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Isabelle Gugnon (Traducteur)
EAN : 9782021427233
240 pages
Seuil (01/04/2021)
3.73/5   13 notes
Résumé :
Une femme effrontément libre défie la société traditionnelle colombienne des années 1940 ; un vétéran de la guerre de Corée affronte son passé lors d'une rencontre en apparence inoffensive ; sur un tournage, un figurant s'interroge sur les émotions de Polanski...
Neuf histoires, neuf vies radicalement bouleversées par la violence.

Les nouvelles de Chansons pour l'incendie tranchent, dépècent, brillent comme le fil d'un couteau. Elles irradient... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
De Juan Gabriel Vasquez, lu trois romans excellents mais jamais de nouvelles, un genre littéraire que j'affectionne particulièrement et que j'aborde chez lui pour la première fois, celui-ci étant son deuxième recueil publié. Vasquez ayant grandi à Bogota dans les années 70-80, ville sévit par la violence du baron de la drogue Pablo Escobar et de son cartel de Medellin, l'histoire individuelle rejoint toujours l'Histoire du pays dans ses romans, où la violence est une constante.

Dans ces neufs nouvelles, les personnages de Vasquez sont souvent rattrapés par leur passé qu'ils pensaient avoir à jamais enterré . Un passé non statique où les évènements suspendus par le temps et le silence finissent par un concours de circonstances qui semble dû au pur hasard (?) être élucidés et les secrets déterrés. L'auteur capte ces moments uniques , une dimension de l'histoire, émotionnelle, morale, non accessible aux journalistes et aux historiens, et que seul " la littérature et la fiction peuvent atteindre, cette zone de notre expérience humaine qui ne laisse pas de trace sur les documents". Construits comme des enquêtes, partiellement autobiographiques, des récits profonds et passionnants, traitant de sujets très divers. Et comme pour le fameux film " Blow up " d'Antonioni, où à chaque fois qu'on revoit le film s'y révèlent de nouveaux détails , ici la relecture est de même souvent nécessaire pour éclairer les recoins du labyrinthe de ce passé, qui n'est autre qu'une autre dimension du présent.
Dans la première nouvelle, "La femme sur la berge" , une photographe de guerre rencontre une femme déjà croisée dans le même contexte dans le lointain passé dans des conditions tragiques; vingt ans plus tard alors que cette femme n'a aucun souvenir d'elle, elle, nous entraîne à sa suite, à la recherche de la pièce manquante qui lui avait échappé d'antan . Dans "Les grenouilles ", la rencontre plus qu'improbable d'une femme et d'un homme à cinquante ans d'intervalle va déterrer de lourds secrets cruciaux pour les deux , bien que non partagés, chacun portant sa propre croix qu'il ou elle avait pensé avoir bien enterré.....
Bref voilà un avant-goût pour cet excellent recueil sur la mémoire, le poids du passé et surtout la violence, thèmes obsessionnels chez ce grand écrivain colombien !


"....l'inertie de la violence ressemble aux courants souterrains et profonds dans lesquels personne ne parvient à plonger la main."
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J. est une photographe colombienne, une légende dans son domaine, « une de ces personnes sur qui on sait des choses » qui discute sans précipitation avec les personnes avant de déclencher son appareil. Lorsqu'elle arrive au ranch Las Palmas, elle fait mine d'y arriver pour la première fois lorsqu'elle croise Toleda, une autre femme qu'elle a en fait très bien connue il y a des années dans ce même ranch, mais fort heureusement celle-ci ne la reconnaît pas – c'est du moins ce qu'elle raconte au narrateur qui va à son tour s'emparer de cette histoire pour nous la conter.
On découvrira que des années plus tôt, J. résidait dans ce ranch, dont le propriétaire, immensément riche, accueillait à sa table tout un tas de gens. A cette époque il accueillait aussi un certain Don Gilberto dont Yolanda était son assistante. Mais quelques jours après son arrivée, J. la photographe, Yolanda et quelques autres faisaient une excursion à cheval, lorsque le cheval de cette dernière s'emballa. Malgré le réflexe de leur guide accompagnateur, qui réussit à stopper le cheval affolé, Yolanda s'effondra sur le sol inconsciente. Transportée à l'hôpital le plus proche, elle fut plongée dans un coma artificiel.
Comment allait-elle en ressortir ? Quelles séquelles ce type de chute pouvait elle entraîner ? Se souvient-on de tout ce que le cerveau à emmagasiner, ou bien au contraire fait-on le tri de ses souvenirs ? Ce sont ces questions que J. et Don Gilberto, dont la photographe percevait bien que Yolanda ne lui était pas qu'une assistante, évoquaient ensemble par une nuit avinée, au bord d'un lac brumeux.
Et si Yolanda détenait des informations importantes ? S'hasardait J. – une intuition peut-être due en partie à l'alcool ou au contexte très particulier de la soirée. « Et bien oui, mademoiselle. Je crois que vous avez raison. »
La fin de cette nouvelle mettra en présence J. la photographe et Yolanda, bien des années plus tard (ce qui signifie pour le lecteur qu'elle avait survécu) mais J. racontant l'histoire d'une femme travaillant pour un politicien qui avait forcé la porte de son assistante, « à six heures du matin » dans un hôtel où elle était – racontant cette histoire comme si elle était arrivée à une autre femme. La nouvelle se bouclera donc sur un portrait que réalise J. de Yolanda, tandis que celle-ci sent les larmes lui monter aux yeux.

Rien de plus, et tout le style de Juan Gabriel Vasquez est là : dans ces petits riens qui disent tout, dans ce passé qui ne passe pas, ou plutôt dans ces menus incidents du présent qui ramène inexorablement à des évènements du passé.

Dans une autre nouvelle, « Aéroport », le narrateur, qui habite Paris, se retrouve presque malgré lui à une séance de tournage où il fait un figurant « de profil méditerranéen » - en fait inscrit par sa compagne à qui il avait distraitement donné son accord. Mais quand ce narrateur réalise qu'en fait de figuration il va figurer dans un film tourné par Roman Polanski, son intérêt va s'éveiller ostensiblement. La scène du tournage est particulièrement léchée, d'autant plus que le narrateur doit aller et venir dans un aéroport reconstitué, juste derrière le personnage principal incarné par Johny Depp, et que surtout derrière la caméra se retrouve le réalisateur mythique que le narrateur admire. Lui revient alors en mémoire ce tragique évènement de 1969 à Los Angeles, au cours duquel la femme de Polanski, Sharon Tate, alors enceinte de son mari, allait être sauvagement assassinée par une bande de Hippies, que le narrateur nous raconte à nouveau, comme l'a fait récemment Quentin Tarentino avec son film « Once Upon a Time... in Hollywood ».
Ebranlé par le souvenir de ce drame, le narrateur, une fois rentré chez lui après la séance de tournage, appellera sa compagne, alors basée dans les Ardennes, pour s'assurer que tout va bien pour elle.

Enfin dans la dernière nouvelle, « Chanson pour l'incendie », on va découvrir l'histoire de Aurélia de Léon, au destin plus que particulier : née en France d'un père de nationalité colombienne, mais resté en France pour participer à la Première Guerre mondiale, où il mourra au champ d'honneur, et d'une mère française qui mourra elle aussi lors du trajet qu'elle faisait pour rencontrer sa belle-famille en Colombie, laquelle famille élèvera cette petite-fille à l'arrivée improbable, orpheline et pleine d'entrain, qui, après des études à Bogota, deviendra l'une des premières femmes à tenir la plume comme journaliste. Enceinte de son amant, elle rejoindra la propriété de ses grands-parents (ils possèdent des caféiers loin de Bogota) pour accoucher tranquillement d'un fils, et tout aurait pu poursuivre son cours normalement, si la Colombie n'allait pas connaître dans les années post seconde guerre mondiale, des troubles qui allaient conduire des hommes armés à mettre le feu aux propriétés, et à assassiner sauvagement la courageuse Aurélia. Son fils Gustavo Adolfo, réussira par miracle à échapper à ses poursuivants.

Juan Gabriel Vasquez, dont j'avais admiré « le bruit des choses qui tombent » (que j'avais chroniqué en 2017), mais aussi « les réputations », et « le corps des ruines », signe ici un recueil de neuf nouvelles très concentrées – on aurait aimé par exemple que la première soit aplatie, comme on peut le faire d'une pâte compacte, et déboucher sur l'un de ses romans dont l'auteur a le secret.

Grand coup de coeur encore une fois pour moi, avec « Chansons pour l'incendie », l'auteur excelle à fouiller l'histoire sans répit, et à en extirper ces évènements intimes qui ont fait L Histoire avec un grand H. Attentats, meurtres politiques, drames en tous genres, le destin n'est jamais loin dans les récits de ces femmes et de ces hommes avec qui on peut très facilement s'identifier, alors même que les histoires se situent sur le continent sud-américain.
Dans les pas de Mario Vargas Losa ou de Carlos Fuentes, Juan Gabriel Vasquez touche à l'universel : la marque des très grands écrivains.

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Le deuxième recueil de nouvelles de Juan Gabriel Vasquez sera une révélation pour nombre de ses lecteurs habituels puisque son premier, Les amants de la Toussaint, a été peu remarqué, à une époque où il n'avait pas encore sa notoriété actuelle. Les nouvelles qui composent Chansons pour l'incendie ne décevront pas ses aficionados, tous ceux qui apprécient le style délié de l'auteur, sa finesse narrative et sa lucidité quant à la violence qui a de tous temps irrigué l'histoire colombienne. L'ultime nouvelle, en particulier, qui donne son titre au recueil, est un bijou parfaitement poli, une histoire splendide et étonnante qui avait le potentiel pour être développée sur la longueur d'un roman mais qui, cependant, ne laisse aucun goût de frustration tellement Vasquez sait dire l'essentiel tout en octroyant au lecteur toute latitude pour lui-même rêver autour de son récit. Les 9 nouvelles de Chansons pour l'incendie ne se ressemblent pas, a priori, certaines contées à la première personne, car il n'y a par exemple rien de commun entre le tournage de la neuvième porte de Polanski à Paris et la participation de volontaires colombiens à la guerre de Corée, et pourtant ... Oui, pourtant, elles ont une matière identique, une étoffe qui est celle de la vie avec ses vicissitudes, ses hasards et ses petitesses. La plume de Vasquez, elle, est toujours naturellement brillante et inspirée, mais jamais ostentatoire, toute entière dédiée à décrire l'humain derrière des destinées plus ou moins dramatiques.
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Les neuf nouvelles de Vásquez tournent généralement autour d' un mensonge ou d'un méfait passé qui ne peut être oublié facilement. Dans le Double, un homme se souvient de tout sauf de la condamnation d'un camarade de classe au service militaire qui finit par le tuer et des longues séquelles de la mort dans la famille du jeune homme. le narrateur de Grenouilles déserte l'armée juste avant un déploiement prévu dans la guerre de Corée, un souvenir ravivé par une rencontre fortuite avec une femme qu'il a aidée à traverser sa propre crise à l'époque. Dans le dernier Corrido, le chanteur principal d'une troupe musicale est sur ses fins mais repousse un jeune remplaçant rival, illustrant la tension entre le passé et l'avenir. Bien que ces personnages soient imparfaits, souvent contraires à l'éthique, Vásquez retient un jugement moral sévère; Nous, par exemple, se moque de l'envie de trouver des réponses simples et satisfaisantes à la disparition d'un homme. Comme toujours, Vásquez est préoccupé par l'histoire de son pays d'origine, mais la forme plus courte donne à sa prose une étanchéité bienvenue; chaque histoire est nette et conversationnelle. Pourtant, il peut insuffler une ampleur historique à la forme abrégée: Chansons pour l'incendie, la dernière nouvelle, dit le sort malheureux d'Aurelia, une femme libre d'esprit et ancienne chroniqueuse de journal dont la famille a été détruite par la guerre civile de 1948 dans le pays. Tout au long, Vásquez brosse le tableau d'un pays qui est constamment secoué par de violentes rivalités politiques, des narcos et la guerre et où même les passants sont attirés. « Ils nous envoient loin pour nous faire tuer afin que nous ne soyons pas si nombreux à tuer ici », lance un soldat dans Grenouilles et cette note de fatalisme traverse tout le livre.

Des passés sombres rattrapent les protagonistes du romancier colombien.
Lien : http://holophernes.over-blog..
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C‘est un recueil de 9 récits, dont le plus long donne le titre au livre; un livre considéré comme le meilleur livre colombien en 2019; Il fut l'objet d'un prix littéraire attribué pour la première fois dans son pays à Juan Gabriel Vasquez.

Tous les récits sont magnifiquement écrits; ils émanent presque tous de faits réels, parfois impliquant directement le propre auteur. Je dois dire qu'autant j'adhère complètement à la forme, autant je n'ai pas adhéré au fond pour 7 d'entr'eux.
Deux nouvelles m'ont bien intéressé; les autres, aussitôt lues, étaient oubliées.

J'ai aimé « Les mauvaises nouvelles », de 24 pages où l'auteur raconte l'histoire d'un militaire nord-américain à Rota, Espagne, protagoniste d'une attitude tellement cynique, déplacée et pourtant non moins humaine.

L'autre histoire, la plus longue et porteuse du titre du livre, est, comme le dit l ‘écrivain, terriblement triste. Ce sont des histoires successives au sein de la riche famille colombienne de Leon.
Exilés à Paris à la fin du XIX siècle, ils auront un fils.
Lorsque la Première Guerre Mondiale éclate, le couple de Leon décide de rentrer en Colombie, mais le fils, devenu majeur, voudra rester en Europe pour se battre au sein de la Légion Etrangère.
Il tombera très vite sur le champ de bataille laissant une compagne française et une petite fille, Aurélie.
La jeune veuve partira par mer vers la Colombie pour présenter l'enfant aux grands parents, mais la jeune femme mourra pendant la traversée.
Un médecin nicaraguayen aura pitié d'Aurélie et la ramènera jusqu'en Colombie où l'enfant restera.
Ce n'est pas la fin des misères de la famille de Leon et il faut lire ce récit épique jusqu'à la dernière ligne. C'est très bien raconté.
Lien : https://pasiondelalectura.wo..
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critiques presse (1)
LeMonde
19 avril 2021
L’exil lui a permis de commencer à écrire sur ce que la guerre civile et le gangstérisme font aux Colombiens. Un recueil de nouvelles, « Chansons pour l’incendie », creuse ce thème au plus intime
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (5) Ajouter une citation
On m’a rapporté une scène qui s’est déroulée à la station thermale de Paipa, où des notables passent l’été. Une femme à la beauté reconnue s’est approchée du bord de la piscine et a retiré son peignoir, révélant à la grande stupéfaction de l’assistance un bikini noir, comme ceux qui sont à la mode sur les plages d’Europe. Le maire a immédiatement appelé un de ses subalternes et lui a murmuré quelques mots à l’oreille, à la suite de quoi l’employé a contourné le bassin sous les yeux de tous et, une fois près de la dame, lui a dit haut et fort, dans l’intention évidente de l’humilier :
–Mademoiselle, monsieur le maire vous informe qu’ici, seuls les maillots une pièce sont autorisés.
La jeune femme s’est levée et, au bord de la piscine, les mains sur les hanches, dans une posture pleine de défi, elle a crié :
-Quelle partie voulez-vous donc que j’enlève, monsieur le maire ?
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La scène de l’aéroport a été tournée sept fois de suite. A chaque prise, quelque chose clochait. Polanski changeait d’avis ou la lumière ne convenait pas. Je refaisais les mêmes gestes et les automatismes s’installaient, me permettant de m’intéresser à d’autres choses qu’à mes mouvements : la veste de Johnny Depp, sa barbe qui semblait postiche mais ne l’était pas, la désillusion savamment étudiée qu’il affichait en marchant. A un moment donné, j’ai levé les yeux vers la plate-forme mobile et regardé le petit homme inexistant dans lequel Johnny Depp et les figurants évoluaient, le monde apocryphe où l’aéroport Charles-de-gaulle avait perdu son identité pour devenir Barajas. Je n’étais plus un écrivain débutant las de vivre à Paris qui allait bientôt partir en Belgique et s’installerait un an plus tard à Barcelone, mais le passager d’un vol venant d’atterrir à Madrid, ignorant que l’homme qui marche à ses côtés s’apprête à entrer en contact avec une secte satanique. Nous autres, jeunes gens de vingt-cinq à trente ans au profil méditerranéen, étions des éléments de ce monde parallèle placé sous les ordres de Roman Polanski, seigneur et maître de nos existences et des lois qui les régissaient. Il dirigeait nos mouvements, pouvait nos intimer l’ordre de parler si tel était son désir, contrôlait nos gestes dans cet univers fictif et, plus important, décidait de la façon dont on nous traitait.
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De l’autre côté du mur, derrière l’arène des combats, se trouvait une boulangerie qui vendait des mojicones et une droguerie où les garçons allaient chercher le journal du dimanche à la demande de leurs parents, et se procuraient en cachette des paquets de cigarettes. Castro était chargé de les acheter et de les distribuer ensuite. Les autres le respectaient à cause de son âge et de sa taille, et aussi parce que son père était juge, mais surtout parce que celui-ci avait été assassiné. On savait qu’il avait instruit le meurtre du ministre de la Justice, perpétré deux ans auparavant, et qu’il avait impliqué les narcos de Cali en plus de ceux du cartel de Medellin, alors sur toutes les lèvres. Un jour, le juge commença à remarquer des individus suspects autour de chez lui et à la sortie du tribunal, mais il refusa toute protection officielle au motif qu’il ne voulait pas que les tueurs liquident d’autres personnes en essayant de le supprimer. En juillet (un mardi), il monta dans un taxi avenue de las Americas et demanda au chauffeur de le conduire rue 48. Quand il arriva à destination, une Mazda verte s’arrêta derrière le taxi et un homme à la tête couverte d’une écharpe en sortit. Sans le questionner ni le menacer ou même l’insulter, l’homme à l’écharpe tira neuf balles à bout portant sur le père de Castro. Sa femme, qui l’attendait dans un funérarium pour veiller une connaissance, apprit sa mort alors que le médecin légiste était un train de lever le corps.
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Il n’était que cinq heures de l’après-midi quand ils arrivèrent à Bogota, mais il faisait déjà nuit. Le trajet avait été long : dans le train et l’obscurité qui par moments était parfaite, on n’entendait pas un mot. Dès qu’ils passaient dans un lieu éclairé, une gare ou une route traversant un village, la lumière soulignait les visages de pierre des soldats, les ramenait au monde pendant un court instant, à croire que son éclat jaune dessinait les sourcils froncés et les bouches crispées avant de les renvoyer dans l’ombre. Salazar découvrait alors avec fascination les multiples expressions que provoque la peur, ou plutôt les ruses qu’elle emploie pour transparaître dans une certaine manière de se toucher le cou ou de pencher la tête et d’observer le dossier vide d’une chaise. Il pensait à ce qu’avaient dit les officiers : là, à deux villages du pont de Boyacá, la police du régime tranchait la gorge de ses ennemis et les armées de la violence civile violaient les femmes pendant qu’eux apprenaient que « Chosen » signifie « la Terre du matin calme » et découvraient que la raison de tout cet imbroglio monumental était les faits qui s’étaient déroulés dans un lieu inexistant : le 38ème parallèle, une ligne noire sur une carte en couleurs.
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 Imagine comme c’est curieux (disait la lettre) : en espagnol il n’y a pas de mot pour dire ce que je suis. Si ta femme meurt, tu es veuf ; si tu n’as plus de père, tu es orphelin, mais qu’es-tu si ton fils disparaît ? C’est tellement grotesque de perdre un fils que la langue ne possède pas de mots pour désigner ces personnes, même s’il est fréquent que les enfants meurent avant leurs parents et que ces derniers passent leur vie à pleurer leur mort.
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Vidéo de Juan Gabriel Vásquez
Un périple à travers l'Espagne républicaine, passant par la Chine et la France à travers l'histoire d'un père et son fils. Sergio a été garde rouge, ouvrier en usine, militaire du Parti, Il a aussi connu le Paris de Louis Malle en 1968 et, de retour en Colombie, a combattu au nom de la révolution. Roman politique magnifiquement par Juan Gabriel Vásquez, l'un des écrivains colombiens les plus importants du XXIème siècle.
Juan Gabriel Vásquez, "Une rétrospective" (Seuil)
Une rencontre animée par Isabel Contreras, le 11 septembre 2022 au palais du Gouvernement.
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