’il avait.

— C’est une tartane. Ils doivent porter des briques, sans doute.

— Enfin, c’est un bateau !

— Non, ce n’est pas une tartane. Pardon. C’est une vieille goélette !… Un Italien je pense… Il y a peut-être soixante ans que cela navigue. Ils ont des voiles reprisées cent mille fois… Des formes charmantes. Et ça tient bien la mer.

— Et dire que Paris existe !…

— Et pourquoi pas ?

— Dire qu’il y a quelque part… mon téléphone !… Et le vacarme, et les voitures, et la pluie, et la hâte, et les gens, et les journaux !… Et tout le tonnerre de Dieu de tout ce qu’il y a à faire, et à penser…

— Que voulez-vous, docteur, on n’est pas des Grecs de la bonne époque…

— Ils avaient une chance, ceux là… Il me semble qu’ils avaient trouvé le moyen de faire sans rien faire, et de produire le plus beau travail du monde en fumant leur pipe sur le sable.

— Ils étaient assez subtils pour cela. Toutefois, ils ne fumaient pas, je crois.

— C’est juste. C’est une lacune… Je ne peux pas les concevoir sans pipe, tous ces philosophes.

— La pipe de Platon, — mais c’eût été une pipe de Tanagra ou de Myrina. Une merveille de pipe… Voyez-vous ces pipes délicieuses dans les musées ?

— Pauvres de nous !. C’est curieux. Ne trouvez-vous pas que d’ici, notre vie habituelle est inconcevable ?… Je recule devant un cauchemar quand je pense à ce que je fais tous les jours…

— Et cependant vous n’en avez jamais assez…

— Mais d’ici, je vois en perspective… Je me vois… Un petit bonhomme qui court, va, vient, griffonne, mastique, se déshabille, dort, se rhabille, court… Et ainsi de suite ; — avec un agenda…

— Et quelques incidents…

— Et quelques incidents.

— Tout le monde en est là… Mais tout ceci n’est-il pas ordonné, prévu, organisé par notre être même ? Est-ce que le cœur ne passe pas son temps à battre notre temps…

— Avec quelques incidents.

— Et toute notre durée n’est-elle pas comme rythmée, ou construite, par les temps propres des fonctions monotones qui entretiennent la vie, — comme on expédie les affaires courantes ?…

— Mais alors, — comment se fait-il que nous ayons l’idée d’autre chose que de ces affaires courantes ?…

— Docteur, c’est morbide.

— Allons, ne faites pas du verbalisme médical.

— Excusez-moi. Rien ne déteint comme ce délicieux et fécond dialecte. On le raille, on le singe, parfois… Mais, croyez-moi, — même chez Molière ou chez Rabelais, — se devine la secrète et envieuse admiration de l’homme de lettres pour un langage où la libre invention des mots est admise, où la fantaisie totale est, en quelque sorte, basale et constitutionnelle.

— Blagueur… Vous feriez mieux de répondre à ma question.

— J’y cours. Je voulais dire simplement… Mais je vous l’ai déjà dit. Je vous ai dit que l’animal me semblait ne pouvoir absolument rien faire que d’utile. C’est à dire : sous pression extérieure ou organique immédiate. La vache voit les étoiles, et n’en tire ni une astronomie comme la Chaldée, ni une morale comme Kant, ni une métaphysique comme tout le monde… Elle les égale à zéro. Elle les amortit. C’est très remarquable, au fond…

— Vous avez la bosse de l’étonnement, mon cher.

— Oui… Je dois avoir une boîte de résistances quelque part dans le cerveau… La vache, donc, ne conserve que les perceptions auxquelles correspond une réponse uniforme, un acte déterminé qui fasse partie d’un cycle de quelque fonction de son organisme. Tout le reste est nul. Si un objet nouveau l’effare, elle file, et elle n’aura jamais la tentation de revenir vers lui, avec précaution et… concupiscence intellectuelle, pour l’identifier et le classer dans son système du monde… Elle ne définit cet objet que par la fuite : chose devant être fuie.

— Mais il me semble que c’est là précisément notre définition de la douleur…

— Et de la mort… Et c’est pourquoi nous ne savons où les caser dans notre système du monde.

— Dame… C’est assez compliqué. Les gens ne veulent pas mourir. C’est une idée rudement fixe… Et d’autre part…

— D’autre part, il y a un syllogisme contre eux. Socrate…

— S’il n’y avait qu’un syllogisme !… Mais comme il est intéressant de constater que l’intellect ne sait pas penser à la mort ! Elle est pour lui un accident, même un scandale.

— C’est qu’il ne sait davantage penser à la vie, dont la mort est une des propriétés caractéristiques. La vie est, en somme, quelque fourmillement bizarre entièrement confiné dans une pellicule de douze à quinze mille mètres d’épaisseur…

— Ectoderme…

— Naturellement… Tout ce qui est amusant est superficiel. Et accidentel. La vie a quelque chose d’un accident… qui s’est fait des lois.

— Oui… Et dans cette couche mince, vie et mort… Entrées et sorties. La loi fondamentale est statistique. C’est l’équilibre statistique…

— Et c’est là que vous intervenez, mon cher Docteur.

— J’essaye.

— L’intelligence ne comprend rien à la vie, et donc à la mort. La sensibilité de chacun veut, d’autre part, tirer son épingle individuelle du jeu. Résultat : l’individu lutte contre la loi ; l’intellect lutte pour la vie contre la vie ; et vous autres, médecins, vous êtes les champions, les stratèges de la lutte de la vie individuelle contre la loi de la vie… moyenne…

— Pendant ce temps, la vache a filé.

— Quelle vache ?

— Celle qui se fiche des cieux… Du moins, vous le dites. Et vous n’en savez pas plus que moi… Eh bien, et les singes ?… Voilà au moins des curieux.

— Les singes ?… Sans doute, leur cycle… est un peu plus étendu… Il englobe…

— Allons, allons… Vous ne savez pas le moins du monde ce que vous allez me raconter. Vous êtes pris en flagrant délit d’insuffisance pithiatique…

— Pas du tout. Je… crée. Je tire de moi ce que je ne savais pas contenir.

— Vous tirez de vous ce qui n’y est pas. C’est là créer ?

— Ex nihilo.

— C’est merveilleux. C’est toujours la Nébuleuse en évolution…

— Mais oui, Docteur.

— C’est l’Ignorance Créatrice. C’est la Création par le Vide…

— Ma foi, avant le Verbe, on est avant le Commencement. Avant… l’Avant.

— Le fait est qu’en toute matière, les commencements sont durs…

— Oui. Heureusement, l’homme n’est pas d’un seul morceau. Une partie de lui devance l’autre. L’eau lui vient à la bouche avant qu’il ait touché au plat. Il en est un peu ainsi des idées.

— Précisons. Vous disiez cependant que vous ne saviez pas du tout ce que vous alliez vous extraire de la tête et me servir ?

— Exactement ? — Non. Je le sens. Je le pressens…

— Sous quelle forme ? — A quel état ?

— À l’état de promesse, ou d’espoir ?
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— Bref, l’un se fait chat pour dévorer l’autre qui s’était fait rat…

— Dératisation.

— Oui, mais le rat se fait tigre…

— Et le chat se fait lion !

— Naturellement. Mais le tigre se fait puce…

— Bravo ! Mais le lion se fait microbe… Savez-vous ce que ceci me rappelle ?

— Toute la vie, mon cher Docteur.

— Figurez-vous que je me suis laissé porter, il y a quelques années, sur une liste électorale. Les médecins sont très exposés… Bon. J’ai été candidat au Conseil Municipal, dans le XXme… Mon cher, il fallait monter en couleur à chaque instant.

— Vous aviez un magicien très actif comme concurrent ?

— Un pharmacien… formidable ! D’affiche en affiche, de réunion en réunion, la température et la couleur montaient, montaient… On jetait des flammes, on jetait du lest… Et on se flétrissait, c’était un plaisir !… Et les épithètes !…

— Et il vous a dévoré ?

— Non. Il m’a écrasé.

— Le vilain…

— Oh ! C’est un très brave homme. L’année d’après, il voulait à toute force me faire décorer…

— Que diable alliez-vous faire dans la politique ?

— Mais… Je me le demande ?

— Vous voyez bien que vous ne pouvez pas répondre de ne pas faire mon Histoire de la Thérapeutique.

— C’est tout différent.

— Auriez-vous deviné il y a trois minutes que nous allions parler Pharaon et politique intensive ?

— Le fait est que notre prévision de nous-même est fort incertaine…

— C’est peut-être qu’il n’y a pas de « Nous-Mêmes » hors de…l’instant…

— O Métaphysique !…

— Voyons, Docteur, est-ce que le pharmacien n’a pas tiré de vous des expressions plus… vives que nature ?… des programmes ou des articles que vous ne pouvez pas relire sans…

— Si vous croyez que je les relis !…

— Enfin vous avez extrait de vous ce que vous ne saviez pas contenir. Et vous ne pouvez pas renier votre… Implexe.

— Il faut croire que j’avais l’Implexe un peu chargé… Quand cela a été fini, que j’ai eu liquidé des comités, payé les frais et noblement remercié les cent treize fidèles…

— Quoi !… Pour cent treize voix…

— Contre Deux mille Quarante Cinq… Au premier tour.

— Vous avez traité un homme de vendu, de traître…

— Il a bien fait allusion à des goûts que je n'ai pas…

— Vous ne savez pas si après-demain…

— J’en réponds. Sur ce chapitre, je suis maître de moi…

— Comme de l’Univers… Mais pas davantage…

— Je me moque de l’Univers…

— Je vous en sais un gré… infini. Docteur…

— Pourquoi ?

— C’est que l’Univers…

— Malheur à nous… Il va se payer encore un perroquet !…

— Celui-ci est le Perroquet des perroquets… Psittacus Psittacorum.

— Et vieux, en outre ! Il a un certain âge.

— Et il est marié.

— Pas possible…

— Avec la perruche Nature… Ces oiseaux magnifiques… majuscules, éblouissent le ciel de l’esprit. Ce sont deux puissants Mots.

— Et vous les mettez sous le microscope…

— Il le faut bien. Je causais de l’Univers, il y a quelque temps, avec un savant Savant… Étoiles, atomes, espace, ondes, transmutations, etc, etc… Vous entendez cela…Tout le matériel actuel…

— Très compliqué.

— Oui. Il y a peu de tout. Des images, des entités inimaginables ; le hasard et la nécessité qui s’accouplent plus ou moins monstrueusement ; des nombres entiers qui assassinent les décimales ; vos tables de mortalité qui prennent un intérêt astronomique…

— Il y a trop de faits, voyez-vous… On ne sait plus comment ramasser tout ce que l’on gagne à la loterie de l’expérience. Tous les résultats parlent à la fois…

— Et c’est la confusion mentale…

— Qui se confond avec la confusion de la réalité.

— En somme, je parlais de l’Univers avec mon savant ; et je lui dis tout à coup : qu’entendez-vous, au juste, par ce mot ?

— Je vous entends d’ici !

— Et bien, il y a longuement hésité… Son visage a pris une expression… indéfinissable…

— C’était le cas…

— Son regard m’a abandonné… Supprimé, dirais-je…

— Voilà une bonne idée. C’était le traitement de choix.

— Et puis il est redescendu du monde…

— Où l’on ne trouve rien.

— Et il m’a dit : une sphère…

— Dont le centre est partout et…

— Non. Une sphère… telle… que rien n’existe hors d’elle.

— Je parie cent mille dollars que vous n’avez pas été satisfait.

— Votre fortune est faite.

— Vous voyez ?

— Quoi, Docteur ?

— Que vous avez une idée fixe, que je l’ai repérée, et que je vous prévois à tout coup, comme je veux !… Je vous manœuvre ad Libitum !

— Mais pas du tout !… Ce n’est qu’une omnivalente… Que diable !

— Encore…

— Et sur ce roc artificiel, nous nous livrons au combat des magiciens !

— Je me change en psychopathe !…

— Je me change en logicien…

— Je vous enferme…

— Je vous…

— A moi, mes fidèles, mes Deux cent treize…

— Vous trichez… Vous avez dit : Cent treize, tout à l’heure…

— Malheur de malheur… C’est la lutte électorale qui recommence..

— Non ! Ah ! Non… Lutte électorale polémiques, épithètes… Mais tout cela, mon cher Docteur, c’est le hideux. Univers de l’Automatisme.

— C’est assez vrai… Je vous disais, il y a un instant, — ou plutôt, j’allais vous dire que quand cette histoire a été finie…

— Tout payé, et les fidèles remerciés, le comité liquidé…

— Oui… J’ai eu l’impression de sortir d’un rêve, de redevenir « moi-même » [.]

— Le rêve donc existe ?

— Exactement comme l’Univers…

— Gare à l’automatisme !…

— Il n’y a pas moyen de s’en passer.

— D’accord… Mais je crains ses progrès…

— En quoi voyez-vous qu’il soit en progrès ?

— L’imitation est la loi du monde actuel. Ses connexions deviennent d’une richesse excessive. Tous les peuples s’imitent. Les capitales ne différent des unes des autres que par les restes du passé… Et il y a d’ailleurs une puissance invincible qui agit, et agira de plus en plus dans ce même sens ?

— Et quoi ?

— La discipline mentale positive, imprimée aux esprits par l’usage ou l’abus des applications des sciences.

— Il y a eu toujours une discipline mentale appliquée à l’énorme majorité des esprits.

— Oui. Il y a eu une discipline… mystique ou métaphysique, — mais inculquée. Je crains que la nôtre, la positive, la justifiée, ne vienne à diminuer dans les têtes la quantité de… Souverain Bien…

— Qu’est-ce que vous dites ?

— Oui. La quantité… ou plutôt le degré de Liberté de l’esprit, — qui est le Souverain Bien.

— J’avoue que je ne vous suis plus. J’aurais cru, au contraire…

— Si… On peut se défaire d’une autorité d’origine externe, — dénouer tous les nœuds, cisailler tous les fils étrangers… La défense est possible… Mais il est presque impossible de se défaire d’habitudes d’esprit qui sont renforcées par l’expérience autant que la pensée peut l’être, et que justifie la critique aussi souvent qu’elle s’applique à les contrôler. La puissance du moderne est fondée sur « l’objectivité ». Mais à y regarder de plus près, on trouve que c’est… l’objectivité même qui est puissante, — et non l’homme même. Il devient instrument, — esclave, — de ce qu’il a trouvé ou forgé : une manière de voir.

— Une méthode… Mais si cette manière est la bonne ? Si elle est comme le seuil, la limite, où des siècles de tâtonnements ont abouti, et devaient aboutir ?

— Assurément… Mais gare à l’automatisme !

— Comment !… Vous faites la chasse aux perroquets, vous poussez à la précision et puis, vous tournez casaque !

— Non. D’ailleurs, il n’existe pas d’esprit qui soit d’accord avec soi-même. Ce ne serait plus un esprit. Mais écoutez un peu. Permettez moi de m’égarer un peu dans la brousse de la morale.

— Allez ! Monsieur…

— Supposez que, par une autorité quelconque…

— Comme toutes les autorités.

— Un code de morale, une table des valeurs morales ait été établie ; le bien le mal, nettement définis ; tous les actes imaginables affectés de coefficients éthiques, positifs ou négatifs…

— Ou nuls… Mais tout ceci existe…

— A peu près. Supposez maintenant que par un procédé également quelconque, suggestion toute puissante, pédiatrie, pédagogie, aussi efficace que la nôtre l’est peu, et qui soit à la nôtre ce que nos moyens matériels sont à ceux des peuplades les plus barbares, — on soit parvenu à rendre l’acte bon tout à fait réflexe, et presque irrésistible ; l’acte mauvais, excessivement pénible, douloureux, même à imaginer…

— Et alors ?

— Alors ?… D’abord, plus de mérite, n’est-ce pas ?… Le bien ne coûterait rien. Au contraire, le mal serait hors de prix…

— Tout marcherait des mieux.

— Mais les moralistes seraient désespérés…

— Je n’y vois pas d’inconvénient… Et pourquoi ?… Ils seraient au comble de la jouissance… Plus de péché, plus de fautes, plus de crimes…

— Mais pas du tout… Ce n’est pas le bien qu’ils aiment… C’est la peine que l’on s’inflige pour faire le bien.

— Mais ce sont des sadiques !

— Ce sont des « sportifs ». Ils goûtent l’effort pour l’effort. Vertu c’est force. Toute force contrarie quelque force. Si je fuis le mal… comme ma main fuit une chose brûlante, — si l’occasion de faire le bien agit sur moi comme agit sur les glandes salivaires…

— Les tripes…

— Horreur… Non, quelque beau fruit !… Alors, la conduite humaine…

— Le comportement.

— Ce mot m’agace… Inutile et récent.

— Phobie !… Il est excellent.

— Bref, je dis que la conduite humaine, ainsi réduite à un automatisme… vertueux, n’offre plus rien d’intéressant.

— Ceci va loin… Va jusqu’en Cour d’Assises.

— Vous ne voyez donc pas que cet automatisme éthique ruinerait tout le monde moral ?…

— C’est plutôt un demi-monde…

— Tarirait la source inconnue de cette « énergie de première qualité », qui…

— Qui quoi ?

— Qui… Enfin, qui anime les actes dont tout l’attrait est idéal… Il exterminerait aussi toute cette subtilité que développent les conflits intestins…

— Oh ! Oh !

— La casuistique de chacun, les ingénieuses inventions qui nous permettent de mentir à nous mêmes…

— Puisque nous nous parlons, nous pouvons bien nous mentir…

— Oui… nous mentir
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— Vous avez de petits oiseaux dans la manche, ou un bocal de poissons rouges.

— Non. Un souvenir. et qui vient à point.

— Voyez-vous ce petit malin de souvenir qui guettait le moment exact de faire son effet et il ne veut pas rater son entrée.

— L’A-propos est l’intelligence de l’Implexe… Ou, si vous préférez une formule plus… aseptique : l’A—propos est le tropisme de l’Implexe.

— L’honneur est satisfait.

— Ceci revient à dire qu’il semble que ce qu’il faut, dans telle circonstance soit attiré, appelé par la circonstance même.

— Que peut-on demander de plus ?… Ah ! Vous m’en faites voir de toutes les couleurs ?… Et après ?

— Eh bien, je crois qu’il faut envisager, à côté des développements psychiques « morbides » ou crus tels ; — des développements d’une autre espèce, peut-être encore plus rares… D’ailleurs, il n’est pas toujours facile de discriminer…

— J’adore ce mot. Il fait toujours très bien… Discriminons, discriminons…

— On pourrait appeler ceux-ci : des écarts, ou des excursions harmoniques…

— Oh ! là… là… là… là !…

— Si vous croyez qu’il est facile de décrire et de dénommer ces choses-là !…

— Discriminons : ce qui n’existe pas est toujours facile à nommer, mais très difficile à décrire. Et vous vous y prenez fort galamment.

— Docteur, Docteur… Prenez garde… Voyons, vous ne concevez donc pas qu’il y a un travail mental qui s’éloigne de l’état de liberté ou de disponibilité ordinaire de l’esprit, qui s’oppose à la fois à la divagation et à l’obsession, et qui tend à ne s’achever (quand la fatigue ne le force pas à s’interrompre) que par la possession d’une sorte d’objet… mental, dans lequel l’esprit reconnaît ce qu’il désirait ?… Et cependant, — riez, si vous l’osez, — il ne connaissait pas ce qu’il reconnaît… Mais il pouvait s’y tromper.

— La voix du sang…

— C’est cela… Bien mieux… Vous avez beau pouffer, vous avez mis dans le mille, ou fort près… C’est bien mieux que la voix du sang… Tenez, je ne veux pas vous dire ce que c’est.

— Ce n’est pas gentil.

— Non. Concédez-vous qu’il y a un travail mental qui tend à former ou à construire… ou plutôt, à laisser se former toute une chose, tout un système, dont une partie, ou bien quelques conditions sont données ?

— Comme Cuvier ?

— Grosso modo… Ou encore, concédez-vous que les mots Ordre et Désordre correspondent à quelque chose ?

— A quelque chose de tout à fait relatif.

— Entendu. Eh bien, dans ce relatif, la plupart des gens, l’immense plupart n’opèrent que… timidement, ne perçoivent dans leur esprit, à partir de ce qui le sollicite, que des… commencements. Ils poursuivent à peine, coordonnent vaguement. La plupart des pensées de la plupart demeure à jamais à l’état naissant… Ils ne savent ou ne peuvent… apprivoiser leur Implexe.

— Croyez-vous ?

— En tout cas, je suis sûr d’une chose : rien de plus rare que la faculté de coordonner, d’harmoniser, d’orchestrer un grand nombre de parties. Ce travail là, cette production d’ordre, demande, à mon avis, deux conditions antagonistes… Il faut maintenir, soutenir hors du… moment, hors du temps… ordinaire…

— Il y aurait donc un temps extraordinaire… C’est cela qui l’est, extraordinaire !… On vole de surprise en surprise, avec vous… On n’a pas un instant de sécurité…

— Mais oui. Pourquoi pas un temps extraordinaire ?… Vous admettez bien qu’un espace où l’on produit un champ magnétique a des propriétés qui ne sont plus d’un espace… banal ?

— Soit. Je me résigne à tout.

— Vous maintenez donc à l’état présent et indépendant ces facteurs distincts.

— Et puis ?… Ma tête s’égare…

— Et alors, comme dans un milieu liquide calme et favorable, et saturé…

— C’est tout à fait mon cas.

— Se forme, se construit une certaine figure, — qui ne dépend plus de vous.

— Et de qui, Bon Dieu ?

— Des Dieux !… Pardieu !… Il faut, en somme, se soumettre à une certaine contrainte ; pouvoir la supporter ; durer dans une attitude forcée, pour donner aux éléments de… pensée qui sont en présence, ou en charge, la liberté d’obéir à leurs affinités, le temps de se joindre et de construire, et de s’imposer à la conscience ; ou de lui imposer je ne sais quelle certitude… Tenez, supposez que nous ayons conscience de tout le travail effectué par notre œil quand il s’accommode. Il s’agit d’arriver à la vision nette. Vous disposez de plusieurs organes variables. Une lentille déformable ; un diaphragme contractile ; des appareils de direction et de convergence. Chacun de ces organes peut prendre des configurations indépendantes. Imaginez à présent que pour composer le système de valeur unique auquel correspondra la vision nette de tel objet, vous soyez contraint à un effort très sensible, — si sensible que peu d’individus puissent le soutenir ; et si limité par le temps, ou la peine, que la vision nette prenne le caractère exceptionnel, — très précieux, — génial, que nous attribuons [à] la vision mentale de qualité suprême…

— Je comprends, je comprends… Je consens qu’il y a quelque apparence…

— Docteur, vous avez mérité une petite histoire.

— Ah… Enfin !…

— Je me trompe ; c’est une grande histoire, — fort courte. Je vous ai dit tout à l’heure qu’il me venait un souvenir…

— Oui…

— Je vous l’offre. Il est beau, et il a quelque rapport avec ce que nous disons.

— Et si d’ailleurs il n’en a aucun, nous y pourvoirons.

— Oyez. Il y a deux ans, Einstein est venu à Paris donner deux conférences sur ses travaux les plus récents…

— Je vous avoue que je n’ai pas saisi grand chose de ce que j’ai lu ou entendu dire de ses théories.

— Ceci importe peu… D’ailleurs, rassurez-vous… Le plus grand nombre des auditeurs ne suivait qu’à grand peine… Et c’étaient, tous moins un, des savants. En deux mots, il s’agit de dégager ce qui subsisterait de notre Physique si l’on voulait en recommencer les observations et en refaire les expériences et les mesures dans un laboratoire… pas trop grand, (mais plus grand qu’un atome) qui se déplacerait ad libitum dans l’Univers. On suppose que quelque chose, quelque résidu de nos lois, — lesquelles ont été découvertes et formulées dans des conditions locales, — doit se conserver, en dépit du déplacement de l’observateur, des vitesses, et même des variations de vitesse, — du laboratoire… Un immense progrès avait été fait, du jour où l’on avait transporté sur le Soleil l’observateur du système du monde. Mais la Théorie de la Relativité veut le libérer complètement de toutes les apparences dues aux déterminations locales de ses mesures et à son état de mouvement. Cette Physique des Physiques a été conçue et construite par Einstein sous forme d’une Géométrie…

— Je n’y vois plus…

— Mais si… tenez : image grossière. Imaginez une feuille plane de caoutchouc.

— Je m’y résigne…

— Tracez une figure sur cette feuille.

— Je trace. Je fais un triangle.

— Bon. Votre triangle a des propriétés…

— Des tas de propriétés…

— Maintenant ployez, tordez, tirez comme vous voudrez votre feuille élastique ; Qu’est-ce qui subsiste de ces propriétés ?

— Je n’en sais fichtre rien.

— Quelque chose en subsiste… Si vous aviez bâti une géométrie du triangle plan que vous aviez tracé, et si vous en faites une qui convienne à une déformation du caoutchouc, et une autre à une autre…

— Que de géométrie !…

— Il n’est pas absurde de rechercher les axiomes ou les propositions.

— Qui ne se déformeront pas.

— C’est cela…

— Et c’est cela, Einstein ?

— En plus riche. Songez qu’il faut… tordre, ployer, étirer… toute la Physique, et le Temps…

— Quel gaillard !… Mais l’anecdote, car tous ces prolégomènes sont un peu trop abstraits.

— Voici… Mais observez primo : qu’il ne s’agit de rien moins que de poursuivre et de définir l’Unité de la Nature…

— Mais qu’est-ce qui me prouve qu’il y a de l’unité dans la nature ?

— C’est précisément la question que j’ai posée à Einstein. Il m’a répondu : C’est un acte de foi.

— Aïe…

— Oui. Il semble qu’il espère isoler des résultats de la physique, une certaine expression qui représente ce que l’homme peut atteindre de plus… objectif… Remarquez que la connaissance se déplace du plus subjectif au moins subjectif.

— Qui me prouve que cette modification du… consentement des esprits ne changera pas de sens ?

— Ici, je n’ai rien à dire…

— A l’histoire, au fait !…

— Vous concevez que pour suivre son dessein, il a dû faire des hypothèses. C’est là que je voulais en venir, — et c’est à quoi s’adapte le mot que je vais vous répéter…

— Et qui vous a ravi.

— Rien ne pouvait m’atteindre, me toucher davantage… A la fin de sa deuxième leçon, comme il venait d’écrire la suprême formule, Einstein se tourna vers l’auditoire… Il est plein de charme. Le corps assez alourdi. Le visage pâle et plein, aux yeux orientaux, noirs et très lumineux. Il a du virtuose. L’air d’un musicien— Je ne sais quoi de musical dans l’allure et la physionomie. D’ailleurs, l’homme le plus simple… Il sourit aisément et rit très volontiers… En terminant, il a insisté sur le caractère purement spéculatif des résultats qu’il venait d’exposer. (Il s’était particulièrement occupé de décrire un milieu continu tel que l’orientation d’un n — uple P étant donnée…

— Qu’est-ce que vous me chantez-là ?…

— C’est juste… Il a dit enfin qu’il ne fallait pas, de longtemps, songer à la moindre vérification expérimentale de ses travaux. Il semblait s’excuser de ses hardiesses. Il a mis en évidence, avec une sorte de coquetterie et beaucoup d’humour, tous les points hasardeux de sa construction… Et c’est alors qu’il a conclu par ce propos qui m’a ravi, vous l’avez dit, — ravi au sens le plus fort de ce terme, au sens… aquiléen, ou aquilin !

— Bigre !…

— La distance, a-t-il dit, entre la théorie et l’expérience est telle, — qu’il faut bien trouver des points de vue d’architecture.

— Bizarre… Qu’entendait-il au juste par là ?

— Qu’il se fiait, — en toute conscience, — sachant nettement ce qu’i
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— J’ai bien peur…

— Vous désespérez de l’espoir ?

— Je crains. Je crains, — parce que j’ai remarqué, (ou cru remarquer) que les faits les plus simples, les plus fréquents, les plus anciennement observés et dénommés, sont aussi les plus négligés par les auteurs. Ne croyez-vous pas que la préoccupation pathologique, qui domine presque nécessairement les recherches ne soit une cause…

— De déformation ?

— Je n’osais le dire… Et de lacunes… Et même de travail inutile… mal orienté…

— Mais, mon cher, c’est possible. Mais remarquez qu’il n’y aurait guère de recherches sans cette préoccupation. Et puis, que de clartés donne la pathologie !… La vie, encore possible dans une condition plus ou moins altérée, diminuée, précaire ; la lutte ; les suppléances, les réactions… tout cela est aussi suggestif que, — mettons, — les déplacements de l’équilibre dans un système physico-chimique… Et je ne parle pas des vérifications de diagnostic, les nécropsies…


— Oui. Oportet haereses esse. Il faut qu’il y ait des anormaux, et des malades. Mais je vous avoue ne pouvoir me défaire de l’impression que je vous disais.

— Allez-y.

— J’ose avoir l’impression que la physiologie ne tient pas la place qu’elle devrait tenir.

— Comment ? Mais l’on fait des travaux magnifiques…

— Dans les études…

— Je concède que l’on n’en fait peut-être pas assez… Mais où prendre le temps ? Nous vivons dans une époque dure. Il faut acquérir au plus tôt les connaissances utilisables, convertibles en deniers…

— Je ne parle pas seulement des praticiens. Et d’ailleurs, je parle en profane… D’où vient mon impression ?… C’est que je n’ai trouvé nulle part, — je veux dire dans aucun livre qui me soit tombé sous les yeux, — trace d’une… tendance, d’une intention de se faire de l’être vivant une présentation d’ensemble… En somme, une idée du fonctionnement d’ensemble… Je trouve de grandes fonctions merveilleusement décrites, mais, point de tentatives de synthèse… C’est un peu comme si les physiciens s’en étaient tenus à étudier séparément optique, mécanique, chaleur, chimie… Ils ont cherché des relations. Croyez-vous, qu’un organisme soit moins… unifié qu’un univers ?

— Mon cher, vous demandez la lune…

— Je sais ! C’est ma fonction… Je vais un peu plus loin. J’ai idée, peut-être fausse que la physiologie du XVIIème siècle était moins… particulariste que la nôtre…

— Mais ils faisaient de la métaphysique…

— Plutôt de la « Méchanique »… Barthez…

— Métaphysique, métaphysique…

— Attendez. Je demande la parole pour un fait personnel. Ce fait illustrera ma modeste thèse beaucoup mieux que tous les arguments. J’ai demandé dix fois, vingt fois,… à dix, vingt médecins, — des neurologistes, s’il vous plaît, — s’il existait une table systématique des réflexes connus.

— Je n’en connais pas.

— Ah !

— Mais on trouve tout cela dans les traités de physiologie et de pathologie dans les mémoires… etc… Voyez, Babinski, Foix, Froment…

— Trouvez-vous “scientifique”, cette lacune ?… Je vous pose la question en toute ingénuité, — ce qui veut dire, que pensant… ingénuement, — à un être vivant fonctionnant ; — observant que ce fonctionnement se décompose en modifications, dont les plus apparentes sont du type réflexe, je me suis dit bien des fois que si je faisais mon étude, ma spécialité, de l’étude des vivants, je voudrais posséder cette table, la méditer, essayer de suivre sur mes sujets les effets de combinaisons, de conflits, etc… de ces actes élémentaires si remarquables… C’est une mécanique toute particulière où les questions de temps jouent un rôle essentiel… Où voyez-vous de la métaphysique là-dedans ?

— Dans vos yeux. Monsieur l’Amateur de Réflexes !… Vous lancez des éclairs de sainte fureur… Vous réagissez violemment à l’idée de l’absence de la Table… dont je ne vois pas que l’extrême urgence s’impose.

— Attendez. Maintenant je vous prends à partie. En personne. Autre idée.

— Gare dessous !…

— La Thérapeutique passe pour changeante.

— Je l’ai entendu dire.

— Ce qui guérit en 1880 nuit en 1890.

— Oui. Il y a une période de dix ans, environ. Question de mode, je le veux bien. Question de progrès, surtout.

— Mais s’il y avait aussi autre chose ?

— Et quoi donc ?

— Un changement intime…

— De quoi ?

— De l’homme ? — Un changement des… goûts de nos cellules, et donc de leurs réactions ?

— Mon bon Robinson, vous ne vous refusez rien.

— C’est l’immense et inexpugnable privilège de l’ignorance… Je me permets tous les essais.

— Et je vous sers de cobaye.

— Ma foi, chacun son tour… Eh bien. Docteur, savez-vous ce qu’il faut que vous fassiez ?… Je vous garantis la gloire.

— Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de la gloire ?

— De l’euphorie !

— On voit que vous ne savez pas ce que c’est. Moi, j’ai soigné quelques glorieux… Il faut toujours les « remonter » !…

— Écoutez, écoutez… Existe-t-il une Histoire de la Thérapeutique ?

— Vous réclamez encore un livre ?… Je ne crois pas.

— Faites-là.

— Moi ?… Ah non ; par exemple !

— Vous pourriez la borner au XIXème et à ce que nous avons vécu du XXème siècle…

— Mais vous n’avez aucune idée du travail que…

— Je vous jure qu’il en sortira quelque chose…

— Non, Monsieur, non et non. Pourquoi voulez-vous que je fasse ce à quoi je n’ai jamais songé ? Je suis Médecin. Médecine générale. J’exerce, et voilà tout !… Pas de théorie. Pas d’écritures. J’ai bien assez de mes malades.

— Et le mal de l’activité ? Et l’article de l’ « Encéphale » ?

— C’est moins vaste. D’ailleurs, je vous redis : je n’ai jamais songé à faire des livres…

— Moi non plus… Et pourtant…

— Ce n’est pas mon affaire, pas dans ma ligne…

— C’est dans votre implexe. Docteur… Prétendez-vous vous prévoir jusqu’à l’an prochain ? Ce que je vous dis là va travailler en vous…

— Dans le Sub ?… Je suis bien tranquille.

— Moi aussi. Je sais trop que nous ignorons le sort des choses que nous entendons ? Il n’est pas impossible… Il est probable que tout nous modifie et qu’il n’est pas d’incident même inaperçu qui ne puisse germer, et produire un beau jour dans notre cervelle un effet qui nous surprenne et dont nous ne puissions concevoir ni identifier l’origine.

— C’est l’ex-théorie de l’imprégnation. Une blanche épouse un nègre ; l’enterre ; se remarie à un blanc, qui la rend mère d’une ribambelle de négrillons… Stupeur !…

— Voilà une excellente image du « spontané »… Donc, prenez garde… Vous allez couver sans le savoir…

— Oh ! Oh !… C’est un peu fort !… Voilà que vous essayez de me suggestionner…

— A moi la pose !… C’est le combat de l’amateur contre le professionnel. C’est une vieille histoire… C’est le grand combat des magiciens…

— Quel combat ? Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire de magiciens ?

— Vous ne vous souvenez pas ?… Ce conte arabe…

— Je ne vois pas ce que vous voulez dire.

— C’est un conte fort beau… Mais j’y songe… Il me semble bien qu’il y a un analogue dans la Bible. C’est peut-être une variante ou une dégénérescence du thème ?

— La Bible… Ma foi, je n’y suis pas… D’ailleurs, entre nous, je ne l’ai peut-être jamais lue…

— C’est assez curieux. L’ensemble est bizarre… Mais il y a de beaux endroits.

— Et alors ?

— Il y avait un Pharaon. Il avait un collège de magiciens attachés à sa personne.

— Pauvre homme…

— Survient Moïse.

— Je l’admets. Si rien ne survenait, il n’y aurait pas d’histoire.

— Très juste. On pourrait en faire une théorie du roman…

— Parfaitement inutile. Voyons Moïse.

— Moïse survenu émerveille le Roi par divers prodiges… Il change l’eau en sang, tue les poissons à distance…

— Ce n’est pas mal… C’est la guerre de demain !

— Les sorciers sont piqués au jeu…

— Ils sont jaloux, parbleu !… C’est régulier. Ce sont les officiels, en somme ?

— C’est cela…

— L’histoire doit être vraie.

— Alors le Pharaon ouvre un concours…

— Il a osé ?… Contre ces gros messieurs ?

— Il paraît… C’était un concours de parasites.

— C’est bien ce que je pensais. C’était à qui vivrait aux dépens du brave Pharaon.

— Mais non… Il s’agit de parasites ès qualités… Des parasites… au propre, si j’ose dire. Des grenouilles, des sauterelles…

— Mais ce ne sont pas des parasites…

— Des moustiques…

— Fichtre !… Anophèles !… Pharaon était paralytique général… C’est clair.

— Moïse, de son côté, faisait de son mieux. Il prodiguait les maux et les catastrophes.

— C’était un vrai homme d’État… Et il a gagné ?…

— Mais ce n’est pas cette histoire là que je voulais vous raconter. C’était le conte arabe, que je trouve plus approprié…

— Vous en savez, des choses cocasses !…

— C’est professionnel… Dans le conte arabe, c’est d’un duel de magiciens qu’il est aussi question. C’est à qui dévorera l’autre.

— Je vois cela. C’est de la concurrence vitale. La Biologie en raccourci.

— Et la Littérature !…

— Et tout !
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Les Jeux olympiques de littérature Louis Chevaillier Éditions Grasset
« Certains d'entre vous apprendrez que dans les années 1912 à 1948, il y avait aux Jeux olympiques des épreuves d'art et de littérature. C'était Pierre de Coubertin qui tenait beaucoup à ces épreuves et on y avait comme jury, à l'époque, des gens comme Paul Claudel, Jean Giraudoux, Paul Valéry et Edith Wharton. Il y avait aussi des prix Nobel, Selma Lagerlof, Maeterlinck (...). C'était ça à l'époque. C'était ça les années 20. Et c'est raconté dans ce livre qui est vraiment érudit, brillant et un vrai plaisir de lecture que je vous recommande. » Marie-Joseph, libraire à La Procure de Paris
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