Énigmatique et étrange roman que ce Passage de la nuit. Mais la phase nocturne n'est-elle pas, de tout temps, propices aux récits fantasmatiques? le voile entre réalité et surnaturel se caractérise déjà par une poreuse ténuité dans l'oeuvre de
Murakami Haruki. Si en plus, il place son histoire la nuit, ça ne peut que renforcer cet aspect.
Déjà, et tous les insomniaques partageront, je crois, mon avis, le temps semble suivre un autre rythme, durant la nuit, plus lent et presque immobile par moments. Comme le dit le barman du Skylark, amateur de jazz sur vinyle : "(...) la nuit possède une horloge différente."
Mais de quoi parle-t-il se roman? de rencontres surtout, pour Assai Mari, étudiante en langue chinoise de dix-neuf ans qui a décidé de fuir la maison familiale où sa magnifique grande soeur Eri joue la Belle au bois dormant. Elle entend passer une nuit blanche à lire dans un resto ouvert jusqu'au petit jour.
Comme souvent dans la vie, tout ne se passe pas comme prévu et elle va ainsi rencontrer un étudiant joueur de jazz sur trombone, une ancienne catcheuse professionnelle gérante d'un love-hotel, brute de décoffrage mais au coeur grand comme le Fuji, ses deux collègues femmes de ménage dont une est en fuite depuis trois ans, une immigrée clandestine chinoise prostituée par un gang et qui s'est fait violemment tabassée. D'autres personnages fluctuent dans cette nuit étrange, certains peu recommandables, d'autres inquiétants. Sans compter une télé qui s'allume toute seule dans la chambre d'Eri.
Et nous, quel est notre rôle dans tout ça? Nous laisser porter par le point de vue caméra que l'auteur déploie tour à tour dans la chambre de la dormeuse, autour
De Mari et même dans une boîte d'informatique.
Le passage de la nuit est un des romans les plus courts de l'auteur mais s'y retrouvent nombre de caractéristiques figurant dans d'autres de ses livres :
- la musique très présente, jazz et classique surtout. Murakami, qui tint un temps une boîte de jazz, en est féru et connaisseur
- la présence de chats aussi, ici dans un rôle nettement moins crucial que ceux de
Kafka sur le rivage
- des liens distendus voire conflictuels entre les principaux personnages et leur famille
- des protagonistes dits secondaires typiquement hors norme selon les critères japonais : Kaoru l'ex-catcheuse aux cheveux blonds très courts, par exemple, dont la personnalité me plaît tout particulièrement.
Cette nuit en dehors de toute zone de confort pour Mari est aussi un passage vers une phase autre, presque une transition initiatique afin d'être révélée à elle-même grâce à ces fameuses rencontres.
A lire de préférence by night, pour être en concordance avec les personnages, cette lecture a le don de nous emporter sur les ailes oniriques que l'auteur déploie au-dessus de la capitale japonaise.
Évidemment, avec Murakami, mon objectivité tend à se réduire encore plus que d'habitude. J'aime ses mondes réels qui ne le sont pas toujours complètement, et sa faculté à dépeindre caractères et événements avec beaucoup de finesse, souvent avec de surprenantes comparaisons et qui me laissent rêveuse au sortir du dernier chapitre.