Il y a quelques semaines, je découvrais avec plaisir
Les Amours Jaunes de
Tristan Corbière, un jeune poète et une oeuvre qui durent leur reconnaissance à
Paul Verlaine. L'auteur des Fêtes Galantes et des
Romances sans Paroles avait fait leur éloge en 1884 dans un article consacré aux Poètes maudits. L'occasion pour moi de revenir vers un de ceux qui m'a ouvert à la poésie et notamment au travers des
Poèmes Saturniens que je viens de relire.
Les
Poèmes Saturniens ont été publiés en 1866 chez l'éditeur parisien
Alphonse Lemerre. C'est le tout premier recueil que
Verlaine fait publier, il le fera à compte d'auteur. À cette époque,
Paul Verlaine a 22 ans et il ne dissimule pas sa croyance dans l'astrologie et sa sensibilité pour la planète Saturne. Cet astre est celui de l'introspection, de la mélancolie, mais aussi du malheur… D'ailleurs, dès le poème liminaire de son recueil,
Verlaine fait résonner en rimes « astres » et « désastres » et toujours selon lui, Saturne lui vaut une « bonne part de bile » et condamne son imagination à n'être que « débile » et sa raison à rimer avec « poison ». Tout un programme…
Par l'usage du sonnet, du mode élégiaque et de l'inspiration autobiographique, Les
Poèmes Saturniens ressemblent beaucoup au style de
Baudelaire. Comme chez son aîné, il y a dans l'écriture de
Verlaine, en plus de son inspiration très autobiographique, des audaces rythmiques et phoniques.
Mais ce qui est plus remarquable encore dans les
Poèmes Saturniens, c'est la séparation qu'opère
Verlaine entre la parole qui se souvient et la réalité du monde présent. Il y a comme un repli au creux de la conscience dans laquelle la mémoire trouve à se déployer.
C'est une poésie du regret, des souvenirs, de l'absence, de la séparation qui fait du présent un exil, de la réalité quelque chose vidée de sa substance, de son attrait, d'un passé dont nous sommes définitivement séparés.
« Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'automne
Faisait voler la grive à travers l'air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détone.
Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent.
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant :
« Quel fut ton plus beau jour ? » fit sa voix d'or vivant,
Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.
Un sourire discret lui donna la réplique,
Et je baisai sa main blanche, dévotement.
– Ah ! les premières fleurs, qu'elles sont parfumées !
Et qu'il bruit avec un murmure charmant
Le premier « oui » qui sort de lèvres bien-aimées ! » *
Les
Poèmes Saturniens, caprice de la volonté du poète tout entière absorbée dans la mélancolie ? Pas seulement. Dans plusieurs de ses poèmes,
Paul Verlaine interroge le rôle du poète. Il témoigne et se démarque de la tentation de la poésie romantique qui ne veut concevoir que la réalité contenue dans le regard du poète. Pour
Verlaine, la poésie ne peut être séparée de la réalité. Elle est sa condition même.
« Nature, rien de toi ne m'émeut, ni les champs
Nourriciers, ni l'écho vermeil des pastorales
Siciliennes, ni les pompes aurorales,
Ni la solennité dolente des couchants.
Je ris de l'Art, je ris de l'Homme aussi, chants,
Des vers, des temples grecs et des tours en spirales
Qu'étirent dans le ciel vide les cathédrales,
Et je vois du même il les bons et les méchants.
Je ne crois pas en Dieu, j'abjure et je renie
Toute pensée, et quant à la vieille ironie,
L'
Amour, je voudrais bien qu'on ne m'en parlât plus.
Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille
Au brick perdu jouet du flux et du reflux,
Mon âme pour d'affreux naufrages appareille. » **
Si la mélancolie est partout dans Les Poèmes Saturnins, dans Melancholia, Eaux-fortes, Paysages tristes, Caprices ou encore l'Épilogue,
Verlaine ne cesse de s'exprimer de manière plus ou moins explicite sur les débats de l'art poétique, les questions de l'inspiration, du thème, de l'émotion. Les titres de section ne sont pas le signe d'une unicité de ton et de pensée. Les
Poèmes Saturniens sont marqués par une diversité, et même par une sorte de contradiction (entre mélancolie et réalité) pleinement assumée par l'auteur.
« […]
Le
bonheur a marché côte à côte avec moi ;
Mais la FATALITÉ ne connaît point de trêve :
Le ver est dans le fruit, le réveil dans le rêve,
Et le remords est dans l'
amour : telle est la loi.
- le
bonheur a marché côte à côte avec moi. » ***
Longtemps relégué sous la tutelle littéraire de
Baudelaire et dans l'ombre du génie et de la personnalité de Rimbaud, homme au tempérament tumultueux et imprévisible,
Paul Verlaine reste l'auteur d'une
poésie sublime, belle comme la jeunesse passée qui ne cesse de remonter un peu plus jusqu'à nous, l'auteur d'une poésie qui fait de sa lecture comme un « rêve familier ».
(*) Nevermore, extrait de « Melancholia » - pp. 47-48
(**) L'Angoisse, extrait de Melancholia - p. 51
(***) Nevermore, extrait de Caprices - p. 78