ESPRIT PRÉSENT
Le carton blanc au mur
c'est l'ovale d'un œil dont la paupière nous fait signe
Devant la glace il manque la pendule et l'heure
Les mains tiennent l'air dans la chambre
Mais on ne sait pas très bien ce que c'est
Ni pourquoi
La table tourne autour du monde
La table chargée de couleurs comme une mappemonde
On attend le navire qui vient vers nous dans l'avenir
Au moment où nous sommes là
Le ciel appuie sur chaque tête
Le bout du mât s'accroche à l'aile du nuage
Le monde est ventre à terre
Et tout pèse trop lourd
Sur les épaules et sur les bras
J'attends que le vent fort revienne
Pour soulever le tas
On respire mal sous sa poigne
Je pense à l'horizon limpide qui s'éloigne
L'esprit borgne suit à tâtons
L'œil revient dans le coin
Puis la table chavire
Dehors tout est trop grand dans le jour qui s'étire
Et le pays devient plus mince et transparent
Mais derrière on ne voit plus rien
Il n'y reste peut-être rien
La température est trop vague
ET LA
Quelqu'un parle et je suis debout
Je vais partir là-bas à l'autre bout
Les arbres pleurent
Parce qu'au loin d'autres choses meurent
Maintenant la tête a tout pris
Mais je ne t'ai pas encore compris
Je marche sur tes pas sans savoir qui je suis
Il faut passer par une porte où personne n'attend
Pour un impossible repos
Tout s'écarte et montre le dos
Un peu de vide reste autour
Et pour revivre d'anciens jours
Une âme détachée s'amuse
Et traîne encore un corps qui s'use
Le dernier temps d'une mesure
Plus tenace et plus déchirant
Un chagrin musical murmure
BRUITS DE NUIT
Au moment où les chevaux passaient, la suspension trembla. Le plafond menaçait de se pencher à droite, contre nos têtes; mais les fenêtres restaient d'aplomb avec le
ciel, et l'on voyait le paysage nocturne.
Il n'y avait plus de hiboux dans les ruines, plus de rayon de lune parmi les arbres, mais une cheminée d'usine et — autour — des maisons dont les toits avaient l'air de
grandir.
Et les chevaux — dont on entendait les pas précipités — transportaient dans la nuit complice des fourgons de mort en métal.
4 ET 9
Les quatre pieds des chevaux tremblent sur l'horizon
La même ligne me sert de couvercle
Le monde est éteint sous le couvre-feu
Les fenêtres brillent comme des yeux
On a des armes pour rire
Et un cœur pour mourir
Le général est un vieux monsieur
Sans habits civils
Une blague une bonne blague à faire
A un membre de la famille
C'est lui qui a pris tout l'héroïsme et le péril
La cour est une prison sans étage où l'on tourne sans
fin
Plus qu'une heure
On monte la soupe et les godillots
La figure d'un roi nègre décoré de la médaille de
sauvetage
C'est pour rien
Chez les sauvages
La musique est mieux
Nous sommes trois et je suis au milieu
Où allez-vous?
Le plaisir et la mort tournent autour de nous
le monde comme une pendule s'est arrêté
les gens sont suspendus pour l'éternité.
Robert Bober Il y a quand même dans la rue des gens qui passent - éditions P.O.L où Robert Bober tente de dire comment et de quoi est composé son nouveau livre "Il y a quand même dans la rue des gens qui passent", et où il est notamment question de son précédent livre "Par instants la vie n'est pas sûre" et la poursuite de sa conversation avec Pierre Dumayet, d'identité indéterminée et d'identités, d'innocence et de bonté, d' enfance et de rencontres, du yiddish et de Georges Perec, de Seth et de Julien Malland, de Martin Buber et de Gaston Bachelard, de Cholem Aleikhem et du film "Tevye le laitier" de Maurice Schwartz, de Zozo et de la rafle du Vel d'hiv, d'images et livres, de Robert Doisneau et de la photographie, de Pierre Reverdy et de la librairie du Désordre à la Butte aux Cailles, à l'occasion de la parution de "Il y a quand même dans la rue des gens qui passent" en octobre 2023 aux éditions P.O.L, à Paris, le 10 janvier 2024
"– Alors, toujours aussi gros ?
– Et toi, toujours aussi con ?
C'est comme ça que j'ai compris qu'ils étaient copains. le gros, derrière son comptoir, c'était le patron du bistrot-guinguette « Chez Victor » situé derrière la place des Fêtes au fond de l'impasse Compans. le con était accoudé au zinc en attendant d'être servi.
Plus tard, bien plus tard, je suis retourné voir le bistrot « Chez Victor », je ne l'ai pas retrouvé. Tout le quartier avait été détruit."
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