Près de deux-cents pages où il est question d'or (un peu), de rêve (beaucoup) et de voyage. Job le Gloahec est un aventurier dont le récit à la première personne décrit les tourments d'un jeune homme "qui a vécu".
Profondément libre, fiévreux et introspectif, il pose sur le genre humain un regard mûr avec pour toile de fond une Guyane inhospitalière. Alternant l'indifférence et l'euphorie, il dit dans un style écorché la lourdeur et la richesse d'une existence sans cesse remise en question. Peu avare de répétitions, sans désir de plaire, il décrit avec érudition la forêt amazonienne, se montre familier du vocabulaire marin et brocarde farouchement l'ordre établi. Perpétuel insatisfait, il vous égarera peut-être en route. Mais en digne cousin de Kerouac, il attisera l'idée que l'essentiel est ailleurs...
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Récemment réédité par l'IRE, ce livre n'a pas pris une ride et semble même, dans le contexte actuel, d'une brûlante actualité. La langue est magnifique, mais ce n'est pas l'essentiel. Ce qui compte avant tout, c'est le message, ou plutôt le questionnement dont elle est le superbe vecteur. "Qu'est-ce qui reste, dans un homme, quand il n'y a plus rien?"
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- C'est à cause de cette nuit et de ce drôle de silence, parce qu’on est tellement loin... On n'a jamais parlé de la guerre, nous deux, mais il s'est passé quelque chose, là-bas j'étais pilote. C'est difficile à dire cet accident; un accident qui change tout...
La corde du hamac grince comme une haussière au mouillage. Nous sommes amarrés à la nuit, amarrés à une troupe de petits morts qui n'en finissent pas de mourir.
- Imagine, à six cents à l'heure, le fracas des mitrailleuses, le moteur qui siffle comme une chaudière crevée, et puis l'explosion d'un seul coup...
Je me suis retrouvé pendu en l'air, éjecté, au bout d’un parachute. Un miracle. Arraché du cockpit, sais pas comment. J'ai dû tirer sur le parachute... Et puis ce silence,-mon vieux, ce silence tout d'un coup...
La voix de Vincent tremble. Je ne sais ce qu'il regarde dans la nuit, quel monde explosé en lui à cette seconde. Il le balbutie, son silence, comme un enfant.
- Il y avait des champs en dessous, avec des arbres. Loin, très loin au-dessous, la Belgique... une drôle de terre toute petite, très loin, avec des hommes peut-être. Mais je m'en foutais. J'étais ailleurs - ailleurs, tu entends. Dans le silence partout, complètement stupéfié ... Des tas de fois j'ai sauté en parachute, mais cette fois-là ... la terre, c'était fini... j'étais de l'autre côté. Un silence formidable. Tu ne peux pas comprendre.
- Mais si.
Songe-creux... La vieille antienne du monde claquemuré - parce que je rêvais sur des cartes. Cartes à dormir debout, cartes aux grands espaces de couleur, comme une mer fabuleuse où plonger, avec ses Bactrianes toutes blanches, ses Kouen-Lun, ses Lob-Nor, des villes de baguette magique et de draps d'or, des royaumes à bâtir. Je cherchais - je cherche encore - je ne sais quelle mémoire distraite, une terre promise peut-être?... Songe-creux, mais nos chimères vont naître, nos rêves sont du réel à venir. Je sais. Je sais.
Ça qu'il faudrait leur dire - état de grâce. Mais ce n'est pas vérité à prendre au piège, dans la boite à penser : c'est vérité-lumière, vérité d'eau qui coule sous roche et qui porte tout le faisceau des choses dans son fleuve - c'est murmure d'archange sous le dur noir des choses. Vérité comme la vie, et qui saute au cœur et voit avec l'œil unique, ah! qui reconnaît tout. C'est vérité, là, à pleurer de joie.
Pendant vingt-six ans j'ai été attaché à une ombre, et J'y tenais à mon ombre, ah! il ne fallait pas qu'on y touche à mon ombre! Et me voilà sans ombre, juste comme l'eau dans l'eau ça fait une différence, je vous jure.
Satprem - Restera seulement ce qui est vraie 3-3