Dans un récit singulier : « En URSS avec
Gide, Mon journal »
Cécile Vargaftig nous immerge d'emblée, dans un va et vient subtil entre ses questionnements au présent, et les passés qui ont marqué son histoire familiale, à travers la figure de son père, poète et communiste.
Bernard Vargaftig est mort en 2012, mais c'est bien à lui qu'elle s'adresse d'abord, dans une ultime tentative de percer le mystère de cet écart, qui les a tenus à distance si longtemps elle et lui, elle tournant le dos aux jeunesses communistes et au parti, lui y restant fidèle jusqu'au bout. Pour prendre la mesure de cette distance, elle choisit d'interroger ce que le vingtième siècle a porté de débats autour de l'URSS, fille de la révolution bolchévique. C'est tout naturellement sur les années trente, antichambre du 2ème conflit mondial, qu'elle choisit de porter le regard. Les jeux pourtant y sont déjà fait, depuis 1924, Staline a fait valoir que la révolution désormais serait enfermée dans un seul pays. L'URSS depuis, n'a plus rien à prouver pour les lendemains qui chantent. Elle choisit la voie d'un conservatisme borné et autoritaire mais reste pourtant un enjeu et un rêve dans les luttes en cours en Europe, et elles sont nombreuse
s, au lendemain de la crise économique et à l'heure de la montée des fascismes. En France, le symbole et
l'espoir qu'elle représente, constituent des enjeux forts, le mouvement ouvrier s'en empare, les luttes politiques s'en nourrissent. L'implication des intellectuels dans ces débats n'est donc pas une surprise.
Cécile Vargaftig démarre les pages de son journal en 1934, année de naissance de son père, année du 06 février, cristallisation d'un autre avenir possible, le front populaire est bientôt en marche. Pas étonnant dans ce contexte, cette envie des intellectuels français d'aller voir du côté de Moscou, attirance-répulsion, la méfiance n'est pas absente, il suffit de l'insistance de l'URSS à soigner son image pour que se prépare le voyage de
Gide. L'un des mérites du récit est de nous plonger dans ce milieu éclairé et brillant des intellectuels parisiens, divisés déjà dans leur regard sur la révolution et ses suites. Ceux qui ont nourri les références culturelles de son père, prennent vie au fil des pages, de Breton à
Aragon, en passant bien sûr par
André Gide et ses proches. Au-delà de la figure de
Gide bien connue, on lira avec intérêt le portrait des proches de l'écrivain et celui de ses compagnons de voyage dans ce périple russe, c'est en effet un petit groupe qui participe au voyage,
Cécile Vargaftig, rend hommage à chacun, (l'un d'eux ne reviendra pas du voyage), parmi eux elle s'attache tout particulièrement à
Pierre Herbart.
Romancier, essayiste, communiste, il est une véritable figure de roman, engagé dans son siècle, parcourant le monde, des confins de l'Indochine à Madrid, il précède
Gide en URSS et finit par le convaincre de refaire le voyage avec lui.
Cécile Vargaftig cite largement : propos, impressions, notes, que le voyage inspire à
Gide et ses compagnons. La désillusion est rapide et sans appel. « le bonheur de tous au détriment de chacun » pourra dire
Gide, il développera cette formule choc dans son livre «
Retour de l'URSS » que
Pierre Herbart ira porter en Espagne pour le faire lire à
Malraux.
Gide confirmera ses propos dans « Retouches à mon retour » qu'il publiera en 1937, on peut y lire notamment : « Tôt ou tard, vos yeux s'ouvriront » … le récit est ainsi un point d'interrogation sur cette question à laquelle son père ne semble pas avoir répondu, pourquoi n'a-t-il pas pu ou voulu voir ?
Cécile Vargaftig interroge la vie de son père dans les méandres de l'histoire du 20ème siècle et les questions restées sans réponse. Elle se confronte à la folie de ses dernières années, et finit par éclairer les raisons de son apparent aveuglement. L'apaisement qu'elle apprivoise au fil de ses pages d'écriture, réussit à nourrir la curiosité du lecteur : à la fois sur un itinéraire de vie, mais aussi sur le bouillonnement du 20ème siècle. Elle termine son livre par ces propos :
« Aucun temps ne peut juger aucun autre temps »
Pour une autre approche critique de L'URSS, je rappelle "
Vie et destin" de
Vassili Grossman , repères et réflexions dans mon blog , références ci-joint!
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