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Mathilde Treger (Autre)
EAN : 9782266202893
480 pages
Pocket (04/03/2010)
3.38/5   155 notes
Résumé :
Bienvenue à Pala, une île où l'Orient et l'Occident s'embrassent, où tout est pour le mieux dans le plus juste, le plus sage, le plus pacifique environnement qui soit. Utopie ? Soit. Mais pour Will Farnaby, journaliste et heureux naufragé, le rêve est bien réel. Communion des hommes et de la nature, paradis artificiels, méditation, sagesse, liberté, respect des ressources et des individus...

On la disait imaginaire : Pala s'ouvre à lui, bien réelle.>Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (24) Voir plus Ajouter une critique
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Quand on dit : le meilleur des mondes, on pense souvent à celui d’Aldous Huxley, bien qu’à y regarder de plus près, il ne soit pas « si meilleur que ça », si j’ose dire ; tant l’utopie s’est transformée en régime totalitaire chargé d’organiser le bonheur de tous, jusque et y compris contre leur gré…
Mais il y a l’île, Pala…symboliquement placée par Aldous Huxley entre Orient et Occident….

Will Farnaby, journaliste en même temps que représentant d’un grand groupe pétrolier, se retrouve naufragé sur l’île de Pala, une île sur laquelle se développe depuis cent-vingt ans une société « idéale » bâtie au milieu du XIXe siècle par la rencontre d’un médecin écossais et du Raja de l’île de tradition bouddhiste Mahayana. Une île adossée sur ce que les traditions orientales et occidentales comptent de meilleur….
Mais l’île est convoitée par l’état voisin, Rendang, « suppôt du capitalisme »...

Avec « Ile », dernier ouvrage d’Aldous Huxley publié de son vivant en 1962, l’auteur nous présente ce qu’il aura appelé par ailleurs « la troisième possibilité » ; en opposition totale avec « Le meilleur des mondes », comme une sorte de négatif photographique.
« Ile » présente en effet une société, certes repliée sur elle même et gérant de façon quasi autarcique ses propres ressources naturelles de façon à préserver l’environnement, mais néanmoins une société où les sciences et techniques sont au service de l’homme et non l’inverse dans une organisation décentralisée et collectiviste. Utopiste ? Certes oui, mais l’éternel pessimiste qu’est Huxley se garde bien d’ignorer la nature humaine profonde - dont la cupidité peut remettre en cause toute organisation altruiste - pour le final du roman autour de la découverte d’un gisement de pétrole…

Un ultime ouvrage - et pas le plus facile - d’un auteur qui, il y a bien longtemps, m’a fortement ébranlé dans mes certitudes d’adolescent.
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C'est un livre que j'ai eu du mal à lire, qui a eu du mal à me plaire, mais que je trouve très intéressant par certaines approches sur le fond.
Tout d'abord l'écriture d'Aldous Huxley est formidable. Une vraie écriture à l'anglaise qui vous transporte avec des mots techniques et précis. Mais premier défaut pour moi, [Nous sommes sur une île paradisiaque qui a changé son éducation, sa manière de vivre, de penser la « religion », qui s'est affranchi des grands modèles orientaux et occidentaux. Une île en pleine quiétude, malgré ses dirigeants non éduqués à la mode locale et plus porté vers ce qui fait la richesse capitalisme du monde.] je ne ressens pas la magie d'une telle île, un paradis sur terre. L'écriture est belle, mais hachée, elle n'a pas cette magie qu'aurait un René Depestre, un Jean Giono à décrire la nature. Nous avons donc un certain contraste entre l'écriture et son sujet idyllique.
Deuxièmement, le thème. Un journaliste occidental échoue sur cette île et est confronté à ce que j'ai expliqué entre crochets. Les approches psychologiques, philosophiques, religieuses de l'auteur nous emmènent très loin. Cela nous fait beaucoup réfléchir, peut-être trop par moments. Mais cela reste fondamentalement très intéressant et enrichissant. le style de l'écriture est d'ailleurs vraiment adapté à cela.
Troisièmement, les moyens mis en place. Pour mettre en place cette vie idyllique, le gouvernement local a dû s'employer. L'éducation est parfaite. Les enfants apprenant à réfléchir de façon différente des autres pays, avec un travail sur la philosophie du Moi et du monde autour dès les premières classes. Une spécialisation et un traitement des enfants selon les caractères, les facettes d'esprit et les potentiels qui est fait non pas pour exclure, mais donner une voie complémentaire à tout le monde. Pas de spécialisation prévue des activités, mais des jeunes sortant de l'école et pouvant faire n'importe quel travail utile à la communauté. Mais là où j'ai plus de mal, c'est comment l'auteur arrive à montrer ce qui est supérieur aux personnages. Pour s'élever et voir autrement, tous les habitants se droguent (pas souvent, cela est prescrit comme un traitement médical, mais bon il n'y a jamais de médecins quand les gens les utilisent). Cela permet de dépasser l'esprit, de vivre une expérience centenaire en quelques heures et de changer son regard au monde. Aldous Huxley n'a-t-il pas retransmis ici son amour pour la drogue et ses différents tests à des fins « philosophiques » ? Je trouve cela assez mal choisi dans ce livre. Dans une société occidentale, si prendre cette herbe permettrait d'avoir conscience de ce que l'on apprend par l'éducation palanaise ok. Mais cette société est tellement bien structurée sur le psychique, que je trouve étonnant que par la méditation, ces personnes n'arrivent pas à voir la même chose sans drogue. Je pense que c'est une incohérence entre les capacités des hommes de l'île et les moyens de fins.

C'est donc un livre qui m'a plu pour son approche psychologique, philosophique, religieuse qui est très intéressante. Mais qui m'a déçu par sa façon de traiter la nature dans l'écriture, mais aussi par la façon d'atteindre un « nirvana » et de s'ouvrir de manière différente au monde.
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L'île de Pala est administrée par un médecin écossais et par un Rajah : ce qui a donné au XIX ième siècle un mélange des cultures occidentales et orientales .
Le pragmatisme, le réalisme, l'efficacité d'un européen scientifique et la spiritualité d'un bouddhiste avec la pratique de la méditation, l'élévation spirituelle de l'être humain.
Un bon mélange ou une utopie ?
Le docteur Robert MacPhail est aimé et respecté de tous les palanais, la Rani s'occupe d'animer leurs âmes ! Elle élève Murugan qui dès sa majorité deviendra Rajah , mais qui veut céder au capitalisme de l'état voisin : le Rendang dirigé par le colonel Dipa !
Le récit est conté par Will Farnaby qui s'est échoué sur l'île : il est journaliste et agent de Lord Aldehyde : un magnat du pétrole.
Tout est planifié dans ce paradis et tout obéit à la Réflexion des Comment et des Pourquoi.
Il y a le contrôle des naissances, plus une banque de données l'I.A pour sélectionner les enfants, et ensuite ces enfants , par l'intermédiaire du C.A.M ( club d'adoption mutuelle ) sont amenés à voyager dans plusieurs foyers différents, ils sont initiés au sexe, à l'élévation spirituelle, à la psychologie, la biologie, la botanique, les mathématiques et autres sciences pour avoir une large ouverture d'esprit + le sport, la participation aux travaux de culture dans un but écologique ! Mais, pour obtenir cette sérénité, ce degré de conscience pour eux et les autres : ils utilisent comme tous les habitants de l'île le Moksha ( dérivé de la mescaline ) ! Une extase sous l'emprise de la drogue : ce qui n'est pas sans rappeler que Aldous Huxley était personnellement un adepte des drogues !
En fait , Pala est la 3 ° possibilité : par la communion de la nature ,de la sagesse et, de la liberté ! le Bonheur Maximun est subordonné au principe de la Fin Dernière .
Will Farnaby culpabilise sur la mort de sa femme Molly et sur le fait qu'il a pu la tromper avec Babs en cet instant difficile qu'est la mort , il revit ses joies et ses peines, troublé par l'ambiance de Pala et de ses discussions avec Susila ! Appelé par la Rani, il refuse de négocier et, après un moment d'extase ( sous Moksha ) : il voit débarquer les troupes voisines du colonel Dipa, avec le jeune Rajah à leur tête !
Un roman érudit, original qui a été inventé par un Huxley qui faisait partie de l'élite intellectuelle britannique mais, qui reste un récit sans émotion, avec des longueurs dans l'exposé des pratiques spirituelles .
L.C thématique de septembre : première rencontre !
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Étrange, très étrange roman. Il est à la fois intéressant mais me laisse une impression de bancalité, de fourre-tout, comme si Aldous Huxley avait voulu bourrer toutes ses consignes pour une société idéale et avait construit un roman autour mais juste pour présenter sa construction. Il y a très peu d'histoire et beaucoup de description de fonctionnement social, des habitudes, systèmes de soins, d'éducation, de travail etc.
Son approche est basée sur plusieurs civilisations, traditions de différentes régions du monde et découvertes scientifiques de l'époque.
Ce livre m'évoque plus un rêve philosophique, utopique, qu'un roman.
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Quelle surprise que cette réédition d'une oeuvre de Huxley. L'auteur semble avoir prit le pendant de son "meilleur des mondes" avec ce qui semble être une utopie. On y trouve en effet les ingrédients du genre, avec un lieu isolé, une société développée selon une philosophie différente, un visiteur-narrateur en faisant la découverte.
Le récit en tant que tel et la description de cette société représentent en réalité un faible volume de l'ouvrage. Celui-ci est plutôt un lieu d'expression et de réflexion spirituelle pour l'auteur, où se mélangent de nombreuses discussions et réflexions des personnages principaux. L'ensemble est assez lourd et parfois indigeste, mais certains autres passages sont plus perméables et bien plus agréables à lire et à comprendre.
Au final, ce roman promet de belles idées, mais celles-ci sont noyées dans de longues pages assez longues à lire et qui rendent cette lecture beaucoup moins agréable que prévue.
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Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
(p.277)

— Je pense à deux personnes que j’ai rencontrées la dernière fois que je suis allé en Angleterre, à Cambridge. L’un était un physicien atomique, l’autre un philosophe. Tous deux extrêmement éminents. Mais l’un possédait, hors de son laboratoire, un âge mental d’environ onze ans, et l’autre était un mangeur invétéré, auquel se posait un problème de poids, qu’il refusait de considérer. Deux exemples extrêmes de ce qui arrive lorsque vous prenez un garçon intelligent, lui donnez quinze années d’une éducation conventionnelle des plus intenses, et négligez totalement de faire quelque chose pour l’esprit-corps qui assume la tâche d’apprendre et de vivre.
— Tandis que votre système, je suppose, ne produit pas un tel genre de monstre académique ?
— Avant d’aller en Europe, je n’avais jamais rien vu de semblable. Ils sont grotesques, ajouta-t-il. Mais, bonté divine, tellement pathétiques ! Et, les pauvres, si curieusement répugnants !…
— Être pathétiquement et curieusement répugnants, voilà le tribut que nous payons à la spécialisation.
— À la spécialisation, convint M. Menon, mais non pas dans le sens où vous autres utilisez ordinairement ce mot. La spécialisation dans ce sens est nécessaire et inévitable. Sans spécialisation, pas de civilisation. Et si l’on formait l’esprit-corps total en même temps que l’on apprend à l’intellect l’usage des symboles, ce genre de spécialisation nécessaire ne serait pas si malfaisant. Mais vous autres ne formez pas l’esprit-corps. Votre remède contre une spécialisation bien trop scientifique consiste à prodiguer quelques cours d’humanités supplémentaires. Excellent ! Toute éducation devrait comprendre des cours d’humanités. Mais ne vous laissez pas duper par le mot. Par elles-mêmes, les humanités n’humanisent pas. Elles ne sont qu’une forme de spécialisation à l’échelon symbolique. Lire Platon ou suivre une conférence sur T. S. Eliot ne forme pas l’être humain entier ; comme les cours de physique ou de chimie, cela ne fait que former le manipulateur de symboles, et laisse le reste de l’esprit-corps dans son état premier d’ignorance et d’incapacité. De là toutes ces créatures pathétiques et répugnantes qui m’ont tant étonné lors de mon premier voyage à l’étranger.
— Et l’éducation conventionnelle ? demanda Will. Et l’information indispensable, et toutes les astuces intellectuelles, si nécessaires ? En faites-vous l’objet d’un enseignement pareil au nôtre ?
— D’un enseignement pareil à celui que vous adopterez sans doute dans dix ou quinze ans. Prenez les mathématiques, par exemple. Historiquement, les mathématiques eurent pour premier objet de résoudre des problèmes pratiques. Elles furent élevées au rang de métaphysique, et enfin se traduisirent en termes de structure et de transformations logiques. Dans nos écoles, nous renversons le processus historique. Nous commençons par la structure et la logique ; puis, sautant la métaphysique, nous passons des principes généraux aux applications particulières.
— Et les enfants comprennent ?
— Infiniment mieux qu’ils ne comprennent quand on commence par les aspects utilitaires. À partir de cinq ans, tout enfant intelligent peut apprendre pratiquement n’importe quoi, à condition que vous lui présentiez la chose d’une manière convenable. La logique et la structure sous forme de jeux et de devinettes. Les enfants jouent et, avec une rapidité incroyable, ils saisissent le sujet du jeu. Après quoi vous pouvez passer aux applications pratiques. Instruits de cette manière, la plupart des enfants peuvent apprendre au moins trois fois plus, quatre fois mieux, en deux fois moins de temps. Considérons encore un autre domaine où l’on peut utiliser les jeux pour faire comprendre les principes de base. Toute pensée scientifique est fonction de la probabilité. Les vieilles vérités éternelles ne sont qu’un degré élevé de vraisemblance ; les lois immuables de la nature ne sont que des moyennes statistiques. Comment faire pénétrer ces notions profondément obscures dans les têtes d’enfants ? En jouant à la roulette avec eux, en jouant à pile ou face, et en tirant au sort. En leur enseignant toutes sortes de jeux avec des cartes, des tapis verts et des dés.
— Le jeu évolutionnaire des Serpents et des Échelles est le plus populaire parmi les tout petits, dit Mme Narayan. Un autre grand favori est le jeu des 7 Familles mendéliennes.
— Plus tard, ajouta M. Menon, nous les initions à un jeu un peu plus compliqué, qui se joue à quatre avec un jeu de soixante cartes spécialement dessinées, divisées en trois suites. Bridge psychologique, c’est ainsi que nous le nommons. La chance dirige votre main, mais la manière dont vous jouez est une question d’adresse, de bluff et de coopération avec votre partenaire.
— Psychologie, Mendélisme, Évolution : votre éducation semble éminemment biologique, dit Will.
— Elle l’est, approuva M. Menon. Nous mettons l’accent non sur la physique et la chimie, mais sur les sciences de la vie.
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(p.157)

Eh bien, pour commencer, nous ne faisons pas de guerres et ne les préparons pas. En conséquence, nous n’avons pas besoin d’armée, de hiérarchies militaires, ni de commandement unifié. Puis il y a notre système économique : il n’autorise personne à devenir plus de quatre à cinq fois plus riche que la moyenne. Ce qui signifie que nous n’avons pas de capitaines d’industrie ni de financiers omnipotents. Mieux encore, nous n’avons pas de politiciens ni de bureaucrates omnipotents. Pala est une fédération d’unités autogouvernées, d’unités géographiques, d’unités professionnelles, d’unités économiques – il y a donc un champ immense pour l’initiative à petite échelle et pour les dirigeants démocratiques, mais pas de place pour aucun dictateur, à la tête d’un gouvernement centralisé. Autre chose : nous n’avons pas d’Église établie, et notre religion préconise l’expérience directe et réprouve toute croyance en des dogmes non véritables et toute émotion que cette croyance inspire. Nous sommes donc à l’abri de deux fléaux : le papisme, d’une part, et le fanatisme puritain, d’autre part. Et avec l’expérience transcendante, nous cultivons le scepticisme systématique. Nous dissuadons les enfants de prendre les mots trop au sérieux, nous leur apprenons à analyser tout ce qu’ils entendent ou lisent – ceci fait partie intégrante du programme scolaire. Résultat : un éloquent galvaniseur de foules, tel qu’Hitler ou notre voisin de l’autre côté du Détroit, le colonel Dipa, n’a pas la moindre chance, ici à Pala.
[…]
Personne ne jouit d’un monopole, assura le Dr Robert. Il y a une liste d’éditeurs, représentant une demi-douzaine de partis et d’intérêts différents. Chacun d’eux reçoit dans le journal l’espace qui lui est destiné pour ses commentaires et sa critique. Le lecteur est en mesure de comparer les arguments et de se créer une opinion. Je me souviens combien je fus choqué, la première fois que je lus l’un de vos journaux à gros tirage. Le parti pris des manchettes, la partialité systématique des reportages et des commentaires, les rengaines et les formules remplaçant les arguments !… Aucun appel sérieux à la raison. Un effort systématique pour inculquer des réflexes conditionnés dans l’esprit des lecteurs. Quant au reste, crimes, divorces, anecdotes, balivernes, tout ce qui peut les distraire, tout ce qui peut les empêcher de penser...
[…]
Et ces villages fournissent la main-d’œuvre ?
— Par intermittence, entre l’agriculture et le travail dans les forêts et dans les scieries.
— Un tel système d’intermittence donne-t-il un bon rendement ?
— Cela dépend de ce que vous entendez par « bon ». Il n’en résulte pas le maximum d’efficacité. Mais, à Pala, ce maximum n’est pas un idéal auquel il faut tendre absolument, comme chez vous. Vous cherchez avant tout à obtenir le plus grand rendement possible dans le temps le plus court. Nous pensons avant tout aux êtres humains et à leurs satisfactions. La variété des tâches n’entraîne pas un plus grand rendement en un plus petit nombre de jours. Mais la plupart des gens préfèrent cela, plutôt que de se livrer au même genre de travail tout au long de leur vie. Lorsqu’il s’agit de choisir entre l’efficacité mécanique et la satisfaction humaine, nous choisissons la satisfaction.
— À vingt ans, intervint Vijaya, j’ai passé quatre mois dans cette fabrique de ciment. Après quoi j’ai passé dix semaines à mettre au point des superphosphates. Puis six mois dans la jungle, comme bûcheron.
— Quelle effroyable besogne !
— Vingt ans plus tôt, dit le Dr Robert, j’ai fait un stage à la fonderie de cuivre. Après quoi, j’ai tâté de la mer, sur un bateau de pêche. Goûter à tous les genres de tâches, cela fait partie de l’éducation de chacun. L’on apprend beaucoup de cette façon – sur les choses, sur les arts et sur les organisations, sur toutes sortes d’individus et leurs manières de penser.
Will secoua la tête :
— Je préférerais apprendre cela dans les livres.
— Mais ce que vous apprenez dans les livres, ce n’est jamais cela. Au fond, ajouta le Dr Robert, vous n’êtes encore que des Platoniciens. Vous adorez la parole et abhorrez la matière.
— Adressez-vous aux ecclésiastiques, dit Will. Ils nous reprochent sans cesse d’être d’immondes matérialistes.
— Immondes, approuva le Dr Robert, mais uniquement parce que vous êtes des matérialistes maladroits. Le matérialisme abstrait – voilà ce que vous prônez. Tandis que nous cherchons à être des matérialistes concrets – matérialistes jusqu’aux zones les plus secrètes de la vue, du toucher et de l’odorat, des muscles tendus et des mains sales. Le matérialisme abstrait est aussi mauvais que l’idéalisme abstrait ; il rend l’expérience spirituelle immédiate pratiquement impossible. Goûter aux différents genres de travaux en tant que matérialistes concrets est le premier pas indispensable de notre éducation, en route vers une spiritualité concrète.
— Mais, quelque concret que soit votre matérialisme, précisa Vijaya, il ne vous mènera pas très loin si vous n’êtes pleinement conscient de ce que vous faites et expérimentez. Il vous faudra être totalement conscient des fragments de matière que vous touchez, des arts que vous pratiquez, des gens avec lesquels vous travaillez.
— Très juste, dit le Dr Robert. J’aurais dû préciser que le matérialisme concret n’est que la substance d’une vie humaine accomplie. C’est grâce à la conscience, à une conscience totale et constante, que nous transformons cette substance en spiritualité concrète. Soyez pleinement conscient de ce que vous faites, et le travail deviendra le yoga du travail, la distraction deviendra le yoga de la distraction, et la vie de tous les jours deviendra le yoga de la vie de tous les jours.
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- Vous aviez coutume de dire que j’étais comme une mouche. Un instant ici et puis, hop ! à des milles plus loin. Rien d’étonnant, que vous ne m’ayez jamais modelée.
- Mais vous m’avez si bien modelé ! assura-t-il. Si vous n’étiez pas venue me tirer les cheveux pour que je regarde le monde, si vous ne m’aviez pas aidé à le comprendre, que serais.je aujourd’hui ? Un pédant à œillères – en dépit de tout mon savoir. Heureusement, j’ai eu la sagesse de vous demander en mariage et, heureusement, vous avez eu la folie d’accepter, puis l’esprit et la finesse de faire du bon travail en moi. Après trente-sept années de pédagogie d’adulte, je suis presque un homme.
- Mais je suis toujours une mouche ! 
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(p.157)

Pour commencer, nous ne nous sommes jamais permis d’engendrer plus d’enfants que nous ne pouvions en nourrir, en habiller, en loger et en éduquer, dans le cadre d’une humanité suffisamment épanouie. L’île n’étant pas surpeuplée, nous sommes riches. Mais bien que riches, nous avons cherché à éviter la tentation à laquelle l’Ouest succombe aujourd’hui – la tentation de l’excès de consommation. Nous ne nous exposons pas à l’infarctus, comme ceux qui se gavent d’une nourriture six fois plus riche en graisses qu’il n’est nécessaire. Nous ne nous laissons pas hypnotiser par l’idée que deux télévisions nous rendront deux fois plus heureux qu’une seule. Et enfin nous ne dépensons pas le quart du budget national global à préparer la Guerre Mondiale no III, ou bien la petite sœur de la Guerre Mondiale, la Guerre Locale MMMCCXXXIII. L’armement, l’endettement universel et la routine – voilà les trois piliers de la prospérité occidentale. Si la guerre, le gaspillage et les prêteurs étaient abolis, vous vous écrouleriez. Et tandis que vous autres surconsommez, le reste du monde sombre de plus en plus profondément dans la disette chronique. L’ignorance, le militarisme et la procréation – trois maux, dont le pire est la procréation. Pas d’espoir, pas la moindre possibilité de résoudre le problème économique avant qu’elle soit sous contrôle. À mesure que la population s’accroît, la prospérité décline.
Du doigt tendu, il traça une courbe descendante.
— Et à mesure que la prospérité diminue, le mécontentement et la révolte (l’index s’agita de nouveau), la brutalité politique, la règle du parti unique, le nationalisme et le bellicisme menacent de plus bel. Encore quelque dix ou quinze années de procréation libre, et le monde entier, depuis la Chine jusqu’au Pérou, en passant par l’Afrique et par le Moyen-Orient, se traînera sous la coupe de Grands Führers, tous décidés à supprimer la liberté, tous armés jusqu’aux dents par la Russie ou par l’Amérique, ou, mieux encore, par les deux à la fois, agitant leur bannière et réclamant en hurlant le Lebensraum.
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Les armements, la dette universelle et l'obsolescence programmée sont les trois piliers de la prospérité occidentale. Si la guerre, le gaspillage, et les usuriers sont abolis, vous vous effondreriez.
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