Lorsque deux pointures de la BD belge, en l'occurrence
Benoît Sokal et
François Schuiten, entreprennent de collaborer à la réalisation d'une histoire d'aventure sur fond de décor océanique historiquement daté et spatialement situé (côte est des USA – 1930), on peut, bien sûr, s'attendre à ce que le résultat fasse des étincelles.
Or, au final, on est malheureusement assez loin de ce qu'on était en droit d'attendre de la conjonction de ces deux astres au firmament actuel des petits mickeys. le scénario est moyennement original, lointainement inspiré de
Jules Verne (
L'île mystérieuse),
Herman Melville (
Moby Dick),
Daniel Defoe (
Robinson Crusoé), voire
Steven Spielberg (Les dents de la mer) ; et très vite l'intérêt faiblit, tant les personnages sont caricaturaux et le « héros », jeune chercheur envoyé à Roodhaven pour élucider le mystère de la monstrueuse créature échouée, se révèle falot et sans consistance.
Quant au mystère, justement – la fascination de l'inconnu, de l'inexplicable, de l'inconcevable, l'envoûtement que suscite un hypothétique au-delà du réel échappant à l'approche purement cartésienne du monde, l'énigme ou le secret jamais élucidés, qui font tout l'attrait du genre fantastique – il se dissipe assez vite sous l'assaut de précisions explicatives laborieuses. Et l'album, in fine, de se résumer à une intrigue assez banale – malgré quelques allusions écologiques – avec ses gentils et ses méchants tristement prévisibles.
On songe, en contrepoint et par contraste, au monde de « La Tortue Rouge », le film d'animation de Michael Dudok de Wit, sublime fable océane où la poésie et le mystère naissent du quotidien le plus simple, l'animal énigmatique n'y jouant qu'un rôle de déclencheur.
Dans la BD, le dessin de
Sokal ne contribue pas non plus à la crédibilité de l'histoire. Si les décors maritimes sont assez somptueux, les ambiances pluvieuses crépusculaires plutôt réussies, la physionomie des baleiniers, leurs trognes colériques ou avinées, sont plus grotesques que truculentes ; la jeune passagère du crabe monstrueux manque, elle aussi, singulièrement de charme et on se prend à rêver à ce que ce rôle central serait devenu sous les crayons de Schuiten, dont les personnages féminins – même un peu éthérés et idéalisés – sont toujours magnifiques. A se demander si une inversion des rôles faisant de
Sokal le scénariste et de Schuiten le dessinateur n'aurait pas constitué un meilleur choix pour la réussite de l'album, dont le deuxième tome reste pour l'heure bizarrement introuvable.
Dommage. Et on se demande avec un soupçon de perplexité ce que donnera l'adaptation d'Aquarica au cinéma par
Denis Villeneuve, annoncée en préparation depuis plusieurs années… Les quelques esquisses de storyboard qu'on peut trouver sur Internet semblent heureusement annoncer un graphisme des personnages plus élaboré.
https://www.bulbapp.com/u/the-crab-prelude-to-aquarica