Reinhold Messner est incontestablement un "personnage" dans le milieu de l'alpinisme. Un homme à part, un homme exceptionnel.
Anticonformiste autoproclamé, il est loin de faire l'unanimité. Si ses exploits sportifs ne peuvent que susciter l'admiration, le bonhomme agace beaucoup, voire inspire parfois des réactions hostiles assez violentes.
Il faut dire qu'il a une sacrée personnalité, n'hésite pas à donner son avis sur tout (et tous), à critiquer ouvertement ce qui d'après lui mérite de l'être, et à donner des leçons. Quitte à se montrer souvent très arrogant et méprisant envers ses détracteurs. Pour lui, ceux qui le jugent mal font preuve de faiblesse ou sont jaloux, et il les envoie promener d'une phrase condescendante : "Ne faut-il pas être indulgent avec les perdants ?" Voilà qui explique que Messner ne plaise pas à tout le monde.
Dans ce livre écrit pour ses soixante-dix ans, on trouve à travers soixante-dix chroniques l'essentiel de
Reinhold Messner : sa vie d'alpiniste, sa vie de citoyen, sa vie d'homme engagé pour de multiples causes.
Par petites touches successives, un portrait se dessine.
Ce qui frappe avant tout, c'est cette volonté farouche d'indépendance qui est l'une de ses marques de fabrique et qu'il clame une fois de plus haut et fort dans ce recueil.
"Je refuse qu'on me contrôle" dit-il d'une façon générale, ou à propos d'internet et des moyens de communication "Je ne supporte pas qu'on puisse me joindre à tout moment", ou encore "Je me méfie des idéaux imposés. Comme des normes sociales universelles." Des phrases de ce genre, on peut en extraire tant qu'on en veut. L'insoumission est vitale chez Messner.
Ce que l'on remarque aussi, c'est une vitalité débordante. Qui transparaît dans ses exploits sportifs, et qui se voit sur son visage : une grande bouche énergique, comme prête à avaler le monde entier, et un regard puissant et déterminé. Des caractéristiques que l'on trouve déjà sur les photos (bienvenues dans le livre) de Reinhold enfant.
À ce sujet, on peut se demander si l'enfance de Messner n'explique pas en grande partie l'adulte qu'il est devenu. Grandir dans cent mètres carrés au milieu d'une fratrie de neuf enfants, habiter un petit village entouré de montagnes : voilà qui a pu donner des idées d'aventure et d'évasion à un enfant qui a manifesté dès le plus jeune âge des goûts indépendants.
En tout cas, le petit Reinhold est devenu le grand Messner, un alpiniste de génie, doté de qualités physiques et psychologiques incontestables qui lui ont ouvert les portes des plus grands exploits : les quatorze 8000, tous sans oxygène, dont la première de l'Everest sans oxygène, l'ascension de sommets de plus de huit mille mètres en "technique alpine", c'est à dire sans portage ni installations de camps par des sherpas, etc. La liste serait trop longue si l'on devait tout énumérer. Il y a dans l'histoire de l'alpinisme un avant et un après Messner, tant il a réalisé des choses dont tous les spécialiste disaient qu'elles étaient impossibles.
Pour conclure : le sur-vivant n'est pas exempt de défauts (comme son auteur !). Certains passages sont moins réussis, d'autres ne sont pas très bien rédigés (ou traduits ?). On trouve enfin, vu la forme du livre, des redites.
Mais qu'importe ! On pardonne volontiers ces petites faiblesses, largement compensées par l'intérêt général. Et par quelques passages très originaux, comme dans le chapitre "Temps".
Certains faits de l'histoire de l'alpinisme sont évoqués de façon plutôt succincte (l'histoire de Bonatti, ou l'expression "la conquête de l'inutile" utilisée à plusieurs reprises, calquée sur le titre du livre de Lachenal "les conquérants de l'inutile"), et je pense que certaines choses pourront du coup paraître peu claires pour les lecteurs non initiés, mais mise à part cette petite réserve, ce livre est une très bonne façon de découvrir
Reinhold Messner, ou d'apprendre à mieux le connaître, car il n'y parle pas que de montagne, il y parle aussi beaucoup de lui-même.
La fin en particulier est assez touchante car le génial alpiniste s'y livre comme jamais : il parle sans détours du vieillissement, de la baisse de ses capacités physiques et intellectuelles. Mais attention, le vieux lion rugit encore ; il pousse encore ses "coups de gueule", il fustige, il dénonce... Messner n'est pas fini !
"Se donner le droit de choisir son chemin oblige en quelque sorte à se réaliser et à réussir sa vie." :
Reinhold Messner a choisi son chemin, et il a incontestablement formidablement réussi.
Un grand merci à Babelio et aux Éditions Glénat de m'avoir envoyé ce livre dans le cadre de l'opération Masse Critique.
Enfin, si le personnage vous intéresse, je vous conseille vivement le documentaire (visible sur internet) "Messner - Profession : alpiniste". Vous y découvrirez un homme hors du commun, et, ce qui ajoute au plaisir, de magnifiques images de montagne.