le soleil se lève à l'ouestYann Queffélec (né en 1949)
Amoureux de la Bretagne dont je suis depuis toujours, et les autres, lisez et dégustez ces phrases superbes, une oblation, une offrande verbale entre ciel et sel à tous ceux qui aiment le beau style, réminiscences d'une époque où l'Armor était autre. Les gens étaient doués d'une « hospitalité comme elle existait dans les temps féconds où la vie n'était que miel au soleil, vignes grenat, raisins éclatés sous le sabot dur de la chèvre, plaisirs mêlés de l'âme et des sens. »
« Que savons-nous des silences entre les mots » ?
Cette phrase du début traduit bien cette part d'inexprimable qui inévitablement s'insère dans le cortège des mots même les plus évocateurs. le lecteur va devoir entrer en communion avec
Yann Queffélec pour saisir toute l'intensité du souvenir de cette enfance merveilleuse que l'auteur a connue de l'Aber-Ildut jusqu'à Belle-Îsle et Hoëdic.
D'emblée il déplore que son « bel Armor porte aujourd'hui les stigmates d'un âge extrême où produire et produire aussi du scandale, est en train d'éclipser la Genèse. »
Sa race de Celte, il la revendique :
« Race de culs-terreux océaniques, race amphibie domiciliée chez elle et dans les lointains, hantée par un âge supposé réconcilier tous les temps et glorifier la lumière créatrice au premier jour du monde, s'il eut jamais lieu. »
Somptueux prélude avant que l'auteur ne dévoile sa passion pour la mer et tout ce qui ressemble à un esquif, canots, yawls, cotre, vaurien, moth, snipe, sharpie, grondin, tartanes, dinghy, ketch, sloop, et autres barques…
« La mer, matrice universelle, carnage, cimetière vivant, résurrection. »
Et la passion des voyages qu'il partage avec son labadens de la rue d'Ulm,
Julien Gracq !
Et la pêche aux crabes dormeurs et salicoques de tous ordres, les « bouquets venaison pélagique de race », la quête des ormeaux et autres bigornes et bernicles disputés aux mouettes furieuses, jusqu'à ce qu'un frisquet et nébuleux noroît contraigne à rejoindre la demeure familiale pour un bon feu à l'âtre.
le finale revient comme dans l'allegro initial sur le thème du « progrès », ce soit disant progrès :
« le train du progrès, si j'ai mes bonnes lunettes, il est dans le mur et les cadavres ses comptent par millions. Bonjour la tuerie ! Un tableau de chasse pareil, c'est du jamais vu ! Des humains et des bêtes, de tout ! On trouve même des saumons nourris à la poudre d'os de boeuf micronisée et des fondues bourguignonnes en chair de rascasse usinée façon barbaque. »
Un recueil de souvenirs superbe. de la belle littérature. Avec de la poésie quand il faut. Merci Monsieur Queffélec.