Si vous aimez le vin. Ou la vie.
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Je ne suis qu’un apatride, ou un émigré d’opinion. Plutôt qu’aux tropismes moutonniers du siècle, auxquels je suis viscéralement rebelle, je succombe à la seule élégie discrète des pays dont le lent effacement me bouleverse. Il y a, dans l’agonie des terroirs, un charme auquel l’épithète ineffable convient, c’est le charme des promenades de Nerval, des sourires masqués de Paul-Jean Toulet, des prénoms anachroniques des jeunes filles de Francis Jammes, et des chambres feutrées, des voix du silence, de Rodenbach.
Cette promenade-ci, autour d’une cave née d’un songe, j’aurais aimé qu’elle pût ressembler aux tableaux d’une exposition de Moussorgski, interprétés pas Ivo Pogorelich. Cette lenteur indécise, ces contrastes éloignés de toute enflure, cette retenue au bord du silence, et ces martèlements sourds aux échos si profonds et si lointains qu’ils semblent émaner de la texture même de la nuit.
Serait-il possible d’aller avec plus de lenteur encore, ce ne serait plus de la musique, mais du silence – une succession de silences habités comme on rêve que soient la littérature et la rencontre avec un vin sans égal et si confidentiel qu’il semble n’avoir mûri que pour se dévoiler hors du temps.
(...) En renonçant à l’art comme au vin, à la paresse comme à l’ivresse de l’inattendu, nous nous livrons à la commune terreur, nous nous faisons les complices de ces tueurs d’humanité que sont les fous messianiques, les hommes d’État vergogneux, les sbires des sectes nazies.
Le long des chemins creux de l'Auxois, le jeune homme de vingt ans baguenaude vers le cœur des collines rondes, où les arpents de vieille vigne se cachent, pour mieux se révéler, entre de longs pans de prés brodés de haies vives et de bosquets chantants. Les vaches mélancoliques donneront à la traite du soir le lait le plus pur, celui qui de Chaource à Époisses en passant par Tonnerre et Montbard, fera, lentement ondoyé de vieux marc, les crépuscules moelleux et les midis suaves, entre les flacons perlés de rosée d'automne.
« Et nous aurons aimé le vin des rêves comme jamais, nous aurons vendangé les sourires et les regards, nous aurons parcouru la pénombre des anciennes venelles au pied des vignobles lumineux, nous aurons exploré les niches où dorment les plus improbables flacons de jaune, nous aurons mesuré jour après jour la véraison des grappes et l'allure des nuages, nous aurons habité les faubourgs autour desquels la vigne s'éveille et se range et verdoie sur les coteaux, nous aurons bu l'amour de climats en climats, de parcelle en parcelle, et nous saurons encore que la vigne voisine, sous la protection du clocher de Saint-Just, portait le nom de paradis,
car il est l'heure, qui sait ? de parler au passé. »
C'est Gide qu'en ces jours de tristesse et de rage impuissante, au seuil du siècle mortifère, j'interroge : " Le monde ne sera sauvé, s'il peut l'être, que par des insoumis. Sans eux, c'en serait fait de notre civilisation, de notre culture, de ce que nous aimons et qui donnait à notre présence sur terre une justification secrète. Ils sont ces insoumis, "le sel de la terre", et les responsables de Dieu.
Que l'on débouche un clavelin de château-chalon plus que centenaire, que lentement on verse dans la carafe l'or liquide, sans jamais en épuiser les parfums (les "insondables" parfums, dirait le pédant que je suis un peu), et que se répande dans la chambre doucement durant des heures d'attente le mystère odorant de ce miel qu'aucun souffle n'évapore, on est saisi par le sentiment de percevoir un miracle, non pas celui d'une jeunesse incongrue, ni d'une étrange longévité, mais bien une espèce de permanence ou d'entêtement d'un réel palpable, et c'est comme si, d'une boucle à l'autre de l'oméga, on venait de transvaser l'infini.
« […] J'ai reçu de François Dhôtel (1900-1991), sous la forme d'un « tapuscrit » photocopié […], la merveilleuse suite de poèmes que voici. Je me suis dit qu'André Dhôtel, à la mort de qui je n'ai jamais cru, se dévoilait soudain plus vivant que jamais, avec la lumière pailletée de son regard et son sourire en coin.
[…]
Maintenant ces poèmes sont là, qui n'ont rien de testamentaire, même si l'on devine que leur auteur peu à peu s'absente - mais c'est pour mieux affirmer une présence imprescriptible.
Voici ces poèmes, dans l'ordre où je les ai reçus. […] Les poèmes naissent de la couleur du ciel, du temps qu'il faut, d'un écho des jours ordinaires et miraculeux, comme les impromptus qu'aimait tant Dhôtel, ou les petites pièces de Satie. […]
Au rythme séculaire des premières lectures éblouies,
« Voici donc le chant
de la jeunesse oubliée
et des souvenirs perdus »
[…] » (Jean-Claude Pirotte)
« […] Des paroles dans le vent
en espérant que le vent
est poète à ses heures
et nous prêtant sa voix
harmonise nos artifices.
Nos strophes seraient bien des branches
avec mille feuilles que l'air du large
fera parler peut-être un jour
où personne n'écoutera.
Car l'essentiel serait
qu'on n'écoute jamais
et qu'on ne sache pas
qui parle et qui se tait.
[…] » (Espoir, André Dhôtel)
0:00 - Abandon
2:00 - Attente
3:30 - En passant (II)
4:50 - La preuve
5:30 - L'inconnu
6:15 - Splendeur (II)
6:46 - Générique
Référence bibliographique :
André Dhôtel, Poèmes comme ça, éditions le temps qu'il fait, 2000.
Image d'illustration :
https://clesbibliofeel.blog/2020/04/08/andre-dhotel-idylles/
Bande sonore originale : Scott Buckley - Adrift Among Infinite Stars
Adrift Among Infinite Stars by Scott Buckley is licensed under a Creative Commons Attribution 4.0 International License.
Site :
https://www.scottbuckley.com.au/library/adrift-among-infinite-stars/
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