Voilà longtemps que je n'avais pas lu de dystopie adulte. Je viens de refermer
Fahrenheit 451 et les premières choses qui me viennent à l'esprit sont toutes les différences entre ce genre, qui me laisse souvent un goût doux-amer dans la bouche, et les young adults, que j'apprécie de moins en moins.
Le postulat de départ est le même : une société futuriste injuste contre laquelle le personnage principal va se rebeller (avec plus ou moins d'énergie). Mais les dystopies adultes sont souvent des textes engagés qui m' inspirent des sentiments d'impuissance et de fatalisme : le héros ne change pas son univers, il n'est qu'un rouage – à l'inverse des young adults, qui exaltent, stimulent, encouragent, romancent, plantes des scènes d'action, des idylles et nous fournissent cette certitude agaçante que le/a protagoniste saura toujours se sortir de toutes situations (Hunger Games, donc, mais aussi Divergente, Mission Nouvelle Terre, La Déclaration…). Quelques fois, j'ai le sentiment que le contexte est moins là pour nous permettre de réfléchir sur la société actuelle que de dramatiser les aventures d'un héros quelconque.
Et donc,
Fahrenheit 451 n'est pas un récit héroïque dans lequel le personnage principal changera sa société à la seule force de ses poignets. le but est de parler des injustices et des erreurs de notre présent en présentant une société futuriste aux caractéristiques exagérées.
Ce classique de la science-fiction est une magnifique histoire traitant des dérives des nouvelles technologies. Publié pour la première fois en 1953, l'auteur tirait déjà la sonnette d'alarme et annonçait qu'elles se substitueront au contact humain et à notre capacité à raisonner.
Car dans le monde de Montag, les livres n'existent plus, ils ont été remplacés par les « murs-écrans », les « familles » et les « coquillages » au nom du bien-être général. Dans ce futur étrange, n'avoir rien à faire est très mal vu : il faut toujours être distrait par quelque chose et surtout, ne pas réfléchir. Les hommes ne sont plus que des boîtes vides recevant continuellement des émissions radios ou télévisuelles. Emetteurs et récepteurs bien distincts…
Montag est pompier de son état. Son rôle est d'allumer des incendies afin de brûler les oeuvres impies qui auraient échappé à la censure. Un rôle simple et juste, qui lui convient parfaitement.
Parfaitement ?
Peut-être pas tant que ça…
A travers sa prise de conscience,
Ray Bradbury explore les ravages que les écrans font dans les rapports humains. Montag et sa femme, Mildred, sont des étrangers l'un pour l'autre, la majorité des gens ne comprennent pas leurs émotions et leurs besoins et s'enfoncent dans une mélancolie hallucinée, étouffée par les hurlements de la télévision, par le consumérisme obligatoire et par les divers antidépressifs et somnifères. Les citoyens sont des enfants capricieux, coincés dans un mal-être dont ils ne savent rien.
L'histoire est happante, elle se lit très vite. Très accessible, elle n'en reste pas moins bien écrite – la beauté des figures de style me faisait relire quelques passages pour en savourer les images.
Même si les personnages sont complexes, ils ont pourtant tous un rôle bien défini à jouer que je n'ai pas pu m'empêcher de comparer à la Seconde Guerre mondiale :
- Beatty incarne les SS : supérieur hiérarchique de Montag, son rôle d'oppresseur lui donne une allure de « méchant », même s'il est lui-même une victime de cette société étouffante. Il oeuvre activement contre la culture littéraire, ce qui ne l'empêche pas d'être cultivé, intelligent et charismatique. Il se bat donc en toute connaissance de cause, en sachant ce qui se cache dans les livres et en ayant choisi de le refuser. Il fait donc un opposant attachant, très différent des dystopies young adults : il n'est pas responsable de l'état du monde. le renverser ne changerait rien – il y a d'autres casernes, d'autres pompiers et d'autres dirigeants, et tous ces rouages lutteront contre le changement ;
- Montag est un résistant. Il prend peu à peu conscience de la cage dans laquelle il vit, de son propre étouffement et décide d'agir en conséquence (parfois très stupidement, mais j'y reviendrai) ;
- Mildred, sa femme, représente la partie de la population qui accepte totalement cet état d'enfermement et prend ses pilules bien comme il faut. Cette situation ne lui convient pas du tout, mais elle n'est pas assez consciente d'elle-même pour s'en rendre compte. Droguée aux nouvelles technologies, c'est un personnage immature et égocentrique qui s'est coupé de sa propre sensibilité afin d'étouffer sa propre souffrance. le changement de son mari ne fait que réveiller son mal-être, et elle le repousse naturellement. Elle fait partie de la catégorie des collaborateurs ;
- Faber incarne la majorité d'entre nous : ceux qui désapprouvent ce nouveau gouvernement, mais qui n'ont pas assez de courage pour aligner leurs actes sur leurs convictions. Les résistants passifs, qui trichent un peu en gardant quelques livres, mais pas trop pour ne pas avoir à payer. Par conséquent, son estime de lui est au plus bas et il lui faut des excuses pour n'avoir pas agi.
Malgré la beauté de la langue et les propos percutants qui s'adressent à mon coeur de révoltée, quelques détails ont refroidi mon enthousiasme, en particulier le comportement surréaliste de Montag :
il retourne sa veste en seulement une trentaine de pages, se met à lire dans les transports en commun, et même à faire la lecture à voix haute à des amies de Mildred dans un pays où on emprisonne les gens qui possèdent des livres. Alors on comprend un peu, on sait que ce sont les émotions qui débordent et qui lui donnent envie de hurler et de secouer ce tas d'apathiques… Son envie de changer le monde est trop soudaine, trop violente. Mais enfin, Montag ! C'était une opération top secrète, merde… Si Faber avait su, jamais il ne t'aurait choisi comme partenaire.
Et puis, malgré la brièveté de ce classique de la science-fiction, quelques scènes un peu longuettes et prévisibles ont freiné mon intérêt.
Malgré tout, c'était une belle redécouverte du genre, et la confirmation que les lectures young adults ne pourront plus me satisfaire.