Le livre est sous-titré : Petite mythologie de la science.
Qu'est-ce que la science, ou plutôt comment notre esprit se représente-t-il la science ? C'est aussi la question qui est en filigrane de ce petit livre dont le sujet serait : Comment le grand public se représente la science ? Les auteurs ont choisi de démonter quelques mythes scientifiques qui ont la vie dure : non Archimède n'a pas dévalé tout nu les rues de Syracuse en criant « Eureka », non le progrès n'est pas garanti par la science, non l'Univers n'a pas commencé par un big « bang », etc...
Euclide ou Pythagore mériteraient autant que l'on se souvienne d'eux qu'Archimède, Tchernobyl et Fukushima ont détruit quelques-unes de nos illusions, et le vide ne transmet aucune onde sonore...
Un autre exemple saisissant est celui de la représentation que nous nous faisons de l'atome : une petite bille (le noyau), et un ou plusieurs électrons qui tournent autour de lui sur des orbites bien nettes. Cette représentation (crée par Rutherford) est encore utilisée dans les manuels scolaires aujourd'hui, même en classe de Terminale scientifique. Pourtant, les petits cercles de scientifiques qui étudient la physique quantique savent que l'atome n'est pas représentable. (cf. la citation correspondante pour quelques précisions).
Ainsi, et les auteurs auraient pu multiplier les exemples, beaucoup de concepts en science, mais même d'éléments matériels, sont totalement en dehors de nos schémas mentaux, de nos modèles représentables. C'est-à-dire : il n'existe aucune image, aucun mot (ni même aucun langage) qui puissent représenter nombre d'objets ou d'idées en science.
Je ne peux terminer ma critique sans évoquer le théorie de l'évolution, qui est mon dada personnel.
Comment notre esprit peut-il se représenter l'évolution des espèces ? Ce processus prend souvent quelques centaines de milliers ou quelques millions d'années chez la plupart des espèces, ou bien quelques semaines chez les bactéries. (Mais qui a déjà pris le temps offert par ses cinq semaines de congés payés pour observer une lignée de bactéries ?). Se représenter l'évolution, ce n'est plus aujourd'hui une image unique, comme le proposait Lamarck. Cela suppose d'envisager un ensemble cohérent de propositions de natures différentes, allant de la variation génétique à la sélection naturelle, en passant par les équilibres ponctués, la sélection sexuelle, les rythmes du développement et des extinctions, ces dernières étant parfois massives. Et cela suppose d'y intégrer des échelles de temps qui nous sont inimaginables.
(La théorie de l'évolution – composée en réalité d'un ensemble de théories – est mon dada personnel, et non pas mon doudou... sauf si je pouvais me la représenter facilement dans un objet matériel bien sûr !)
Finalement, ce livre mérite d'être lu (même s'il date de 1998), ne serait-ce que pour prendre conscience du décalage entre nos propres représentations de petits humains intellectuellement si pauvres, et la réalité du monde qui nous entoure. D'ailleurs, même les auteurs se sont laissés prendre aux mythes, puisque dans le chapitre « Le chaînon manquant », ils utilisent le terme Homo Sapiens sapiens pour nous désigner, or ce n'est plus en ces termes que nous nous représentons (mais seulement par les mots Homo Sapiens – eh oui, nous avons perdu un degré de connaissance dans toute cette histoire !).
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« … à la représentation que nous nous faisons de l'atome. Pourquoi l'atome 'quantique' qui va lui succéder ne s'est-il pas imposé au-delà d'un cercle restreint de scientifiques ? C'est qu'il n'est pas représentable avec des images déjà connues. Comme l'écrit le physicien Fritz Rohrlich, 'le langage n'a pas de mots pour le monde quantique'. Et pas d'images immédiates. Comment dessiner quelque chose qui apparaît parfois comme une onde, parfois comme une particule, le plus souvent ni comme l'une ni comme l'autre et qui, en dehors des moments où on l'observe, n'a rien en commun avec notre expérience quotidienne ? Il n'est pas représentable et, qui plus est, en rupture avec la vision mécaniste traditionnelle du modèle planétaire. » (Le chat de Schrödinger).
« Et nous croyons aux trous noirs comme les paysans francs croyaient aux esprits de la forêt. Celui qui entend parler d'attracteur étrange, de théorie des catastrophes, de boson intermédiaire ou de fractals, confessera volontiers qu'il s'agit là pour lui de paroles vies, qu'il ne peut même pas s'en faire une idée, même si la musique de certains mots lui devient familière. Haut, bas, étrange, charme, beauté, vérité, voilà les sobriquets des quarks. Bien sûr, les calculs des physiciens en démontrent la réalité, mais leurs expériences ne prennent un sens que transcrites en langage mathématique. Pour la plupart d'entre nous, ce monde est étranger, sinon surnaturel. » (Au nom de la science).
Il a fallu beaucoup d'ignorance, et d'abusive imagination, pour faire de Vinci, et malgré lui, un inventeur fécond. (Bertrand Gilles dans Les Ingénieurs de la Renaissance) (page 27)
Des chiffres qui donnent à penser.