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« le monde existe-t-il ? » se demandent les auteurs, en proie au doute. Sven Ortoli est journaliste scientifique, Jean-Pierre Pharabod est ingénieur des télécommunications, et a travaillé trente ans au Laboratoire de physique nucléaire des hautes énergies de l'Ecole polytechnique. C'est dire si nous avons affaire à des gens très sérieux et très responsables. Ces auteurs ont pour ambition de nous faire comprendre le fonctionnement du monde « réel » (mais… existe-t-il ?) en braquant le projecteur dans l'obscurité des chambres noires des laboratoires de physique fondamentale, afin d'éclairer notre lanterne. Si la physique quantique vous est familière, vous connaissez déjà cet essai, un best-seller du genre, le meilleur dans la catégorie « vulgarisation scientifique ». Publié dès 1984 mais avec une importante postface inédite ajoutée en 2007 (raison pour laquelle j'ai acheté deux fois le livre), il reste à ce jour indépassable pour les efforts de clarté et de pédagogie des deux auteurs. Ceux-ci récidivent en 2011 avec Métaphysique quantique – les nouveaux mystères de l'espace et du temps, mais les sujets traités semblent les mêmes, sans doute illustrés par quelques expériences et perspectives nouvelles comme la cryptographie quantique et l'ordinateur quantique. La vulgarisation s'appuie ici sur des schémas simples, comme des dispositifs classiques à base de lasers, séparateurs, miroirs tournants et détecteurs… mais aussi sur des dessins bucoliques montrant par exemple un pêcheur au bord d'un étang, un tireur de ball-trap ou un chat dans une boîte. Ces illustrations, agréables et métaphoriques, rappellent les bonnes vieilles méthodes de George Gamow et sa célèbre série des M. Tompkins. Car tenter de comprendre les phénomènes quantiques n'est pas chose aisée ! Les partisans de l'interprétation de Copenhague, dont plusieurs prix Nobel (Niels Bohr, Werner Heisenberg…) s'interdisent d'ailleurs de décrire le comportement des objets entre les mesures, se contentant d'appliquer les postulats, d'utiliser le bagage mathématique mis à leur disposition (qu'ils créent eux-mêmes, le cas échéant) et d'accepter les résultats trouvés, aussi étranges soient-ils ! Alors, ces phénomènes mystérieux, qu'on cherche à nous faire comprendre, quels sont-ils ? Voici à titre d'illustrations quelques exemples, assortis des métaphores transposant le discours dans notre monde macroscopique : 1- La réduction du paquet d'ondes : des poissons solubles sont totalement dissous dans un étang, mais lorsqu'on les pêche, ils se matérialisent d'un seul coup au bout de l'hameçon ! 2- Le paradoxe EPR et l'absence de variables cachées locales : les martiens télépathes de Ray Bradbury jouent un bon tour aux terriens en décidant au dernier moment leurs caractéristiques physiques, les fourbes ! 3- La superposition des états : le chat de Schrödinger (bien sûr !) est à la fois mort et vivant, il n'est pas soit mort, soit vivant, suite à une incertitude, mais bien dans les deux états, simultanément (aucune plainte de la SPA n'a été enregistrée à ce jour, même si les chats ont neuf vies, celui-ci n'en finit plus d'être sacrifié sur l'autel des sciences, heureusement, il s'agit là « d'expériences de pensée », comme disait Einstein) ! 4- L'expérience des fentes d'Young appliquée à un seul électron : un voyageur du métro parisien partant de l'Etoile passe « simultanément » par Denfert-Rochereau et par Barbès-Rochechouart pour se rendre à Nation (pourra-t-il échapper au contrôle des billets ?) ! 5- La non-localité et l'intrication quantique : quand le pêcheur parvient à attraper son poisson soluble dans l'étang de droite, son fils, qui roupille tranquillement sur la rive de l'étang de gauche, voit soudainement un second poisson jaillir de l'eau et sauter directement sur la berge à côté de lui ! 6- La dualité onde-corpuscule : L'image qui m'a le plus frappé est celle d'un photon « onde », émis à une année-lumière de la Terre, étalé sur une sphère gigantesque de 10 puissance 27 km2 (un milliard de milliards de milliards de km2). Si le photon est détecté sur terre, sa position est immédiatement connue et déterminée, l'onde disparaît alors instantanément, interdisant toute autre observation du photon sur cette immense sphère (le photon aurait pu tout aussi bien être perçu par un extraterrestre situé à deux années-lumière de distance, mais plus rapide en effectuant sa mesure, interdisant alors la détection sur Terre). J'ai bien conscience de n'être pas tout à fait convaincant avec ces quelques exemples ! Lisez plutôt le livre ! Les auteurs restent sobres en formules mathématiques, mais n'hésitent pas à décrire l'expérience d'Alain Aspect de 1982 à Orsay (prouvant la non-localité pour la première fois !), et à proposer une démonstration des inégalités de Bell. Ils clarifient le panorama de nos connaissances en faisant le tri des différents courants de pensée, du plus « matérialiste » (les choses existent en dehors de nous) au plus « idéaliste » (c'est l'observateur qui crée la réalité), en citant leurs aficionados nobélisés respectifs. Ils décrivent brièvement la récupération par les adeptes de parapsychologie et autres croyances des idées innovantes apportées par la physique quantique. Enfin, last but not least, l'ajout de 2007 évoque le phénomène dit de la « gomme quantique à choix retardé », en expliquant comment une expérience du présent modifie le passé (même très lointain) et, corolaire, comment notre présent est sans doute également influencé par notre futur (tout aussi lointain). Après les étonnants paradoxes spatiaux prouvés par l'expérience en 1982, voici les ébouriffants paradoxes temporels mis en évidence et observés entre 1998 et 2006. Le monde existe-t-il ? Plus ou moins… C'est donc avec circonspection que j'avancerais ce principe de quasi-certitude : avec la méca Q, on n'a pas fini de rigoler ! + Lire la suite |