Ce roman-là, je ne pouvais pas passer à côté ! L'idée de me replonger dans l'univers et la littérature du XIXe siècle m'était si plaisante ! Il faut dire que j'ai vécu, pensé, rêvé XIXe de mes treize ans, où j'ai découvert avec ravissement Les trois mousquetaires, à mes vingt-six ans environ, âge auquel j'ai bouclé ma thèse sur
Jules Vallès. Au cours de cette période, j'ai dévoré
Zola,
Balzac,
Flaubert,
Maupassant,
Musset, Murger et j'en passe. C'était même un peu monomaniaque, à vrai dire... C'est sans doute pourquoi après ça je suis passée à la littérature contemporaine et, à de rares exceptions près, je n'ai plus lu d'oeuvres de cette époque. Je n'en ai plus envie.
Mais lorsqu'un auteur contemporain m'offre la possibilité d'y revenir, je lui emboîte le pas avec la plus grande joie ! Et là, le voyage a été des plus délicieux ! J'ai retrouvé le plaisir et l'ambiance de mes lectures adolescentes, un petit quelque chose en plus...
Curieusement, je n'ai jamais lu
Eugène Sue et, je l'avoue, je connaissais assez mal le personnage. J'ai donc découvert avec
Paul Vacca ce dandy charmeur, aussi exaspérant que séduisant.
Vacca nous replonge d'emblée dans le
Paris pré-haussmannien, plus précisément dans celui des salons et des fêtes, puisque Sue était un fils de bonne famille qui, bien que rétif à se conformer aux modèles familiaux, jouissait néanmoins de la fortune paternelle, ce qui lui permettait de mener
une vie légère entièrement dévolue au plaisir. On fréquente ainsi le beau monde, qui se presse dans les théâtres et les cafés à la mode, cette bourgeoisie aisée et sûre d'elle qui triomphait alors. Eugène y découvre le petit cercle des feuilletonistes. Un peu par jeu, un peu par nécessité, lorsque son père menace de lui couper les vivres, Eugène se met à écrire. le succès vient vite, et il est bien sûr enivrant.
On l'imagine difficilement aujourd'hui, mais les stars, à l'époque, c'étaient les écrivains ! A eux la gloire, à eux les lettres enflammées des lectrices, à eux les honneurs. La vie d'Eugène est une fête. Il n'a aucune conscience de l'envers du décor. Les taudis, la misère, cela n'existe pas ! Il écrit des histoires exotiques de corsaires et de pirates qui plaisent au public.
Mais ce dernier est fantasque, il se lasse. Il veut du neuf, de
nouvelles histoires et de
nouvelles idoles. Sue tombe quelque peu en disgrâce... Les directeurs de journaux ne font plus appel à lui. Que faire pour retrouver les faveurs du public ? Que pourrait-il y avoir de vraiment nouveau dans la littérature ? de saisissant pour ces lecteurs privilégiés ?
Un ami lui souffle une idée : le peuple. Pourquoi pas ? Lui qui n'aime pas ce qui est sale et sent mauvais troque ses vêtements à la dernière mode contre une blouse et des sabots pour pénétrer dans les rues sombres et crasseuses d'un autre
Paris, celui des ouvriers et des crève-la-faim qui deviendront les héros de son roman.
Sue est rejeté de toute part, avec son idée saugrenue - n'oublions pas que Les Misérables ne paraîtront que vingt ans plus tard. le journal des débats accepte à des conditions financières modestes de publier le feuilleton. le succès est immédiat et retentissant. Les bourgeois se payent ainsi d'émotions fortes dans le confort de leurs appartements, tandis que les pauvres sont reconnaissants à Sue de parler d'eux et de montrer leurs vraies conditions d'existence. Les courriers affluent de plus en plus, mêlant remerciements et insultes. Car, pour certains, Sue se complait dans la fange, il est immoral. D'autant que plus il écrit, plus il prend conscience de la scission qui existe au sein de la société. Il ne se contente plus de décrire les pauvres, il prend leur défense, voudrait changer les choses. Et ça, ça n'amuse plus du tout le bourgeois.
Eugène Sue finira par être élu député républicain au lendemain de la Révolution de 1848 et connaîtra l'exil après le coup d'Etat de Louis-Napoleon
Bonaparte, en 1851. Quel chemin parcouru !
Ce chemin c'est celui que peut offrir la littérature lorsqu'elle permet de poser sur le monde un regard différent, de comprendre ce qui nous est étranger. Sue en est une magnifique illustration, et
Vacca lui rend le plus bel hommage qui soit. En mêlant intimement la vie de l'écrivain à celle de ses personnages, il met admirablement en scène ce qui fait pour moi toute la valeur de la littérature du XIXe siècle et tout ce qui m'a si longtemps fait vibrer : une littérature qui fait entrer le réel dans la fiction pour en montrer tous les aspects, une littérature parfois - pas toujours - engagée (je n'ai pas choisi Vallès par hasard !), une littérature qui se frotte à la société, une littérature écrite par des auteurs qui ne craignaient pas de prendre parti, parfois au péril de leur liberté, voire de leur vie. Mais une littérature romanesque aussi, avec des héros qui nous font trembler, rire, qui nous émeuvent, nous touchent et que l'on quitte à regret lorsque la dernière page est tournée. Bref, des romans comme celui de
Paul Vacca, pleins de vie, de plaisir et de virtuosité.
Merci, cher Paul. Vous m'avez donné envie de revenir à mes premières amours pour partir à la rencontre du Chourineur et de Fleur-de-Marie, et me laisser ainsi envoûter par ces extraordinaires Mystères de
Paris !