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Geneviève Leibrich (Traducteur)
EAN : 9782020159159
Seuil (23/11/1995)
3.87/5   159 notes
Résumé :
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José Saramago signe avec son Dieu Manchot un roman aussi atypique et personnel sur l'histoire de son pays que Gabriel García Márquez et son fameux Cent Ans de Solitude.
C'est une oeuvre foisonnante, baroque qui réalise la jonction entre deux réalités historiques portugaises de la première moitié du XVIIIème siècle, à savoir, l'édification du monumental couvent de Mafra qui dura plus de trente-cinq années et d'un héritage, certes, plus mineur, mais un héritage tout de même : l'invention d'un aérostat par le père Bartolomeu Lourenço de Gusmão.
L'auteur prend évidemment quelques libertés avec les dates afin de faire coïncider parfaitement les deux événements, ce qui est faux puisque le ballon non dirigeable du prêtre brésilien fut inventé avant que le couvent ne sorte de terre, mais peu importe. L'objectif pour lui est d'édifier une fiction qui fasse revivre le Portugal du roi Dom João V (Jean V de Portugal), l'âge d'or, si l'on peut dire, juste avant le cataclysme du mémorable tremblement de terre de Lisbonne qui marque le déclin inexorable de l'empire portugais.
Tout ici fait référence aux traits marquants du règne de Dom João V. Tout d'abord le héros masculin, Balthazar Sept-Soleils, un soldat ayant perdu sa main gauche lors d'une des guerres qui marquent le début du règne de Jean le Magnanime. Ce personnage manchot, héros picaresque moderne, symbolise le côté masqué, l'arrière des choses, ce qui se cache derrière toute réalisation, derrière les brillants et le lustre, celui qui ne s'assoit pas à la droite de Dieu mais à gauche.
À droite, ce que l'on montre, ce que l'on professe, les grands principes, à gauche... les moyens pour y accéder... pas forcément aussi reluisants...
À droite, l'édification d'un couvent magnifique, splendide, comme rarement on en aura vu de par le monde. À gauche, les milliers de vies sacrifiées pour ce rêve mégalo, les milliers d'ouvriers mobilisés de force et arrachés à leur campagne comme aux plus belles heures de l'esclavage des pharaons d'Égypte. À gauche, les millions engloutis, les trésors gagnés à la sueur et au péril des vies, loin, très loin, tout cet or et ces diamants du Brésil. Tout ça pour ça, pour du clinquant, pour de l'esbroufe, pour se sentir vraiment catholique.
Ce livre est aussi un brûlot anti-chrétien qui dénonce toute l'hypocrisie et les abus du système religieux, ainsi que la farouche violence de l'inquisition d'alors.
Une chasse aux sorcières qui nous mène droit au quatrième personnage principal de ce livre (après Balthazar, le père Bartolomeu Lourenço et le roi), peut être le plus important, la femme extralucide Blimunda. José Saramago en fait un personnage incontournable autour duquel repose tout le surnaturel un peu comme Úrsula Iguarán était le pilier de Cent Ans de Solitude.
Blimunda représente les hérésies combattues par l'inquisition. Blimunda représente la lucidité, la fidélité, l'amour du peuple pour sa base, pour son socle c'est-à-dire pour le Portugal même.
Le couple Balthazar-Blimunda c'est l'image même du Portugal : Balthazar, représente le courage et le sacrifice de soi ; Blimunda la volonté, la fidélité à la famille et la croyance aux forces occultes.
Le roman comporte deux moments distincts. Durant la première moitié, la construction de la Passarole, la machine volante du père Bartolomeu Lourenço par ces deux marginaux de Balthazar et Blimunda occupe l'essentiel de l'espace.
Dans la seconde moitié du roman, l'édification du couvent de Mafra et ses dommages collatéraux (construction déjà présente dans la première moitié mais encore plus présente par la suite) occupent une position centrale. D'ailleurs, le titre original du roman est Memorial do Convento, titre que nous-autres francophones comprenons assez facilement.
Le père Bartolomeu Lourenço est un personnage ayant réellement existé, mais Saramago en fait un symbole ; celui de la folie du Portugal de cette époque-là, celui du temps et de l'énergie investis dans un rêve évanescent destiné à disparaître inexorablement au lieu de se soucier de ce qui fait l'âme de ce pays : son peuple. À ce titre, le prêtre et le roi souffrent du même mal ; ils ont la tête dans les nuages mais bien peu les pieds sur terre...
Je n'en dirai pas plus long sur la substance du roman où perle de partout un amour véritable de son auteur pour son pays, même s'il en brosse tous les travers sans concession et parfois avec férocité.
Je voudrais encore dire deux mots de la forme qui n'est pas non plus sans intérêt. José Saramago expérimente une forme de ponctuation intuitive non conventionnelle, notamment dans les dialogues, ainsi qu'un tas de petites astuces ou trouvailles formelles très originales et qui rendent le texte très ouvragé.
Le style baroque, en accord avec la période de l'histoire considérée, peut parfois être un peu pesant, mais dans l'ensemble, nous avons affaire à un grand virtuose du verbe, ce qui n'est pas si fréquent, et ce que je tiens à saluer.
Pour moi, voici un bon livre, un très bon livre même, que j'ai vraiment apprécié mais pas jusqu'à le faire pénétrer dans les appartements de mes chefs-d'oeuvres fétiches dont je garde jalousement la clef au plus profond de mon coeur.
Mais ceci n'est bien sûr qu'un avis boiteux sur un dieu manchot, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Première rencontre avec José Saramago, que je voulais découvrir depuis déjà longtemps. Je ne remercierai jamais assez l'amie de bibliothèque qui m'a permis de franchir le pas. Je suis littéralement séduite par ce roman qui retrace la construction du couvent de Mafra, sous le règne du roi Jean V du Portugal. Ce texte conduit le lecteur au début du 18 ème siècle, avant le tremblement de terre qui ravagea Lisbonne. José Saramago nous fait surtout partager la vie des gens du peuple qui travaillent sur le chantier dans des conditions inhumaines au point d'y perdre parfois la vie. Ce livre évoque aussi les bûchers de l'Inquisition et les fêtes organisées dans la ville de Lisbonne, capitale où règnent la religion et la sensualité. Ce récit épique est aussi assez irrévérencieux et blasphématoire car l'auteur y fait une critique acerbe des hommes de pouvoir et des religieux dont les moeurs sont très dissolues. Cela offre d'ailleurs des pages très drôles remplies de malice et de situations osées. Mais José Saramago nous fait aussi rencontrer des personnages sympathiques : Blathazar et Blimunda bien sûr, mais aussi le moine Bartolomeu de Gusmao, inventeur génial d'une machine volante et le musicien italien Scarlatti. Ce livre est aussi une magnifique histoire d'amour et de passion. le style peut un peu désorienter le lecteur, car la ponctuation est rare. le texte comporte aussi des dialogues qui ne sont pas matérialisés par des tirets et retour à la ligne. Mais, l'histoire est tellement captivante et bien menée que cette écriture particulière de José Saramago n'est absolument pas un obstacle. Un grand coup de coeur!
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"Que votre Majesté construise le couvent et très vite elle aura une descendance, qu'elle néglige de le construire et Dieu décidera."...
Alors Dom João V, roi du Portugal, n'écoutant que le moine décidera de construire un couvent franciscain à Mafra. Belle occasion pour José Saramago de nous entraîner dans le Portugal du XVIIIe siècle, José Saramago fidèle à son écriture, à ses longues phrases, à son style inimitable. Au fil des livres ce style est de moins en moins déroutant. Quoique.....toujours aussi surprenant.
Un roman qui permet à l'auteur amoureux du Portugal qui l'a vu naître de nous faire découvrir deux réalités historiques, la construction de ce couvent franciscain et l'invention de l'une premières machines volantes par le moine Bartolomeu de Gusmão, la passarole, première machine qui devait permettre aux hommes de s'élever vers le ciel de leur vivant et ciel promis par les curés et les moines pour les hommes respectueux de la religion....la science faite de mécanique et d'un brin de magie d'un côté, la foi et le respect de la religion de l'autre, deux délires de l'Homme obsédé par le Ciel.
Couvent et Passarole furent toutefois deux réalités que l'auteur fait coïncider, pour les besoins du livre, alors qu'elles ne furent pas contemporaines.
L'auteur en profite pour écrire, une fois encore, un pamphlet contre la religion catholique, religion de paix si l'on en croit les textes mais également religion qui fut source de l'Inquisition, qui vit monter au bûcher des milliers de personnes accusées d'hérésie, parce qu'elles osaient s'interroger ou douter. C'est aussi un pamphlet contre cette religion qui sacrifia la vie de milliers d'autres dans la construction de ce couvent, oeuvre mégalo engloutissant des sommes faramineuses qui auraient sans aucun doute grandement amélioré le quotidien des petites gens. Une religion qui sacrifie l'Homme afin de sanctifier un Dieu...que les hommes ont imaginé.
Outre le roi et le moine Saramago crée deux personnages clés du roman, Balthazar Sept-Soleils, soldat manchot, et Blimunda Sept-Lunes, sa compagne sorcière dotée de la capacité de voir l'invisible dans chaque homme....uniquement lorsqu'elle est à jeun.
évoquent les petites gens, les gens du peuple.
Saramago attaque ces puissants politiques inspirés par la religion et ces Hommes d'église qui ensemble n'hésitent pas à exploiter la crédulité et la force des hommes au profit de leur pouvoir et de leur domination. Derrière la fable picaresque sur fond politique, se cache un roman critique sur la religion, instrument au service de puissants religieux ou politiques afin de dominer et d'opprimer l'Homme....depuis toujours
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L'un des tout premiers romans de José Saramago.

A partir d'une trame historique, la construction du couvent et palais de Mafra près de Lisbonne dans les années 1720, Saramago avec son style si particulier nous convie à suivre Balthazar, l'ancien soldat mutilé et Blimunda, sa compagne ayant le pouvoir de voir l'invisible en chacun des êtres vivants lorsqu'elle est à jeun. Saramago dépeint une société empesée de religiosité, tétanisée par l'inquisition et le respect des dogmes, engluée dans le décorum de la cour du roi du Portugal Joao V, exploitée jusqu'à la mort pour contribuer et subvenir aux moindres désirs du roi, de sa cour tout cela justifié par la foi et au nom de Dieu.

Balthazar et Blimunda vont rencontrer un jeune moine, Bartolomeu de Gusmao, qui a présenté au roi une machine volante et qui cherche absolument à développer cette invention pour que l'homme vole. Tout les trois vont ose lancer dans la construction de la Passarole à partir de technique, de science, d'alchimie et un peu de magie Cette démarche deviendra une réflexion sur la nature de l'homme, sa position dans ce monde, sa relation à un créateur éventuel. de nombreuses interrogation qui ne sont pas bonnes à exprimer dans cette période et qui ne pourra que leur attirer des ennuis avec l'église et les autorités.

Au-delà du roman historique, et c'est là le principal intérêt de ce livre, Saramago donne à lire un roman politique mettant le doigt sur l'exploitation des peuples par les puissants et un roman philosophique très critique sur la religion et surtout sur l'église catholique qui fait de la religion un instrument de domination et de répression. C'est également un regard ironique sur la relativité de l'histoire et du temps en décrivant ce Portugal du début du XVIII° siècle, empire dominant le monde sur les terres et les océans, devenu aujourd'hui un petit pays européen. Saramago porte un regard plein de tendresse et de compassion sur les humbles, un peuple balloté, affamé, exploité au nom d'un Dieu sois-disant d'amour et miséricordieux.

L'écriture de Saramago si particulière est la structure fondamentale du livre qui lui donne sa puissance et son universalité. C'est par ces longues phrases dans lesquelles s'insinuent ces incessantes digressions ironiques et parfois humoristiques que Saramago donne les clés de lecture du roman.
"Le Dieu manchot" est le second roman de Saramago, salué par la critique pour cette écriture si novatrice. Parfois on a le sentiment que Saramago se cherche encore un peu et que pour imposer son style cela se transforme en exercice qui alourdit la phrase et le rythme. Dans les romans suivant, Saramago va apurer son écriture, alléger le style et on atteindra le sublime.
Dès ce roman on retrouve tous les thèmes qui vont être les fils conducteurs de tous les livres de Saramago, la mort, le regard, Dieu, les peuples.

"Le Dieu manchot" n'est pas le meilleur roman de Saramago cependant un très beau texte à découvrir pour ce mélange de roman historique, fable , critique sociale et politique.
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En ces temps d'intolérance et de superstition, le roi Jean V "le Magnanime" règne sur le Portugal et ses sujets. Le souverain est un galant homme, il honore les couvents de Lisbonne et des alentours de sa très gracieuse présence et de ses bons offices, à telle enseigne qu'une ribambelle de bâtards naîtra de ses royales incartades. Néanmoins João remplit très scrupuleusement et périodiquement ses devoirs conjugaux en honorant deux fois la semaine son épouse, la reine Marie-Anne d'Autriche; rien n'y fait, la monarchique matrice se refuse à donner au bon roi un descendant. Alors, quand un moine de l'ordre de Saint François lui promet la venue d'un héritier si celui-ci accède enfin à la demande, que les franciscains ont renouvelé depuis des dizaines d'années, d'avoir un couvent, le roi promet. Et ce que le roi promet, il le fait et l'ordonne. Ainsi sera érigé à Mafra un palais-couvent aux dimensions colossales, dont la construction s'avérera un véritable gouffre financier et coûtera la vie à de nombreux ouvriers et manoeuvres.

Parallèlement à ce récit, loin des hauteurs inaccessibles où planent monarques et prélats, les destinés de trois personnages principaux nous sont contés. A commencer par le plus illustre, j'ai nommé Bartolomeu Lourenço de Gusmão, jésuite à la mémoire prodigieuse, sorte de Pic de la Mirandole de son temps, et que l'histoire retient pour être le père de l'aérostation, grâce à l'invention de sa Passarole. Il mourut à Tolède en état de démence, alors qu'il avait fui l'ire du Saint-Office. Il s'entoure dans l'élaboration de l'aérostat d'un soldat réformé, Sept-Soleils, revenu manchot de quelque guerre de succession que les monarques se faisait périodiquement, qui par ailleurs travaillera sur le chantier de Mafra pour finalement mourir sur les bûchers de l'Inquisition; sa compagne, Sept-Lunes, aux dons extralucides hérités d'une mère déportée pour sorcellerie par la même funeste institution religieuse, les assiste.

Les scènes horrifiques d'autodafés, tache inexpiable à la face de l'église catholique; les courses de taureaux, résurgences des jeux du cirque; la titanesque construction du couvent de Mafra et tout particulièrement l'acheminement homérique de la "mère des pierres", voici autant de scènes épiques qui, à elles seules, méritent qu'on s'attarde sur le présent ouvrage. Ce roman iconoclaste, audacieux par son style et sa forme, regorgeant d'ironie, n'épargne ni le trône, ni l'autel. C'est aux petites gens oubliées, victimes de l'orgueil démesuré des puissants, que l'attention et la tendresse de José Saramago, Prix Nobel de littérature 1998, se porte.
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Citations et extraits (89) Voir plus Ajouter une citation
Veux-tu venir m'aider, demanda-t-il. Balthazar fit un pas en arrière, stupéfait. Je ne sais rien, je suis un homme des champs, outre cela on ne m'a appris qu'à tuer, voilà pourquoi je suis comme je suis, sans cette main. Avec ton autre main et ce crochet tu peux faire tout ce qu'il te plaît, et il est des choses qu'un crochet fait mieux qu'une main entière, un crochet ne ressent point de douleurs quand il doit tenir du fil de fer ou un morceau de métal, il ne se coupe pas, il ne se brûle pas, moi qui te parle je te dis que Dieu est manchot, pourtant il a fait l'univers.
Balthazar recula, effaré, il se signa promptement, comme pour ne pas donner au diable le temps d'achever ses oeuvres. Que dites-vous là, père Bartolomeu Lourenço, où est-il écrit que Dieu est manchot, Cela n'est écrit nulle part, je suis le seul à dire que Dieu n'a pas de main gauche, puisque c'est à sa droite, à sa main droite que s'asseyent les élus, jamais on ne parle de la main gauche de Dieu, ni les Saintes Ecritures, ni les docteurs de l'Eglise n'en font état, personne ne s'assied à la gauche de Dieu, c'est le vide, le néant, l'absence, d'où il résulte que Dieu est manchot. Le prêtre respira profondément et conclut, De la main gauche.
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C'était un jour où les femmes foisonnaient, comme cela fut confirmé par la douzaine d'entre elles qui débouchèrent d'une étroite ruelle, entourées d'archers noirs qui leur faisaient presser le pas et précédées par un corregidor portant baguette, presque toutes étaient blondes, avec des yeux clairs, bleus, verts, gris, [...] ce devait être les Anglaises qu'on ramenait au navire d'où elles avaient été débarquées par friponnerie du capitaine, et il ne leur restait plus désormais qu'à cingler vers l'île de la Bardade au lieu de prendre racine sur cette bonne terre portugaise, si propice aux putains étrangères, profession qui se rit des confusions de la tour de Babel car en ses officines on peut entrer muet et en ressortir bouche cousue, pourvu qu'au préalable l'argent ait parlé.
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L'on châtie nègres et roturiers afin que la valeur de l'exemple ne se perde pas mais l'on honore les gens de bien et à biens, l'on n'exige pas d'eux qu'ils payent leurs dettes, qu'ils renoncent à la vengeance, qu'ils cessent de haïr et une fois que des progrès sont engagés, car il est impossible de les éviter complètement, à nous la chicane, le dol, les procédures d'appel, la coutume, les circonlocutions, pour que vainque le plus tard possible celui qui, si justice était juste, vaincrait sans plus attendre, et pour que perde le plus tard possible celui qui devrait perdre sur-le-champ. Et pendant tout ce temps l'on extraira des mamelles tout ce bon lait qu'est l'argent, caillebotte sans prix, fromage suprême, morceau friand pour officier de justice et avoué, avocat et enquêteur, témoin et juge.
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Dom Joao, cinquième du nom dans le catalogue des rois, se rendra cette nuit dans la chambre de son épouse, dona Maria Ana Josefa, venue d'Autriche il y a plus de deux ans afin de donner des infants à la couronne portugaise et qui, jusqu'à aujourd'hui, n'a point encore conçu. Déjà l'on murmure à la cour, dedans et dehors le palais, que probablement la reine a la matrice sèche, insinuation tenue très à l'abri d'oreilles et de bouches délatrices et confiée exclusivement aux intimes. Que la faute en incombe au roi est impensable, premièrement à cause que la stérilité n'est pas mal d'hommes mais de femmes, ce pourquoi elles sont si souventes fois répudiées, secondement, et en voilà une preuve matérielle, si tant est qu'une preuve fût nécessaire, à cause que dans le royaume les bâtards issus de la semence royale abondent et que cela n'est que le début d'une foisonnante descendance.
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Ces femmes postées derrière leurs portes, personne ne leur offre de fleurs, seulement un sexe impatient qui dans l'obscurité entre et sort, emportant trop souvent avec lui le germe de la pourriture, du mal français, et ensuite les pauvres se lamentent à n'en plus finir, aussi malheureux que les malheureuses qui les ont contaminés, le pus s'écoule le long de leurs jambes en un flux irrépressible, ce n'est pas une maladie que les chirurgiens admettent dans les infirmeries, le remède, si tant est que cela en soit un, consiste à appliquer sur les parties le suc de consoude, cette plante miraculeuse déjà citée qui est un remède souverain contre tous les maux et qui n'en guérit aucun. De solides gaillards ont fréquenté ces venelles qui, aujourd'hui, trois ou quatre années plus tard, sont entièrement pourris des pieds à la tête. Des femmes propres ont fini ici qui, à peine eurent-elles rendu le dernier soupir, durent être enterrées très profondément car elles n'étaient plus que des sacs d'excréments crevant de toute part et empestant l'air. Le jour suivant la maison a une nouvelle locataire. La paillasse est la même, les hardes n'ont même pas été lavées, un homme frappe à la porte, il entre, aucune question n'est nécessaire, aucune réponse n'est attendue, le prix est connu, l'homme défait ses braies, la femme relève ses jupes, il a gémi son plaisir, elle n'a pas eu besoin de feindre, nous sommes entre gens sérieux.
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Vidéo de José Saramago
Charlotte Ortiz, traductrice de "Traité sur les choses de la Chine" de Frei Gaspar da Cruz (ouvrage à paraître) nous fait le plaisir de nous parler de deux livres importants pour elle. "L'aveuglement" de José Saramago, roman parlant d'une pandémie ... elle vous en dira plus et, "Européens et japonais, traité sur les contradictions et les différences de moeurs" de Luís Froís où il est question, entre autres, de genre, de cuisine et de belles perspectives ;) !
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