Voilà un curieux petit récit sous la plume d'
Arturo Perez-Reverte.
Rien à voir avec «
le tableau du maître flamand », ou du « Cimetière des bateaux sans noms », ni même du « Peintre des batailles », non, «
l'Ombre de l'Aigle » est très différent.
Le thème ? En 1812, un bataillon d'origine espagnole est embarqué dans la grande armée napoléonienne. Cette armée n'a plus rien de française : c'est un énorme rassemblement européen, avec des Allemands, des Italiens, des Hollandais, des Portugais, et des Espagnols.
Napoléon a conquis l'Espagne, mais cela a été une réelle boucherie.
Et voilà que ce bataillon, peu avant la retraite de Russie, ce 326ème bataillon d'infanterie qui va bientôt devenir illustre, n'a qu'une seule idée en tête : rejoindre les lignes russes pour se rallier aux troupes russes.
Mais ce récit plein de cocasserie, plein d'ironie.
On va croiser l'ombre que projette l'Aigle - Napoléon - sur une colline, une longue-vue en main, et qui va se méprendre totalement sur leur démarche. Il faut dire que ce bataillon prêt à déserter va – ironie du sort – faire preuve d'un apparent héroïsme de premier plan.
Arturo Perez Reverte imagine en effet une bataille homérique, qui commence comme une sorte d'anticipation de Waterloo, avec une défaite qui semble inévitable, quand soudain, alors que le 326ème bataillon n'a qu'une seule aspiration à fuir le plus vite possible, un véritable coup de théâtr
e va se produire sous les yeux de Napoléon et ses généraux : le célèbre Murat va aider les Espagnols à charger les lignes russes et à triompher de façon insolente.
Mais ce qui fait le sel de ce récit, c'est qu'il est écrit du point de vue des Espagnols. D'où une haine profonde pour le « Nain », et tout un florilège d'injures qu'ils peuvent attribuer au grand homme. Bien sûr, après avoir décoré le Bataillon pour ses faits de guerre, il faudra tenter de rentrer en Espagne et ce sera la « Bérézina » bien connue des historiens. Mais pour le moment, les espagnols n'ont pas de mots trop forts contre les "franchutes".
L'auteur espagnol maîtrise tous les codes du genre. En un hommage discret à « Guerre et paix » et à bien d'autres récits épiques, il tourne en dérision la comédie de la guerre avec ces généraux qu'il tourne en ridicule, et le petit peuple glorifié.
On retrouve la verve de «
Cadix ou la Diagonale du fou » mais avec un côté rocambolesque qui m'a fait sourire à chaque paragraphe.
Cependant le texte de dernière de couverture nous rappelle que ce n'est pas tout.
Derrière la farce, on apprend que « écrite en 1993, en pleine guerre de Bosnie, sous forme de feuilleton pour le quotidien El pais, cette histoire est aussi un magistral plaidoyer pacifiste et humaniste pour notre temps, une parole puissante contre l'absurdité de la guerre, qui résonne très fort à nos oreilles. »
A l'heure où il est question à nouveau de guerre du côté russe, cette farce bouffonne rappelle que toutes les guerres sont une aberration et qu'on doit mesurer la chance que l'on connaît cet instant de vivre en paix.