Le bateau d'Émile

N°1681 – Octobre 2022

Le baron de l'écluse ou la croisière du Potam – Simenon .

Dossin une sorte d'aventurier flambeur et parasite qui s'affuble du titre de baron, amarre son petit yacht près d'une écluse du canal de la Marne à la Saône en direction de la Côte d'Azur. Il n‘a plus d'essence et surtout plus un sou, manger devient une nécessité et le mandat télégraphique qu'il attend n'arrive toujours pas. Lola, celle qui l'accompagne, finit par le quitter.
Le titre de baron, son monocle et son yacht impressionnent les gens du coin mais pas Maria, la tenancière du café-épicerie qui trouve Dossin à son goût. Lui c'est un flambeur qui ne paie jamais ses dettes mais il hésite à profiter de Maria et à se fixer ici avec elle et changer de vie. Finalement, après quelques jours, le mandat attendu arrive, il paie sa note et part vers sa destination, avec quelques regrets quand même.
Simenon, ce n'est pas seulement les romans policiers où règne le commissaire Maigret, c'est aussi un romancier et un nouvelliste. Ici ces quelques pages parues en 1940 dans un hebdomadaire puis chez Gallimard en 1954 dans un recueil intitulé « Le bateau d'Emilie » ont inspiré Jean Delannoy qui en 1960 a mis en scène, dans un film éponyme en noir et blanc, une adaptation de Maurice Druon avec des extraordinaires dialogues de Michel Audiard, Micheline Presle et Jean Gabin. Ce dernier est toujours baron, désargenté et joueur invétéré mais chanceux et campe un aristocrate haut en couleur. Celui qui était capable, avec le même talent de jouer un flic ou un voyou, un noble ou un prolétaire, un notable ou un quidam, donne au personnage du « baron » une autre dimension.

Emile Bouet, un patron-pêcheur, achète devant notaire un chalutier à moteur appartenant à François Larmentiel un riche armateur de Fécamp. A cette occasion, ce dernier lui présente sa fille Claude et Emile se met en tête qu'il pourrait un jour l'épouser à condition de se débarrasser de sa compagne actuelle, Fernande, une jeune femme aux moeurs légères, qu'il bat quotidiennement mais dont il est, cependant, profondément épris. Dans son orgueil de mâle ayant désormais acquis une position sociale avantageuse, il se persuade qu'il doit éliminer Fernande et prépare minutieusement le scénario de l'homicide. Cependant, au moment de passer à l'acte, tout ne se déroule pas comme prévu, et dans un revirement de situation, il manque de courage et se tourne alors vers François auquel il reproche d'avoir instillé en lui cette idée de meurtre…

Cette histoire est encore plus étonnante que les précédentes et le dénouement est surprenant, à l'image de l'imagination débordante de Georges Simenon.
Dans cet ultime opus du recueil de nouvelles « le bateau d'Emile », le romancier décrit les dégâts irrémédiables, causés par l'ivrognerie dans le subconscient d'un individu, annihilant et altérant son raisonnement au point de lui faire commettre l'irréparable.
A cet état d'alcoolémie, aux conséquences désastreuses, s'ajoute un facteur déterminant, pouvant expliquer le passage à l'acte meurtrier, celui d'un dérangement de la personnalité de l'individu dans la peur panique de perdre sa dignité d'homme. Et en effet, la fierté est en permanence mise en exergue dans le récit de cette intrigue haletante, judicieusement construite et développée jusqu'au drame inattendu de l'épilogue. Une histoire courte mais d'une grande intensité !

Un peu désarçonnée par cette compilation de nouvelles plus ou moins étonnantes mais souvent loin d'enquête comme j'avais pu l'imaginer. Néanmoins le style fluide et précis de l'écriture de Simenon depeind des ambiances si particulières que J'ai lu très rapidement l'ensemble de ces nouvelles.

Neuf nouvelles constituent ce recueil rédigé durant les années de guerre. Des récits moyennement courts qui n'entament en rien le talent de plume de Georges Simenon dont l'art est poussé à quintessence. A nouveau, l'auteur s'emploie à décrire les petites gens, en collant à leur quotidien et en offrant une radiographie de leurs activités. Comme toujours, il s'agit d'ambiances uniques où les petits riens rutilent et où les caractères sont exposés avec une rare minutie. Même les salauds sont attachants.