J`écris depuis que je sais écrire. Pendant ces années passées dans le monde du marché de l`art, je consacrais quelques instants chaque soir à l`élaboration de petites nouvelles ou contes. le passage ne s`est pas fait en une seule fois, du jour au lendemain. Dans la succession des ponts franchis, le principal a été la découverte de l`univers psychiatrique, la rencontre avec des patients, la confrontation avec la douleur psychique. Mon regard sur l`humanité en a été totalement bouleversé et, de ce moment, écrire a pris une toute autre signification.
Le hasard d`une discussion sur Monte Verità, ce lieu où se rassemblaient avant 1914, des intellectuels, artistes, anarchistes en quête de l`Homme Nouveau et pratiquant le végétarisme, le nudisme, la danse en pleine nature, la méditation. J`y ai retrouvé Hermann Hesse et François Duncan, le frère d`Isadora, et une multitude de figures étonnantes dont Otto Gross qui était le psychanalyste de cette communauté. J`ai tout de suite été très intriguée par ce neurologue, disciple de Sigmund Freud, prônant la liberté sexuelle, côtoyant à la fois les cercles scientifiques et anarchistes, mais c`est en découvrant la figure de Hans Gross, son père, ce grand juge qui fut le fondateur de la criminalistique que je me suis accrochée à lui. Il y avait dans cet affrontement dramatique entre un père et un fils, un parfum de tragédie au sens premier du terme, c`est-à-dire la possibilité d`un « chant » abordant tout à la fois le destin d`un homme à mes yeux extraordinaire et la lutte entre deux visions de la vie et de la société. J`ai été fascinée par le côté très actuel de cette épopée : cette dichotomie entre un univers guerrier, moraliste, refusant de donner aux femmes la moindre place et l`autre revendiquant la liberté et portant aux nues l`Eros et la féminité.
C`est un personnage que l`on pourrait dire christique, même s`il détestait toute forme de religiosité, puisque son objectif était l`amour entre les hommes et la réconciliation de l`homme avec la nature. Comme le Christ, il ne séparait pas ses idées de ses choix de vie et il y a un côté, aussi critiquable soit-il, auto-sacrificiel en lui. Il a pointé avec un véritable activisme évangélique son index vers les névroses de l`Homme : l`obsession du pouvoir, de l`argent, le mépris de la femme et de l`animal, l`agressivité, la haine, la morale et, par-dessus tout, le jugement.
Ce dernier roman est effectivement un troisième volet sur le thème de la filiation. Après le père détruit par le silence de Un temps égaré, le personnage du père blessé par la guerre parvenant à surmonter le dogme paternel pour rejoindre le chemin de son fils de A l`ombre des vainqueurs, cette dernière figure est l`illustration du père aveugle, épousant totalement la cause sociale au détriment de l`affect filial. Otto Gross à qui un psychanalyste fait remarquer le caractère Oedipien de son destin redresse la réalité : « C`est Laïos (un violeur d`enfant) , le père d`Oedipe qui a cherché à tuer son fils en lui faisant percer les pieds dès sa naissance » et il a cette phrase lapidaire pour résumer son père : « La Loi, c`est lui, et son moi est la Loi. » L`incroyable définition de la folie de son fils par Hans Gross: Son amour passionné pour les animaux, les personnes opprimées, l`émancipation des femmes dans le sens le plus extrême, l`amour libre, le droit du matriarcat et le combat contre le patriarcat, le communisme, l`anarchisme … illustre parfaitement les choses. Son fils est fou parce qu`il n`est pas lui.
N`étant pas particulièrement introspective, je ne cherche pas à creuser les raisons personnelles pour lesquelles le sujet de la filiation me passionne ou pourquoi mes personnages principaux sont toujours des hommes. Je me sais simplement à l`intérieur d`un cycle qui évolue et qui est loin d`être achevé.
Totalement ! Kafka qui était l`élève d`Hans Gross (le père) connaissait très bien le destin et les écrits d`Otto Gross, véritable célébrité dans les milieux intellectuels. Il est possible que son exemple l`ait encouragé à écrire Lettre au père et le Verdict. Tous deux étaient hantés, non seulement par leurs pères, mais également par l`hydre de l`administration impériale et l`absurdité de certaines structures sociales ou religieuses. Otto Gross a été, de son vivant et après sa mort, censuré à la fois par les freudiens et par les jungiens pour les raisons décrites dans le livre. Il a fallu attendre les années 1960 et le mouvement hippie pour que ses idées reviennent partiellement au goût du jour L`aspect le plus kafkaïen de son destin et de ses théories se tient probablement dans le parallèle que l`on peut faire entre son temps et le nôtre : retour massif du patriarcat, menaces de guerre, puritanisme, hydres administratives, manipulations collectives, dérives des pouvoirs étatiques ET liberté sexuelle, féminisme, végétarisme, méditation, retour à la nature… Tout ne peut pas se comparer et les clans de « liberté » étaient des groupuscules sans pouvoir en 1914, des monastères dont les « hérésies » ont été laminées. Ceci étant, les voix qui, avec le courage et la radicalité d`Otto Gross, - et qu`importe qu`il ait fait ultimement fausse voie – se tiennent Par-delà le Bien et le Mal, et proposent, comme il l`a fait, une réflexion sur les raisons profondes, organiques, de la destruction des forces de vie par l`Homme n`ont pas plus accès aux médias que de son temps. J`emprunte à Hugo Ball, le fondateur du dadaïsme, ce poète fabuleux qu`il fréquentait, lorsque je lui fais dire à propos des journaux : « Nous nous nourrissons de ça, nous autres pauvres petites chenilles : de feuilles de chou sans réaliser que cette nourriture nous dévore de l`intérieur ! » Qu`est-ce qui a changé ?
Kafka n`était pas une figure politique et Otto Gross ne s`intéressait pas vraiment aux conditions géopolitiques dans lesquelles il vivait. Il les observait comme des conséquences, des échos d`obscurantismes, de catastrophes passées, fossilisées en l`humain. Il pensait que la psychanalyse était l`instrument de la Révolution parce qu`en permettant la « connaissance de soi », elle pouvait amener au désir de « connaitre l`autre ». Il croyait mordicus que le Bolchévisme allait tout résoudre…
Je pense qu`il existe trois raisons à cet engouement. D`une part, il y a une surabondance d`utilisation des concepts psychanalytiques encadrant la moindre circonstance, de recherche d`explication sur tout comportement considéré comme en dehors des normes et un développement des pratiques thérapeutiques associant de près ou de loin la psychanalyse. Nous mettons graduellement en place dans des écoles ce qu`Otto Gross préconisait : la méditation, la reconnaissance de son « moi intérieur », de la spécificité de l`autre, de son identité sexuelle. A l`heure actuelle, nous faisons tous, et quel que soit notre degré de connaissance sur le sujet, de la psychanalyse !
Face à cela, nous sommes dans une phase critique sur les conditions dans lesquelles la psychanalyse a été élaborée. Sigmund Freud et Carl Gustav Jung ne sont plus intouchables et le concept même de « psyché » est parfois remis en question. Il y a vingt ans, Mon nom est Otto Gross ou A dangerous method auraient soulevé une véritable armée de boucliers chez les psychanalystes. On ne pouvait pas, à moins de prendre le risque d`être mis à l`index de la nouvelle religion, critiquer de façon aussi frontale et factuelle le comportement et le caractère des pères de cette méthode.
Enfin, les neuroscientifiques ne rejettent plus la psychanalyse et l`associent même à leurs recherches.
Océan-mer d`Alessandro Baricco.
Jane Eyre de Charlotte Brontë.
Le roi des Aulnes de Michel Tournier.
De ne pas avoir compris plutôt : Ulysse de James Joyce.
Les nuits de Fastov d`André Weckmann.
« Le passé est imprévisible ». C`est une phrase de Jean Grosjean.
Les vies de papier de Rabih Alameddine. Une merveille.
Retrouver l'émission complète : https://www.web-tv-culture.com/emission/marie-laure-de-cazotte-ceux-du-fleuve-52512.html 1793 : La France est en ébullition et la Vendée se révolte ! Un jeune orphelin se réfugie sur les bords de Loire. Son chemin va croiser celui d'êtres en déroute confrontés à la folie des temps, à l'enfer des combats, à la fuite éperdue des populations. le fleuve séculaire sera le révélateur de leur nature profonde. Avec Ceux du fleuve, Marie-Laure de Cazotte, nous livre une épopée humaniste aux accents féeriques qui éclaire d'un jour nouveau l'histoire, si méconnue des premiers mois de la guerre de Vendée.
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