En retraçant les différentes étapes de la mutation des territoires français depuis la seconde moitié du XXe siècle, ce court essai permet d'aborder la problématique de la métropolisation. Ce phénomène de concentration des richesses, des classes aisées et des activités tertiaires au coeur des très grandes agglomérations a gagné la France au cours des dernières décennies et l'a profondément transformée. On compte une douzaine de métropoles en France qui, avec leurs banlieues, abritent un peu plus d'un quart de la population française mais produisent plus de la moitié de la richesse nationale.
L'objet du livre de
Pierre Vermeren est surtout d'alerter sur les conséquences négatives de cette évolution qui a entraîné l'éviction des classes populaires des métropoles : ségrégation sociale, crise des transports, dégâts écologiques causés par le béton-roi, envolée des prix de l'immobilier, artificialisation des sols, délinquance et insécurité sont quelques-uns des maux qu'on peut imputer en partie à ce phénomène. Mais le pire est sans doute le fossé qui se creuse entre les habitants de ce que le géographe
Christophe Guilluy appelle «
la France périphérique », qui se battent pour un emploi décent et voient les services publics s'éloigner, et ceux des agglomérations qui réclament des arbres pour sauver la planète et améliorer leur cadre de vie. La révolte des banlieues de 2005 ou, plus récemment, le mouvement de protestation des gilets jaunes illustrent avec fracas ce que cette polarisation de la société peut entraîner comme ressentiments et mal-être dans les territoires relégués. L'auteur plaide en conséquence pour une vision plus équilibrée de l'aménagement du territoire.
La lecture de cet essai sera utile à qui voudrait comprendre la révolte des gilets jaunes, la victoire des listes écologiques aux élections municipales dans plusieurs grandes métropoles et quelques autres phénomènes sociétaux moins visibles. Si l'ouvrage peut amener à réfléchir, on regrettera que l'auteur se soit contenté de recenser les effets négatifs de la métropolisation sans chercher à proposer de solution. On aurait également aimé que certains points soient plus détaillés mais le format réduit de ce livre ne s'y prêtait manifestement pas. Ces deux reproches ne sont toutefois pas les principaux qu'on est en droit d'adresser à ce livre.
« L'effet le plus saillant de la métropolisation du territoire français est d'avoir créé deux France séparées, l'une de l'autre, par leurs intérêts économiques et par leurs configurations sociales. Trente à trente-cinq millions de citoyens relégués dans
la France périphérique ont pour l'essentiel été sortis du système de la production nationale de richesses » écrit l'auteur en conclusion. Déjà, ce constat mérite d'être nuancé. Si on ne peut nier que certains territoires, comme le quart Nord-Est et le pourtour méditerranéen notamment, souffrent de fragilités particulièrement prononcées, d'autres régions comme la Bretagne ou les Pays de la Loire par exemple, s'en sortent beaucoup mieux. En réalité, et contrairement à ce que laisse entendre le refrain médiatique et politique dominant, les inégalités entre territoires sont faibles dans l'Hexagone, grâce à des mécanismes de redistribution efficaces. de plus, non seulement les fractures ne se creusent pas, mais, mieux, elles se résorbent. C'est difficile à croire mais ce que montrent plusieurs études récentes, dont celle de l'économiste
Laurent Davezies (L'Etat a toujours soutenu ses territoires, Seuil, 2021).
Tout porte à croire que le mouvement inverse à la métropolisation est peut-être déjà amorcé. Ainsi, le choc de la crise sanitaire actuelle s'est réparti de façon très hétérogène sur les territoires, en ne recoupant que partiellement les inégalités préexistantes. La baisse d'activité a été particulièrement forte en Île-de-France. Seules huit des trente zones d'emploi les plus affectées par le choc dû au covid-19 figurent dans les trente plus fragiles d'avant crise. Par ailleurs, en affectant les mobilités résidentielles des Français, la crise actuelle semble avoir provoqué l'amorce d'un nouvel « exode urbain ». Il semble ainsi que cette crise remette en cause les conclusions de l'auteur, ce qui donne vaguement l'impression qu'il nage à contre-courant. Son essai reste intéressant mais vient après bien d'autres ouvrages qui ont fait le même constat à l'époque où celui-ci était encore pertinent.