Brillant !.
Je viens d'entendre, ce soir à la télé,
Raphaël Doan expliquer qu'il utilise l'intelligence artificielle pour élaborer des théories d'uchronie. C'est un peu la spécialité de Tom qui établit des cartes de simulation de peuplement raccordant l'histoire avec le monde actuel, à partir des sources géographiques et historiques. Avec sa technique, il découvre qu'il manque un village dans la forêt noire du côté de Fribourg.
Eifelheim aurait dû se repeupler après la grande épidémie de peste de 1349. Que s'y est-il passé à cette époque dans ce coin de montagne pour que les prévisions ne collent pas ?
Le récit se concentre essentiellement sur les évènements qui s'y sont déroulés alors. On est dans une période troublée par l'arrivée d'une épidémie, les grandes villes alentour sont touchées, et dans ce contexte, des évènements encore plus étranges vont survenir, un engin extraterrestre va s'échouer dans la forêt. Rencontre entre une humanité médiévale chrétienne et une race à l'aspect d'insectes géants.
Ne vous attendez pas à de l'aventure, du gore et du spectaculaire, c'est tout le contraire le récit aborde des thèmes historiques, scientifiques et philosophiques : la notion d'individu est différente d'une race à l'autre, il est question du sens de la hiérarchie, des croyances, de la compréhension du monde, des avancées de la science, de la communication entre les races différentes et donc de racisme. C'est très documenté sur les connaissances de l'époque, sur l'état de la religion, sur le mode de vie, ça donne à réfléchir sur beaucoup de sujets, et les personnages sont très attachant, à commencer par Dietrich, le prêtre de cette paroisse perdue, le personnage principal de cette histoire, homme à l'esprit très ouvert, qui va être au coeur du dialogue avec les extraterrestres. Ces êtres étranges vont de leur côté se poser des questions sur la religion chrétienne. J'ai trouvé le dialogue entre les deux communauté particulièrement bien imaginé, subtil, riche, et souvent surprenant et pourtant particulièrement logique.
Dans la structure du récit, on pense un peu à “
Le grand livre” de
Connie Willis, mais ce roman va beaucoup plus loin dans le questionnement, dans les idées, avec un aspect historique beaucoup plus poussé, scientifique aussi, c'est parfois même du hard SF. Sur certains aspects, le lecteur du XXIe siècle va se trouver parfois plus proche des extraterrestres que de l'homme médiéval dont la science est encore primitive, et par d'autres moments, ça sera le contraire car
Michael Flynn a su jouer aussi sur les particularités de la nature humaine. Dans le fond, et par la somme de connaissance que ce roman distille, je me suis senti plus proche du “Nom de la Rose” d'
Umberto Eco. Les auteurs de science-fiction se sont souvent cassé les dents sur l'aspect religieux, même les plus grands, tombant dans un spiritualisme illuminé comme dans “
Le moineau de Dieu” de
Mary Doria Russell, ici, on en est très loin, les réflexions apportées sont vraiment savantes et subtiles,
Michael Flynn confronte la pensée scolastique de son héros aux circonstances, et il imagine la perception du christianisme par un esprit insectoïde, c'est du costaud, là je tire mon chapeau.
Ce roman est riche, intelligent et passionnant, un sujet un peu dingue traité avec beaucoup de cohérence, et bien écrit en plus de ça, bref, un gros coup de coeur..