Un roman curieux, tragi-comique, à l'écriture fluide, poétique parfois presque lyrique, mais qui me laisse un arrière-goût morose...
Le roman commençait très mal pour moi, puisque je participe au challenge de Sharon Animaux du monde en raison de ma passion pour les animaux. Or, Paul, le narrateur du prologue, nous apprend qu'il a méticuleusement dépecé son chien pour le manger. Malgré les détails peu ragoûtants, j'ai poursuivi ma lecture et j'ai compris quelques pages plus loin, que Paul mange son chien par amour, pour s'imprégner de lui et de son « enseignement » (oui oui, on parle bien du chien !). J'ai donc pu poursuivre ma lecture plus sereinement ! Par la suite, c'est un narrateur omniscient qui nous présente des tranches de vie du quartier : l'histoire du chien Knult, le fameux chien cuisiné dans le prologue, puis Paul, l'étudiant qui a décidé de renoncer à la vie matérielle et conformiste pour une vie plus que frugale, en communion avec le chien : « Moi, le vagabond, le Robinson sans île, le déjà-moribond, j'éructe et j'exulte dans ma rage. Je vous en veux à tous. Je suis un moine ivre, un tabernacle ouvert, une statue sans tête. Je suis l'église vide à l'autel fracassé, le temple désaffecté au pavillon en deuil. Ma vie est mon cercueil. Il est parti mon Knult, mon seigneur et mon maître, mon Christ décomposé. Il est parti ce matin aux premières rosées. »
L'inspecteur Moskato quant à lui, sombre dans la mélancolie suite à la disparition de son caniche : « Il se rendait compte que cette bestiole minuscule, ce truc infinitésimal et geignard, avec ses petits riens, ses couinements, son appétit de goinfre, sa quête obsessionnelle de son os en plastique, avait pris dans sa vie une place considérable. » tandis qu'Ange Fraboli s'échine justement à enlever chiens et chats pour les revendre à des laboratoires. Au centre de ces allées et venues, quelques figures récurrentes : madame Estrouffigue qui semble posséder tout le quartier et poursuit ses locataires de son implacable sollicitude, le boucher Luciano et Véro, la vétérinaire, amoureuse de Paul.
C'est finalement un beau roman qui fait la part belle à la gent animalière, non sans ironie parfois, et n'est pas dénué de comique (Ange Fraboli est ridicule par exemple lorsqu'il se prend pour un séducteur ou encore lorsqu'il est à moitié assommé par une grand-mère qui veut lui reprendre son chien) mais qui ne m'a pas totalement convaincue...
Commenter  J’apprécie         60
Quel excellent roman !
Chaque nouvelle page offre un rebondissement !
La situation initiale de ce roman est très originale : Paul, jeune étudiant promis à un bel avenir , quitte tout pour vivre dans l'ombre d'un chien errant : Knult.
Puis, l'originalité se poursuit tout au long du roman où le lecteur est promené de surprise en surprise.
On quitte la destinée de Paul ( devenu S.D.F. , miné par le chagrin de l'absence -Knult est mort-) pour faire la connaissance d'autres personnages qui ont tous un point commun: l'amour ou la haine des chiens.
Au milieu du roman, je me suis sentie un peu perdue , et ce pendant une cinquantaine de pages ; puis, au fur et à mesure que je progressais dans ma lecture, cette “traversée du désert” s'est estompée; en effet, un réseau de liens se construit et apparaît entre ces autres personnages : un boucher, une vétérinaire, une brute en survêtement, un prêtre, une vieille dame, une propriétaire, un voleur de chiens. le fantôme de Knult semble planer sur eux et guider leurs actes.
Outre son originalité , son ton oscillant entre humour décalé et tristes réflexions métaphysiques, ce roman est très bien écrit, avec un vocabulaire très riche et recherché. Bref, de la vraie littérature !
La seule chose que je n'ai pas aimée dans ce roman est sa fin : je l'ai trouvée trop “abrupte”, avec un Paul qui retourne de façon trop conventionnelle à sa vie antérieure , ayant renoncé à tous les idéaux que lui avait “enseigné“ son chien Knult..
Commenter  J’apprécie         30
Il a y deux degrés pour appréhender cette lecture. D'abord se laisser aller au rythme des phrases, profiter de cette prose accomplie et si amusante, aimer ou haïr les animaux. Apprécier ou détester les personnages. C'est le plus simple et le plus plaisant.
Et puis il y a le second degré et toutes les réflexions et les gênes qu'il occasionne. Peut-on réèllement se passer de tout notre confort matériel ? vivre en compensant simplement nos besoins physiologiques ? est-ce la seule façon d'échapper "aux lois du troupeau" ? Peut-on vraiment se démarquer ? C'est vrai que ce sujet est le plus épineux et qu'on préfèrerait ne pas s'appesantir dessus, mais n'est-ce pas la seule et véritable raison d'être de ce bouquin ?
Formidable.
Commenter  J’apprécie         20
Il y a ceux qui vivent la vie et ceux qui la regardent ! 90% de crétins devant leur poste (de télévision) permettent à 10% de nantis de se fendre la leur ! Le plus grand nombre travaille ou survit pour acheter du divertissement qui lui fait oublier l'âpreté de ses conditions d'existence.
Je laissai le lit défait, mes papiers sur la table, une pomme sur la cheminée et tout ce que j'avais été jusqu'à ce jour. J'abandonnai mes livres, mes disques, mes misérables poèmes dans un petit carnet. Mon cher Hermann Hesse et l'immense Tolstoï, Mishima et saint Jean de la Croix, la musique des Doors, le piano de Gurdjieff et la musique ancienne, les compagnons du doute et de l'attente ardente, ce qui m'avait nourri, je quittai tout cela. Pour un jour, pour toujours.
Ange avait remarqué qu'il y avait quelque chose d'animal qui se dégageait de sa personne, une sorte de magnétisme qui les rendait folles. Ou bien elles fichaient le camp tout de suite ou bien elles se mettaient à poil sans discuter. Même qu'à la réflexion la deuxième hypothèse lui coûtait assez cher.
Knult ne s'était jamais satisfait des croquettes qui se reproduisaient chaque soir dans son écuelle. La gastronomie obéissait pour lui à des règles complexes où le plaisir du palais ne pouvait être complet sans l'excitation du pistage et le frisson du larcin.
Ce matin, j'ai mangé mon chien. Sans doute vous demandez-vous comment j'ai pu faire ? Je l'ai dépecé comme un vulgaire lapin. Ce n'est pas difficile. Il suffit d'avoir un bon couteau, un couteau qui coupe. Le mien m'avait été prêté par Luciano, le boucher d'à côté. il nous aimait bien, mon chien et moi, depuis le temps. Avec une lame effilée, j'ai accompli ma triste besogne. J'ai taillé la peau de mon pauvre Knult.
"La nuit nous sauvera" Philippe Ségur aux éditions Buchet Chastel