De ses nombreux voyages d'étude aux USA, le commissaire
Maigret a ramené un automatique que lui ont offert, en souvenir, les membres du F. B. I. L'arme, déchargée, est soigneusement rangée dans un tiroir, dans le salon de l'appartement du boulevard Richard-Lenoir. Mais il se trouve que, un jour, pour une raison quelconque, elle reste, bien en vue, sur la cheminée - Mme
Maigret l'aurait volontiers rangée mais elle a horreur des armes à feu même si elle les sait déchargées. Et c'est ce jour-là qui, par une coïncidence fort bien placée, voit apparaître, devant une Mme
Maigret en plein ménage, un jeune homme qui ne paie pas de mine question finances mais qui a l'air, en tous cas, "de bonne famille" et demande à voir le commissaire. Prévenu, celui-ci arrive ... mais en retard, selon son habitude. Bien ennuyée, Mme
Maigret lui avoue alors que non seulement le jeune homme a disparu mais que, selon toute vraisemblance, il a emporté l'arme avec lui.
Maigret fronce les sourcils. Voilà qui est tout de même contrariant. Et cela va le devenir bien plus quand il réalise que le jeune homme en question n'est autre qu'Alain,
le fils de François Lagrange, un ancien condisciple du Dr Pardon, qui, justement, était invité au souper de la veille chez le médecin mais, pour une raison inconnue, ne s'y était pas rendu. Lagrange voulait à tous prix faire la connaissance de
Maigret et avait insisté pour que son ancien camarade de lycée l'invitât en même temps que lui. le médecin, un peu gêné, un peu intrigué aussi, avait obtempéré tout en prévenant
Maigret.
Que le père ait tenu à le rencontrer la veille du jour où
le fils exprimait à Mme
Maigret le même désir, voilà, pour notre commissaire, une coïncidence pour le moins étrange. Il se rend chez Lagrange, qui le reçoit couché car il est "malade." Pardon le confirmera : il est plus ou moins hypocondre. Au milieu de tout ça, une malle est saisie à la consigne de l'une des gares parisiennes, une malle à l'odeur douceâtre, où l'on découvre le cadavre, plié en deux, du député-trublion André Delteil. Ajoutons encore que la concierge, fort peu aimable, de François Lagrange affirme solennellement que, le fameux soir où son locataire devait se rendre chez Pardon et tout malade qu'il se déclare, il a fait venir un taxi où, avec l'aide du chauffeur, il a chargé une lourde malle ...
Pendant ce temps-là, le jeune Lagrange agresse un provincial en goguette du côté de la Gare du Nord pour lui dérober son portefeuille et prend un train pour Calais. L'Angleterre l'attire visiblement autant qu'une certaine Jeanne Debul, qui fut la maîtresse de son père et que le jeune homme semble poursuivre de sa hargne, pour ne pas dire de sa haine ...
Entraîné dans la spirale, et sachant désormais le jeune Alain pourvu de balles adaptées à l'automatique,
Maigret se résout, lui aussi, à franchir la Manche, ce qui lui donne l'occasion de retrouver à Londres, toujours aussi serviable, l'inspecteur Pyke, que nous connaissons depuis "
Mon Ami Maigret".
L'intrigue est cousue de fil blanc mais, comme souvent chez
Simenon, le but du jeu, c'est surtout l'analyse des personnages et l'ambiance. François Lagrange est très, très spécial et quasi impossible à cerner : on a pitié de lui et, en même temps, on le trouve un peu plus rusé qu'il ne le devrait pour un pauvre type dans son genre. Son fils, quant à lui, est le modèle du fils parfait - il est vrai qu'il est encore jeune, pas même vingt ans - et un peu également celui du fils qui se responsabilise en lieu et place de ses parents parce qu'il n'a pas encore compris que des parents normaux ne devraient pas accepter cet échange de rôles. Debul, toutes les fois qu'on la voit, est une garce, mais sans réelle envergure particulière. La victime est au final comme tous les politiciens. Quant à Londres, pour une fois, il y fait un soleil d'Enfer, ce que toute personne croisant
Maigret au Savoy où il est descendu, s'empresse de lui faire remarquer avec une gaieté que le commissaire, en grognant dans sa pipe, trouve tout bonnement puérile et malvenue.
Un "
Maigret" mineur, sans doute. Mais il se laisse lire et, comme toujours, l'atmosphère saisit le lecteur même si les personnages ne sont pas tous vraiment à la hauteur habituelle. Ne passez pas pour autant à côté : compte tenu de sa vitesse de production,
Simenon avait bien le droit d'avoir des baisses de forme. ;o)