Louise des Ombrages appartient à ces romans qu'on dit régionalistes parce qu'il y est question de cette France profonde dont on balaie souvent l'existence sous le tapis urbain. Cette France que, précisément, le personnage de Louise désire représenter sur ses toiles : « Moi, je veux peindre les marais, rien que les marais, les gens qu'on ne voit pas, ce qui n'est pas intéressant », confesse-t-elle au peintre qui la forme parce qu'elle a un don exceptionnel.
Mais à ce compte-là,
Jean Giono ;
François Mauriac ; le
Balzac d'
Eugénie Grandet ;
Madame Bovary ou
Un Coeur simple de
Flaubert, etc., sont régionalistes. Mieux vaut faire l'impasse sur cette définition un tantinet condescendante et de se contenter de lire
Louise des Ombrages comme un roman tragique et magnifique à la fois qui, par son sujet dérangeant, dépasse le cadre strict du sud de la Vendée, dans ce fameux Marais poitevin qui, à l'époque du récit – avant, pendant et après la guerre 1914-1918 –, n'était pas cette douce Venise verte que nous chantent les guides touristiques. La vie y était en effet bien plus rude, mais ses habitants ne connaissant qu'elle, ne l'auraient pas troquée pour une autre, à commencer par Athanase, le père de Louise.
Il y a, dans ce drame provoqué par la grande Histoire, l'avant et l'après ; comme un vase brisé qu'on recollerait mais laisserait de profondes marques impossibles à faire disparaître. Ainsi, la vie simple et heureuse d'une famille se trouve broyée par la Première Guerre mondiale. Ce qui me fait dire que le roman d'
Yves Viollier ressemble, dans sa forme, au film de
Michael Cimino, Voyage au bout de l'enfer (The Deer Hunter). Car l'Histoire prend sans demander, emporte les existences dans son tourbillon dévorant.
La guerre ne lâche pas ses proies aussi facilement, abîmant définitivement l'existence pourtant prometteuse de Louise. Après les obus et le gaz pour son père, il y aura entre autres la grippe espagnole pour sa grand-mère : « C'est à cause de cette saloperie de guerre. Ils prétendent qu'elle est finie. Les organismes sont à bout. La maladie est forte parce que les malades sont épuisés. La guerre continue, ici », affirme avec raison un médecin venu dans la maison familiale – les Ombrages – pour constater que
le malheur la poursuit.
Comme décor – éminemment signifiant – il y a le marais, semblant au diapason de l'humeur des personnages, de leurs états d'âme. Ce marais, où son père et son oncle naviguaient dans leur jeunesse et que Louise ressent elle-même comme une évidence, apparaît tel un labyrinthe…à l'image de sa vie. « Rendez droits ces chemins qui font de si longs détours », exhorte-t-elle d'ailleurs un couple de ses amis au dos d'un tableau qu'elle leur offre.
Le ton n'est pourtant pas lourd de ces émotions faciles qui forcent artificiellement le sentiment. Alors que cette histoire est bien lourde de malheurs qui, tous, convergent vers les ténèbres de la guerre, elle conserve une pudeur et une subtilité qui coulent comme l'eau des marais, encore eux. Voilà ce que recèle le roman d'
Yves Viollier, lequel fait songer à cette phrase fameuse de
Marcel Pagnol dans
le Château de ma mère : « Telle est la vie des hommes. Quelques joies très vite effacées par d'inoubliables chagrins. »
Louise des Ombrages est encore un roman de la contemplation picturale et pour cause : « La vue sur le marais était belle à cette heure immobile. le quadrillage des rigoles et des canaux et les méandres de la rivière s'étalaient d'un côté à travers les terres plates labourées du marais desséché et, de l'autre, les frondaisons des arbres dressaient leur muraille verte sur le marais mouillé. »
Et, çà et là, des phrases s'immiscent pour la beauté du style ; un style qui n'en fait jamais trop et on lui en sait gré : « Les visiteurs s'avançaient dans la cuisine aux volets clos, les yeux aveugles au sortir de la lumière du dehors, ils tâtonnaient vers le rameau de buis. » Parce qu'il est tout de même question d'art dans ces pages si délicatement remplies.
Enfin,
Louise des Ombrages – inspiré de la vie de Marie Renard, elle-même peintre –, est un roman de femmes, celles qui, à l'arrière, durent pallier le manque d'hommes occupés à grignoter l'ennemi, suivant la phrase malheureuse du général Joffre pour justifier le nombre ahurissant de morts lors des combats. « C'est notre destin à nous, les filles, ma chérie, pétrir, être pétrie », dira avec fatalisme Marie-des-Berceaux à Louise en train de l'accoucher.
Pour conclure, laissons le mot de la fin à l'auteur par cette phrase qui résume si bien son roman : « La terre a de la mémoire, elle se souvient des événements obscurs »…
(Je remercie l'auteur et son éditeur qui m'ont généreusement adressé cet ouvrage, ainsi que
Michel Chamard sans qui cette rencontre littéraire n'aurait pu se faire…)