Monument de la philosophie, les
lettres à Lucilius tiennent une place importante dans l'oeuvre de
Sénèque. Je l'ai lu dans la traduction de
Henri Noblot édité par la Société des
Belles Lettres sous le patronage de l'
Association Guillaume Budé et diffusé par autorisation spéciale par le
Club Français du Livre. Voilà pour l'édition qui contient ni plus ni moins que 125 lettres réparties en plusieurs « livres » mais là, je ne sais si cette partition est juste car on passe du onzième livre au quatorzième.
J'ai donc lu l'ouvrage, comme on dit, « la plume à la main » et au « fil des jours » pour compléter les lieux communs. Ce que je vais regrouper ici est le résumé de mes notes et des citations de
Sénèque. Rien ne sera exempt de paraphrase par endroits. Il faut dire aussi que
Sénèque insiste, se répète beaucoup sur les thèmes qui lui tiennent à coeur et il a le défaut de faire beaucoup de digressions. Cet avertissement donné voilà le résultat de ma lecture. Pour les citations, je mettrai entre parenthèses le numéro des lettres d'où elles sont tirées.
Ces Lettres à son disciple Lucilius -guère plus jeune que lui - sont écrites par
Sénèque en son vieil âge et commencent, se répètent par des appels à la vie sobre à la façon que doit avoir le philosophe de « se retenir » . Il est plus facile de mourir en méprisant la vie. Comme les épicuriens,
Sénèque pense que, soit la mort n'est pas présente, et l'on est vivant, soit elle est passée et on ne le sait pas. C'est aussi un thème qui revient dans ces lettres. de même, il ne faut exagérer ni sa pauvreté ni sa richesse mais, sur le plan matériel, s'intégrer au peuple, au commun des mortels. Ne pas se faire remarquer est un maître mot et il y en a d'autres.
« L'objet de la philosophie, sa première promesse c'est l'autorité du sens commun, la culture humaine, le rapprochement social » (5)
Il se contredit un peu plus loin, dans la lettre 7, où il recommande d'éviter la foule car, dans celle-ci, il y a toujours quelqu'un qui incite au vice. Il prône la retraite du sage car le sage ne peut manquer de rien ni d'amis véritables ni de richesse qui, chez l'auteur ne peut être qu'intérieure. Comme
Montaigne l'a repris plus tard, on doit vivre chaque jour comme si c'était le dernier mais on ne doit pas anticiper ses malheurs et craindre la mort. Ainsi la philosophie préserve l'individu de l'adversité et reste la meilleure conseillère qu'il soit. La philosophie ne rend pas riche, c'est une richesse.
« Si quelque chose t'empêche de bien vivre, rien ne t'empêche
de bien mourir. » (17)
«Le mal n'est pas dans les choses, il est dans l'âme. » (17)
Se préparer à la pauvreté pour la rendre plus facile si elle vient, mépriser la gloire, être prêt en toutes choses, apprendre à bien vieillir et apprendre à mourir en se détachant progressivement de la vie, chercher la paix de l'âme plutôt que les biens matériels car l'âme ne peut diminuer contrairement au reste.
Pour éprouver l'homme de bien, il faut lui donner le pouvoir et voir ce qu'il en fait. La recherche du bonheur est objet de tourments. le rechercher c'est le fuir.
« Ce n'est pas le nombre de tes livres mais leur qualité qui importe : la lecture à programme défini profite, diversifiée elle n'est qu'amusement. » (45)
Je suis plus ou moins d'accord - comme avec beaucoup d'idées de
Sénèque - car je pense que la lecture diversifiée et récréative peut être tout aussi profitable : elle ouvre l'esprit, le repose et cela reste de la lecture.
Des accents qu'on retrouve chez
La Boétie :
« La plus indigne des servitudes est la servitude volontaire. » (47)
et d'autres dans le Christianisme :
« Vis pour autrui si tu veux vivre pour toi. » (48)
La philosophie doit rester discrète :
« La philosophie a perdu, personne n'en doutera, depuis qu'on l'a livrée à la foule. » (52)
Malade,
Sénèque s'est préparé à la mort :
« Imite celui-là qui ne répugne pas à mourir, bien qu'il se plaise à vivre. »
Attention aux fausses joies. La vraie joie est difficile à atteindre. On a ici une préfiguration de
Spinoza :
« On un des attributs de la joie est de ne pas cesser, de ne pas se trouver dans un état contraire. » (59)
Sénèque console Lucilius qui vient de perdre un ami. Il part du principe que « toute douleur a un terme » et prône un deuil doux sans trop de larmes et sans sanglots. Les grandes démonstrations de douleur font que le chagrin ne dure pas vraiment :
« Aussi travaillons à nous rendre douce la mémoire des êtres disparus, car personne n'aime à revenir sur une pensée qui ne peut que réveiller des tourments. » (63)
Le but de la philosophie est de travailler à rechercher le « souverain bien » par une imitation de la nature avec l'aide de la raison :
« On ne conçoit pas le bien sans raison.
Or la raison suit la nature.
Qu'est-ce donc que la raison ? L'imitation de la nature.
Quel est le souverain bien de l'homme ?
Une conduite conforme aux volontés de la nature. » (66)
Les petits accidents de la vie ou même les plus grands donnent des indices du moment où ils vont frapper mais pas la malfaisance humaine car « l'homme détruit l'homme par plaisir ». Penser à son devoir d'homme, se réjouir de la fortune des autres et être sensible à leurs infortunes, se réfugier et retourner à la philosophie comme dans un sanctuaire.
Sénèque pensait que les voyages ne servent pas à guérir l'âme tourmentée :
« Mais celui qui va choisissant ses villégiatures et court après le repos, il trouvera en tout lieu de quoi se tracasser. (104)
Si l'âme est animal, il n'en est pas de même des actions qui en découlent. Il la compare à un roi quand elle n'est habitée de passions et à un tyran quand les vices la submergent. Il y a en cela deux causes : on ne pense pas être mortel pas plus qu'un être unique. Il faut savoir limiter ses désirs :
« …quoi que tu fasses, donne un regard à la mort. » (114)
Les biens résident en l'action, non comme concepts.
La réussite, l'objet atteint ne sont que des illusions de bonheur :
« Cependant la masse admire ce qui de loin lui en impose : ce sont des choses paraissant bonnes au vulgaire qui passent pour considérables. » (118)
La faim et la soif ont juste besoin d'être rassasiées ou étanchées que ce soit avec des mets ou des boissons riches ou simples le résultat sera le même :
« La faim n'a pas de prétentions. Il lui suffit d'être calmée : elle ne se soucie guère avec quoi. »
Certes, il fut plus facile pour
Sénèque enrichi en son vieil âge de prôner la sobriété et la fuite des plaisirs. On peut se poser la question en ce qui concerne ceux qui n'ont rien et les jeunes gens qui n'ont pas fait l'expérience des plaisirs :
« Vouloir ce qui suffit, c'est avoir ce que l'on veut. » (108)
Qui rejoint le fameux proverbe chinois : « celui qui se contente de peu a déjà tout ce qu'il lui faut. » (Je crois que je l'ai entendu dans Tanguy !)
Et il y a encore du travail à faire :
"...le jour où tu tiendras ton vrai bien sera celui où tu reconnaîtras que les plus malheureux des hommes, sont les plus heureux de ce monde. "(124)