L'histoire met en scène Oups, un petit lutin qui découvre un doudou abandonné dans un coin du grenier. Il décide alors de le remplumer et d'en faire son ami. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Un jour, les parents de Oups doivent partir faire quelques courses, laissant à l'enfant le soin de garder la maison, en prenant garde de ne pas s'approcher du piège du Pêcheur d'enfants. le doudou en profite alors pour donner des idées de farces qui s'avèrent de plus en plus méchantes. le voisinage, excédé par les mauvaises plaisanteries du duo, chasse les deux compères qui effectuent un voyage initiatique, durant lequel ils rencontrent le monstrueux Pêcheur d'enfants...
La première chose qui frappe quand on lit cet album, ce sont les innovations linguistiques de
Claude Ponti: les Bouchanourrirs, qui sont représentées de façon très cartoonesque, la sussouillette (la sucette), les verbes s'écrabousillent (contraction de s'écrabouillent et se bousillent), s'emmeurtrissent, se concassassinent (mixage de se concassent et s'assassinent), ou encore les piriolles et les cabriettes. Ce goût pour la torture du langage, je l'avais déjà évoqué dans
Okilélé, où même le titre était un jeu de mots dont l'idée était assez symbolique en soi. L'humour passe par cette considération personnelle, singulière, et ô combien géniale de la langue. Digne de l'
OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle, mouvement porté, entre autres, par
Georges Perec et
Raymond Queneau).
Comme dans l'album justement précité, Oups et son doudou font un voyage initiatique qui va leur permettre d'adopter des valeurs et des principes, qui les feront se retrouver grandis à leur retour chez eux. Comme tout voyage initiatique qui se respecte, la route est semée d'embûches: des montagnes qui s'entrechoquent, se détruisent et détruisent le monde avec elles; Grabador Crabamorr le mangeur d'enfants, qui donne à Oups des travaux dignes de ceux d'Hercule, avec pour contrainte supplémentaire le fait de ne pas se fâcher, sans quoi Oups se ferait manger comme les autres enfants. Finalement, c'est le mangeur qui se fait manger, par les enfants sauvés, les géants, le Doudou dont on apprend qu'il s'est entre-temps trouvé une copine, et le monde détruit par les montagnes se reconstruit peu à peu.
Claude Ponti indique d'ailleurs, en toutes lettres, la page où l'on peut voir le Doudou trouver sa copine. Ce qui me permet de passer aux illustrations. Quelle transition remarquable.
Il y a, chez
Claude Ponti, un traitement de l'espace et du temps qui est singulier. le découpage des illustrations fait parfois penser à la bande dessinée, mais d'une manière autre: sur une page ou une double-page, par exemple, on voit un même lieu découpé en trois ou quatre cases, chacune d'entre elle correspondant à un instant I défini. le temps est donc tartiné dans un espace: le passé, le présent et le futur ne sont plus trois temps bien distincts, mais ils ne font qu'un.
Pour en revenir à la copine du Doudou, c'est ce qui permet de voir à quel point les illustrations sont complexes: on apprend page 45 que le Doudou se trouve cette fameuse copine à la page 41. Or, à la page 41, on est plus concentré sur le conflit qui oppose Oups à Grabador Crabamorr, et effectivement l'arrière-plan est animé par la rencontre entre le Doudou et une autre Doudoue. J'ai trouvé ça génial, parce que
Claude Ponti partait du principe que nous ne verrions pas la rencontre entre les deux doudous, et nous fait culpabiliser, genre "comme je sais que vous n'êtes pas attentifs à mes illustrations, je vais vous dire ce que vous auriez du voir, histoire que vous vous en mordiez les doigts de ne pas l'avoir vu".
Les thèmes abordés dans cet album sont multiples: on retrouve la méchanceté, le savoir-vivre avec autrui, l'industrialisation et le monde du travail dirigé par des tyrans (Oups qui doit faire des travaux herculéens sans broncher, sous peine de se faire dévorer).
Claude Ponti sait raconter de manière simple et en même temps complexe la vie, le monde dans lequel on vit. L'absence d'indices servant à nous renseigner quant à un cadre spatio-temporel me conduit à dire que l'histoire reste universelle, c'est un conte, avec une morale sous-entendue. Les niveaux de lecture y sont nombreux, et je pense que le mieux est de revenir régulièrement sur cet album, afin d'y déceler, à chaque relecture, un point de vue différent. C'est ce qui fait toute la richesse du livre!
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