AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782072988837
176 pages
Verticales (02/02/2023)
3.43/5   7 notes
Résumé :
Eschyle, Cary Grant, le golem, les huîtres, un vizir des Mille et Une Nuits et Sergueï Eisenstein ont au moins un point commun : le silence. Plus précisément, ce point commun s’appelle Pavel Pletika, né en 1881 dans la Russie d’Alexandre III et mort quatre-vingts ans plus tard dans l’URSS de Nikita Khrouchtchev.
Au terme des années vingt, connu pour ses conférences trop bavardes et décousues, il s’isole pour se consacrer à l’écriture d’une vaste Encyclopé... >Voir plus
Que lire après Un long silence interrompu par le cri d'un griffonVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
« Un long silence interrompu par le cri d'un griffon » de Pierre Senges (2023, Verticales, 172 p.) vient de sortir. C'est une bonne nouvelle, surtout que c'est accompagné d'un autre ouvrage de Pierre Senges, qui n'a rien à voir « Epitre aux Wisigoths » (2023, Editions Corti, 190 p.).
Du Pierre Senges pur jus, centré sur le silence, mais bavard comme une pie. Quoique le roman en soi ne fasse que 87 pages. Mais il est suivi par une « Encyclopédie du silence », de près de 80 pages, qui comme son nom l'indique, répertorie tout ce qui se tait de « A » à « Z », c'est le cas de le dire. Avec cette superbe définition de « Aleph » qui eût plu à Georges Perec, et à tous les amateurs de mots croisés. « ALEPH : première lettre de l'alphabet hébreu, ni tout à fait consonne, ni tout à fait voyelle, et dépourvue de son véritable ». Jorge Luis Borges aurait aussi apprécié. Cela vaut la définition du « Y », qui, en position initiale et devant une consonne, joue son rôle de voyelle, mais que l'on peut aussi considérer comme une semi-consonne. Une lettre LGBTQ en somme. D'ailleurs Pérec en avait fait un mot croisé à une case unique, et les deux définitions : 1. Horizontal : Voyelle, et I. Vertical : Consonne. On peut d'ailleurs varier le problème et produire une autre grille, également à une case, mais inversée : 1. Horizontal : Consonne, et I. Vertical : Voyelle.
Il est d'ailleurs non fortuit de faire le rapprochement entre Georges Perec et Pierre Senges, tous deux amoureux des mots et des listes de mots. Mais tous deux au patronyme ne comportant que deux voyelles, et des « E » de surcroit. Donc de peu de valeur au Scrabble. C'est donc affronter ce jeu avec un sérieux handicap, par exemple avec la poète polonaise Wisława Szymborska ou Olga Tokarczuk, toutes deux nobélisées. J'en profite aussi pour signaler la parution du dernier ouvrage de la romancière « Jeu sur tambours et tambourins », traduit par Maryla Laurent (2023, Editions Noir sur Blanc, 352 p.), recueil de 22 nouvelles. Que dire alors de Sigismund Krzyzanowski (1887-1950) cité dans l' « Encyclopédie », inventeur du cinquième Evangile, appelé « Evangile du Silence », et menteur professionnel. Pierre Senges le cite d'ailleurs une douzaine de fois dans son « Epitre aux Wisigoths ».
Donc retour à « Un long silence interrompu par le cri d'un griffon », livre centré sur Pavel Pletika (1881-1961), russe de profession et « parleur incessant », pour illustrer un livre sur le silence. Personnage « le plus souvent agréable, aimable même dans sa faculté d'ennuyer », qui a séduit Pierre Senges par « sa façon de glisser sans interruption, sans crier gare non plus, d'un discours sur les réformes de Dioclétien à des paroles courtoises ». Personne qui a également rencontré une certaine Tatiana Orlova, jeune fille, aux bras de trapéziste hérités de sa mère et à l'humeur morose héritée de son père. Mais elle est dotée d'une voix « capable de monter sans à-coups jusqu'au contre-fa de la Reine de la Nuit de « La Flûte enchantée », et même parfois, dans ses beaux jours, un contre-sol radieux de soprano colorature ». Devant tant de beauté sonore, les verres en cristal se brisent.
Mais il est vrai que Pavel Pletika a écrit une formidable « Encyclopédie du Silence », plus de 10 000 pages qu'il a camouflé dans divers livres pour les soustraire à la lecture. C'est la partie émergée que Pierre Senges nous révèle. Bien entendu, cela concerne essentiellement des auteurs russes ou russophones. Mais il met aussi des auteurs en lumière, tel ce Choang Tseu, formidable Emile Ajar chinois. « de Choang Tseu on ne sait presque rien, sinon une chose, c'est qu'il ne s'appelait probablement pas Choang Tseu ». Cousin lointain de Lao Tseu, que sa mère aurait conçu en apercevant une comète ou un dragon volant alors qu'elle était assise sous un prunier. Dragon volant ou griffon criant dans la campagne chinoise silencieuse. Il n'en faut pas plus pour entamer une Encyclopédie. Il y a-t-il eu une comète survolant Langres lorsque Denis Diderot a commencé la sienne. Tout ce que j'en sais, est qu'il n'y fait pas très chaud. Et que le monument situé dans le cloitre de la cathédrale se caractérise par un puit central renfermant un morceau d'if en forme de « Y ». Lettre où convergent trois directions qui symbolise la Trinité. La spirale qui l'entoure, évoquant l'infini, est ponctuée de « Y » en nombre croissant au fur et à mesure que l'on s'éloigne du centre. Ces « Y » sont aussi le signe d'un rare point triple en hydrographie, avec les sources de la Marne, Seine, Meuse et Aube. Ce qui fait que Langres sépare les bassins versants Seine Atlantique et Manche - Meuse et mer du Nord – Rhône et Méditerranée. La Trinité noyée de tous les côtés.
Le griffon, maintenant. Créature légendaire, mais qui reste hiéracocéphale. Tout comme Ré-Horakhty, qui dans l'intimité s‘appelait tout simplement « Horus de l'Horizon ». Particularité, sa tête de faucon, tête toute en nuance, pour ne pas le confondre avec le vrai. le tout étant surmonté du disque solaire. On précise même, c'est un marchand du Caire qui me l'a confié, que la tête est greffée sur le train arrière d'un lion, mais il a des oreilles de cheval. C'est donc un personnage que l'on peut reconnaitre facilement dans la rue. On dit de plus, qu'il est de bonne composition et rend volontiers les salutations aux passants. Hérodote rapporte aussi, dans le livre III de son « Histoire » qu'il vit préférentiellement auprès des gisements d'or où les peuples anciens des Scythie, souvent des borgnes, guerroyaient contre eux pour s'emparer de l'or des trésors d'Apollon. Un peu plus tard, le griffon réapparait et vient titiller Saint Antoine dans le désert, ainsi que le rapporte Gustave Flaubert dans « La Tentation de Saint Antoine ». le grand Gustave lui fait dire « Je suis le maître des splendeurs profondes. Je connais le secret des tombeaux où dorment les vieux rois ». Mais c'est après avoir introduit la Chimère et le Sphinx, puis, plus exotiques, les Nisnas qui n'ont qu'un oeil et les Blemmyes absolument privés de tête. Ce avant les pygmées et les Sciapodes, chevelus, avant les Cynocéphales et le Sadhuzag, au soixante-quatorze andouillers, et enfin le Martichoras et le Catoblepas. Puis surgissent « le Tragelaphus, moitié cerf et moitié boeuf ; le Myrmecoleo, lion par devant, fourmi par derrière, et dont les génitoires sont à rebours ; le python Aksar, de soixante coudées, qui épouvanta Moïse ; la grande belette Pastinaca, qui tue les arbres par son odeur ; le Presteros, qui rend imbécile par son contact ; le Mirag, lièvre cornu, habitant des îles de la mer. le léopard Phalmant crève son ventre à force de hurler ; le Senad, ours à trois têtes, déchire ses petits avec sa langue ; le chien Cépus répand sur les rochers le lait bleu de ses mamelles ». Je ne sais quelle tisane Gustave buvait, mais à priori, c'était de la bonne herbe. Pierre Senges fait dire à Flaubert, dans son « Encyclopédie ». « Je ne fais au monde que des concessions de silence, mais aucune de discours. Je baisse bien la tête devant ses sottises, mais je ne leur retire pas mon chapeau ». Geste qui était faisable lorsque l'on ne sortait point sans chapeau.
Mattias Grünewald fait une splendide illustration du griffon dans « le Retable d'Issenheim » (1516), qui vient d'être restauré au musée Unterlinden de Colmar. C'est le troisième tableau du retable, celui qui était habituellement caché, laissant les fidèles devant un Christ en croix et un Saint Jean Baptiste en bel habit rouge, avec son mouton. C'est un gentil mouton, mais un mouton tout de même. Comme celui d'Alain de Greef dont on rappelle le bruit de la chute dans « Essais Fragiles d'aplomb » du même Pierre Senges (2002, Editions Verticales, 160 p.).
Ce mouton, parallèle au bras de son maitre, se poursuit vers la mère du Christ, inclinée et soutenue par l'apôtre Jean, pendant que le bras et le doigt de Jean pointent vers un des bras du Christ. le tout en travers de la toile, rompant les symétries. Sur le troisième volet du tableau « La tentation de Saint Antoine », le griffon y est bien reconnaissable, avec ses plumes et son bec crochu au premier plan en bas à droite. Il l'est d'ailleurs tout autant sur un tableau de Vittore Carpaccio intitulé « Saint George et le Dragon », peint en 1507, actuellement exposé à la « National Gallery of Art » à Washington. Quasiment de la taille du cheval de Saint George, ce dernier lui perce la gorge avec sa lance. On n'entend pas le cri du griffon, on est au musée et les sons inattendus sont repréhensibles. Mais ce doit être épouvantable. On se demande ce que faisaient les défenseurs du droit animal à cette époque, alors qu'Ernest Hemingway glorifiait la corrida dans « Mort dans l'Après Midi » (1966, La Pléiade, 1668 p.).

Commenter  J’apprécie          00
Comme toute bonne blague, "Un long silence interrompu par le cri d'un griffon" pourrait s'ouvrir par « C'est l'histoire d'un Russe »… Mais, et heureusement, Pierre Senges préfère débuter son livre par un incipit d'une fière beauté, annonçant d'emblée le ton du livre. "Un long silence…" se concentre sur Pavel Pletika, né en 1881 dans la Russie d'Alexandre III et mort en URSS, celle de Nikita Khrouchtchev. Cet homme se fait peu à peu connaître par ses conférences et son verbe haut, tandis qu'il noue une histoire d'amour (ou plutôt une colocation ?) avec une chanteuse lyrique. Mais la Révolution d'Octobre et donc la prise de pouvoir des communistes perturbent les plans de Pletika, plongé dans l'ennui, « de vivre en Russie, de vivre sur cette terre, de vivre dans la république travailleuse ».



Mort dans un parfait dénuement, les admirateurs de Pletika partent à la recherche de son oeuvre ultime, une Encyclopédie du silence qu'il s'est escrimé à monter dans une solitude choisie. Vingt-cinq années de travail accouchent de dix mille pages séparées en douze volumes : « une encyclopédie du silence, c'est selon Pavel Pletika l'hospitalité faite à toutes les variétés de silence. […] Pletika a vu d'emblée devant lui un quart de siècle de recherches à la fois rigoureuses et nonchalantes (ou bien ni l'un ni l'autre), ressemblant à la quête du collectionneur décidé à retrouver coûte que coûte le dernier échantillon par ailleurs dérisoire, mais prêt à remplacer, en cas d'échec, son obsession par la désinvolture ». Joueur et espiègle, Pletika a choisi une forme bien particulière pour sauvegarder son travail, forme que l'on ne dévoilera pas ici.



A partir de la découverte de cette Encyclopédie du silence s'ouvre la deuxième partie du livre de Pierre Senges, toute aussi fictive que la première. Après la biographie inventée vient l'oeuvre imaginée : l'auteur multiplie les entrées et les réflexions, toutes relatives au silence. Moins intéressante que la première partie qui se trouvait portée par une recherche constante de la langue, cet avatar d'encyclopédie recèle toute de même d'intéressantes réflexions. Certains thèmes reviennent en boucle : la tragédie grecque, le cinéma muet/parlant, la religion (et particulièrement le judaïsme), Shakespeare, Kafka… On y trouve des entrées comme « Huîtres », « Lamb, Charles (1775-1834), « Gnose » ou encore « Sublime ». Si « ce dont on ne peut parler il faut le taire » (Wittgenstein), Pierre Senges a choisi de parler de ceux qui ont décidé de se taire.
Commenter  J’apprécie          10
Les simulacres du silence. Vie inventée d'un bavard impénitent au début du siècle, puis dans les années vingt soviétique, qui se réfugie dans la clandestinité, l'approximation, la ressemblance décidée qui alors régnait, et écrit, selon la légende, son encyclopédie du silence dont le livre nous fait entendre d'ironiques et drôlatiques fragments. Pierre Senges travaille ainsi la fiction comme métaphore, tromperie, décalage, délirantes interprétations, enthousiastes duplicité, comique dissimulation — désir de sens, malgré tout. Un long silence interrompu par le cri d'un griffon, loin de la reconstitution, dans son apparat de mystère et de duplicité, propose une vraie spéculation sur le silence, sa mystique, sa suspension de sens, ses censures comme façon, peut-être, d'en préserver l'insaisissable vérité.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
Commenter  J’apprécie          30


critiques presse (1)
LesInrocks
06 février 2023
Dans “Un long silence interrompu par le cri d’un griffon”, l’auteur se fait le biographe d’un écrivain russe imaginaire, et mêle avec brio fresque historique, satire philosophique et humour fou.
Lire la critique sur le site : LesInrocks

Videos de Pierre Senges (7) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Pierre Senges
Avec Rainer J. Hanshe, Mary Shaw, Kari Hukkila, Carole Viers-Andronico, Pierre Senges, Martin Rueff & Claude Mouchard
À l'occasion du dixième anniversaire de la maison d'édition new-yorkaise Contra Mundum Press, la revue Po&sie accueille Rainer Hanshe, directeur de Contra Mundum, Mary Shaw, Kari Hukkila, Carole Viers-Andronico & Pierre Senges. Rainer Hanshe et son équipe publient la revue Hyperion : on the Future of Aesthetics et, avec une imagination et une précision éditoriales exceptionnelles, des volumes écrits en anglais ou traduits en anglais (souvent en édition bilingue) de diverses langues, dont le français.
Parmi les auteurs publiés : Ghérasim Luca, Miklos Szentkuthy, Fernando Pessoa, L. A. Blanqui, Robert Kelly, Pier Paolo Pasolini, Federico Fellini, Robert Musil, Lorand Gaspar, Jean-Jacques Rousseau, Ahmad Shamlu, Jean-Luc Godard, Otto Dix, Pierre Senges, Charles Baudelaire, Joseph Kessel, Adonis et Pierre Joris, Le Marquis de Sade, Paul Celan, Marguerite Duras, Hans Henny Jahnn.
Sera en particulier abordée – par lectures et interrogations – l'oeuvre extraordinaire (et multilingue) de l'italien (poète, artiste visuel, critique, traducteur, « bibliste ») Emilio Villa (1914 – 2003).
À lire – La revue Hyperion : on the Future of Aesthetics, Contra Mundum Press. La revue Po&sie, éditions Belin.
+ Lire la suite
Les plus populaires : Littérature française Voir plus
Livres les plus populaires de la semaine Voir plus


Lecteurs (24) Voir plus



Quiz Voir plus

Les patronymes et autres joyeusetés cachées dans le texte

On était assis autour d'un feu de bois de tilleul, en train de tailler une bavette avec Gastibelza l'homme à la carabine et sa mère la vieille Moghrabine d'Antequara. Cette dernière nous raconta l'histoire de l'orang outan échappé du zoo de Malaga en se reversant un verre de ce vin doux et liquoreux provenant des vignobles alentours de cette noble cité.

Campagne présidentielle de 2007
Campagne présidentielle de 1981
Campagne présidentielle de 2012
Campagne présidentielle de 2002

1 questions
120 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur ce livre

{* *}