Romain Rolland
"La lettre que nous publions ici pour la première fois date d'un temps déjà ancien, où Tolstoï n'avait encore écrit aucun de ses grands ouvrages sur l'art, ou plutôt contre l'art, qu'il considère dans son ensemble comme un vaste système de corruption, un culte du plaisir, une superstition intéressée de l'élite européenne dans la jouissance égoïste.
Mais si, en 1887, ni
la Sonate à Kreutzer, ni
Qu'est-ce que l'Art ? n'avaient paru, la violente antipathie de Tolstoï pour l'art moderne n'en perçait pas moins au travers de tous ses écrits.
J'aimais profondément - comme je n'ai jamais cessé d'aimer- Tolstoï. Depuis deux ou trois ans, je vivais enveloppé de l'atmosphère de sa pensée ; j'étais certainement plus familier avec ses créations, avec la Guerre et la Paix,
Anna Karénine, et
la Mort d'Ivan Ilitch, qu'avec aucune des grandes oeuvres françaises. La bonté, l'intelligence, l'absolue vérité de ce grand homme, en faisaient pour moi le guide le plus sûr dans l'anarchie morale de notre temps.."
Ce fragment de texte que je cite ici de
Romain Rolland qui vient préfacer la Lettre inédite de Tolstoï représente sa part active dans ce Cahier de la quinzaine dont le gérant n'est autre que
Charles Péguy dont il est l'associé. Cette revue remarquable a été créée en 1900 par
Charles Péguy, elle s'éteindra avec la guerre de 14.
Romain Rolland indique ici que son amitié envers Tolstoï n'est pas nouvelle. Au moment où il écrira son Tolstoï, essai biographique de référence qui sera publié en 1911, son ami indéfectible n'aura pas eu le bonheur de le lire, appelé pour le repos éternel en novembre 1910