Ce dernier tome achève de façon magistrale une série qui m'a fait voyager du début à la fin. J'ai tout aimé, de l'univers à la fois dangereux et plein d'une vitalité semblable à celle des origines, peuplé de créatures étranges, poétiques et émouvantes, d'humains tiraillés entre leurs aspirations multiples ; à l'histoire trépidante, remarquablement bien conçue, qui sait où elle emmène son lecteur, en passant par les personnages, tous plus attachants les uns que les autres ; on les voit grandir, évoluer sous nos yeux, ils incarnent tous quelque chose de différent et suivent chacun leur propre chemin. Je ne saurais tarir d'éloge sur la qualité de cette saga.
Passons maintenant à ce tome 7, en particulier. le dénouement final, avec d'abord cette relation étrange qui se construit entre Nausicaä et le Dieu-guerrier, qui la considère comme sa mère. Pour rester dans l'analogie biblique, Nausicaä fait un peu ici figure de vierge Marie (d'ailleurs, l'être vêtu de bleu, ça fait un peu référence à ça aussi, si ce n'est pas trop vouloir tirer les cheveux à l'analyse), tandis que le Dieu-guerrier, né pour rendre la justice et guidé par sa mère, va se sacrifier pour sauver les humains, malgré leurs défauts et leur corruption.
J'ai aussi l'impression que le Dieu-guerrier évoque l'arme nucléaire, parce qu'il irradie d'une lumière qui empoisonne les humains et qu'il peut littéralement tout faire exploser à tout moment, même si tout dépend comment on l'utilise. D'ailleurs la guerre des sept jours où les Dieux-guerriers ont complètement détruit l'ancien monde, à mon sens, évoque indirectement la menace de la guerre nucléaire qui nous hante depuis la guerre froide, et j'imagine qu'elle est encore plus présente dans l'imaginaire collectif du Japon, qui l'a douloureusement vécu avec les bombardements d'Hiroshima et Nagazaki.
La découverte du secret du cimetière de Shuwa et la confrontation entre Nausicaä et le maître du cimetière sont le coeur de ce dernier épisode, et nous livrent un propos écologiste et humaniste remarquable. Ce dénouement, en effet, est une belle tranche de philosophie que n'aurait pas reniée Spinoza : Nausicaä se retrouve face à un dilemme que seule son éthique va lui permettre de trancher : elle apprend que la mer de la décomposition était une entreprise humaine, destinée à purifier la Terre de toutes ses pollutions.
Les humains qui ont survécu depuis ont appris à vivre avec, leurs corps ne sauraient plus vivre dans une atmosphère et un environnement sain. La dépollution est en train d'arriver à son terme, et ainsi tous les humains vivants aujourd'hui sont condamnés.
le cimetière de Shuwa est en fait un gardien qui couve depuis des siècles les germes de l'humanité à venir : ces êtres seront purs et pacifiques, ils ont été modifiés pour vivre en paix dans le monde nouveau. C'est l'espoir d'une humanité nouvelle, d'un monde parfait, libéré des souffrances. Mais tous ceux qui vivent aujourd'hui, tous ceux que Nausicaä aime doivent disparaître.
Et Nausicaä dit non. On ne peut sacrifier ce qui vit aujourd'hui pour ce qui n'est pas encore, c'est la posture humaniste, tout comme on ne peut sacrifier ce qui n'est pas encore pour ce qui est aujourd'hui, c'est la posture écologiste. La solution réside dans l'adaptation, la vie en symbiose avec la forêt, les insectes et tout l'environnement. Elle sait que c'est un chemin difficile, que les humains vont souffrir, encore, que leurs corps seront mis à rude épreuve, qu'ils vont continuer à se battre, à se haïr, mais aussi à s'aimer, à s'entraider. Cela reste préférable à l'extinction d'une espèce pour la remplacer par une autre qui ne lui ressemblera en rien.
Et c'est là, à mon sens, qu'est la posture spinoziste, car Spinoza explique dans l'Ethique que nul être vivant ne peut souhaiter sa propre disparition, à moins d'être dans l'erreur, d'être gouverné par ses passions et non par sa raison. Etre guidé par la chimère d'une humanité meilleure au point de renier celle qui existe vraiment, c'est être gouverné par ses passions, c'est vivre dans l'illusion.
On le voit bien d'ailleurs, dans le fait que le maître du cimetière prend différentes formes, différents visages pour s'adresser à Nausicaä. Il essaie de la séduire, de l'embobiner, de la tenter. Et la tentation est grande, pour elle qui n'aspire qu'à la paix. Il lui faut donc énormément de détermination et d'amour pour ses pairs pour résister et dire non.
Non, on ne peut pas vouloir détruire l'humanité au profit d'une humanité meilleure, parce qu'elle ne serait tout simplement pas l'humanité, elle serait autre. Et aucun être, aucune espèce, ne peut désirer son anéantissement parce que l'être n'aspire à rien d'autre qu'à perpétuer sa nature. Voilà pour ce qu'en dirait - probablement - Spinoza.
Ce dilemme est passionnant, et c'est aussi une mine intarissable d'histoires ; il s'est déjà beaucoup mis en scène dans la science-fiction (je pense notamment au film Interstellar, où l'enjeu est exactement le même, sauf que ça se passe dans l'espace avec des histoires de physique quantique et de voyage dans le temps).
J'aurais un seul bémol à apporter à toutes ces critiques dithyrambiques que j'ai ajoutées tome après tome, et il est d'ordre stylistique. C'est à propos de la manière dont ce beau discours éthique et écologique est mis en scène à la fin de l'histoire.
On sent trop que ce discours est adressé directement au lecteur par l'auteur, et que sa mise en bouche à travers les personnages n'est qu'un artifice. C'était trop ampoulé, trop bien écrit, trop spectaculaire, trop... comment dire. Dans la situation extrême de cette confrontation, un dialogue aussi bien construit, aussi bien écrit, même si on imagine que cela se passe à un niveau spirituel, casse un peu l'immersion du lecteur et le ramène à une situation où il n'est plus dans une histoire mais en train de lire un discours.
Je sais que toutes ces choses devaient être dites, et par ailleurs, c'est un très beau texte ; je ne sais pas comment l'auteur aurait pu le transmettre autrement. Mais je regrette un peu d'avoir été tirée prématurément de cette histoire et de ma fusion avec cet univers par un discours qui, pour aussi juste qu'il soit, n'a pas su être assez subtil et m'a ramenée directement dans la réalité de mon fauteuil.
Je connais quelqu'un qui dit que pour qu'une histoire sonne juste, il faut qu'elle ignore complètement son lecteur. Il faut que celui-ci puisse y entrer sur la pointe des pieds et y assister comme si personne ne le voyait ; l'histoire doit se dérouler sous ses yeux en faisant comme s'il n'était pas là. C'est selon moi la petite faiblesse de la fin de Nausicaä : elle a trop son lecteur à l'esprit.
La tendance était déjà là avant, le style d'écriture est toujours un peu empreint de cette adresse au lecteur, mais pas au point de casser l'immersion comme à la fin, et puis c'est tellement bien écrit que ça ne fait rien.
Quoi qu'il en soit je mets quand même cinq étoiles car ce n'est qu'un point de détail, je reste absolument conquise par l'ensemble de cette aventure épique et ce n'est pas cela qui suffira à ternir le souvenir impérissable que j'en garderai.
Et merci à tous ceux qui auront lu ce long pavé jusqu'au bout !
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Nausicaä 7
C'est un volume plus épais, mais il n'en fallait pas moins pour conclure ce manga épique. Comme souvent chez Miyazaki, la belle et frêle Nausicaa est parvenu à maîtriser le Dieu Guerrier, plus surprenant elle va se servir de lui. On va surtout enfin avoir la réponse en ce qui concerne la source du mal qui ronge la planète ; la question écologique est très développée dans ce manga, et dans l'ensemble de l'oeuvre de Miyazaki, il ne cesse de dénoncer la stupidité humaine, et de mettre en avant le respect de la nature. Un final grandiose pour une série pleine d'action, d'émotion, mais aussi une réflexion profonde sur le respect de la vie. le dessin de Miyazaki est complexe, il nous donne beaucoup de choses à voir, on peut relire plusieurs fois la série et faire encore des trouvailles. Un chef d'oeuvre, tout simplement.
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Nos vies sont comme le vent ou des sons… Nous naissons, résonnons avec ce qui nous entoure… puis disparaissons.
[le souverain toltèque à Nausicaä] Tu nous plais jeune fille ! Tu es le chaos de la destruction et de la miséricorde ! Ha ha ha ! Nous aurions aimé te connaître plus tôt !!
Tu sais que le corps humain est différent de ce qu’il était auparavant. Et qu’il s’est adapté à ce monde pollué. Il ne s’agit pas seulement des humains. Les plantes et les arbres aussi ont dû évoluer
La grandeur d’une âme est déterminée par la profondeur de ses souffrances. Même le fongus est doté d’une âme lui aussi.
Nos vies sont comme le vent ou les sons... Nous naissons, résonnons avec ce qui nous entoure... Puis disparaissons.
La Cité internationale De La tapisserie a signé une convention avec le Studio Ghibli Inc. pour la réalisation d'une série de tapisseries d'Aubusson monumentales extraites de grands films signés du maître de l'animation japonaise, Hayao Miyazaki.
Informations pratiques
https://www.cite-tapisserie.fr/
Horaires
De septembre à juin
9h30-12h et 14h-18h. Fermé le mardi.
Juillet et août
10h-18h. Tous les jours sauf le mardi: 14h-18h.
Tarifs
Plein tarif 8 €
Tarif réduit 5,50 € :
étudiants, - de 25 ans, + de 65 ans, groupes
à partir de 10 personnes, carte Cézam
Gratuit :
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