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Critiques de Pier Paolo Pasolini (115)
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La Longue route de sable

Ce livre, je le scrutais depuis longtemps, pas dans sa version poche, mais dans celle des Editions Xavier Barral, offrant, entre autres, une galerie remarquable de photographies de Philippe Séclier ainsi que le tapuscrit original de Pier Paolo Pasoloni. Bref, un bel ouvrage à offrir aux amoureux de l'Italie.

Le texte, en lui-même, présente le périple de l'auteur en 1959 longeant les côtes Italiennes depuis Vintimille jusqu'à Trieste. Il nous donne des moments furtifs de tel ou tel lieu. Ce peut être une plage, un hôtel, une rencontre,... de petites choses que l'on ne peut prendre qu'au vol. Il y a quelques arrêts plus prononcés comme à Livourne, Ischia,... des endroits qu'il affectionne particulièrement.

Pasolini est plus qu'un observateur. Il est un esthète. Il nous donne à voir le beau et le moins beau. On y sent l'Italie dans toute sa diversité, entre un nord plus opulent et plus organisé avec la plage " parfaitement équipée" et un sud aux "villes confuses, instables et informes comme des campements".

Peu de détails, ce n'est pas le but. De toute façon, on reste assez collé à la plage et à ces gens qui la fréquentent.

Comme je l'indiquais les photos monochromes de Philippe Séclier réalisées en 2005 soit plus de quarante ans après l'itinéraire de Pasolini rendent son récit indémodable. Une Italie qui semble ne pas avoir bougé.

En cette fin d'été, j'ai un peu prolongé mes vacances à bord de sa vieille Fiat. Il ne me manquait plus qu'une glace et un peu de chaleur pour lui mettre un 5/5.



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Actes impurs - Amado mio

L'auteur est Pier Paolo Pasolini (1922-1975), le très célèbre réalisateur de cinéma, également écrivain et poète. le grand public le connait aussi pour son homosexualité, surtout depuis son assassinat dans des conditions scabreuses.



Ce récit très largement autobiographique, se rapporte à sa jeunesse, dans les années 1944-1945. Sa mère et lui vivaient alors dans un endroit champêtre au Nord de l'Italie. La région où ils croyaient avoir trouvé refuge était, en fait, encore sous le contrôle de l'armée allemande et des milices fascistes, aux abois et donc dangereux. Dans le même temps, l'aviation alliée effectuait des bombardements qui rendaient la vie encore plus difficile. On pouvait être tué tous les jours. C'est dans ce contexte d'apocalypse que Pier Paolo vit, en donnant des cours à de jeunes gens dans son village, tout se cachant (car il est réfractaire).



Le récit n'est pas toujours très facile à suivre, mais il est généralement captivant. Son sujet essentiel est la découverte de son homosexualité par Pier Paolo, et ses premières amours. D'ailleurs, le titre suggère bien le sujet, mais il a été choisi sottement car l'auteur écrit sans détours: «Je n'ai pas le sens véritable du remords, de la faute, de la rédemption; j'ai simplement un sens unique du destin, mais dans sa précarité et sa confusion ». Pasolini décrit, jour après jour, les affres de son attirance obsessionnelle pour les jeunes gens qui se trouvent être des fils de paysans naïfs ou frustes. Face à chacun, il fait tout son possible pour capter son attention amoureuse et il a le plaisir de constater que « il comprenait qu'il était uni à moi par quelque chose de particulier, une attention, une curiosité, presque une complicité que les autres ne remarquaient même pas ». Mais, quand il se retrouve au sommet de sa quête d'amour, il évoque son « état d'âme d'homme devenu presque fou ». En fait, il éprouve un violent désir qui l'emporte sur son attachement sentimental. Quand il rencontre une résistance durable de la part d'un jeune adolescent, son désir se trouve exacerbé: « Plus qu'une douleur, j'éprouvais une rébellion abasourdie contre la nature ou contre le destin ». A force de presser Bruno, ou Gianni, ou Nisiuti, ou encore d'autres garçons, Pier Paolo parvient (difficilement) à ses fins, jouissant sexuellement et nageant dans son bonheur de la soumission admirative de sa conquête. Que le lecteur éventuellement avide des passages pornographiques s'y résigne, la plume de l'auteur reste allusive: quand Nisiuti met un terme à ses refus réitérés, par exemple, l'auteur note sobrement: « il se rendit tout de suite ». Cependant, l'accomplissement ne lui apporte pas l'apaisement, et sa nature passionnée, tourmentée, reprend aussitôt le dessus; mais ce n'est jamais le remords qui le trouble.

Pour corser sa situation sentimentale, le narrateur se trouve aussi confronté à Dina, une jeune fille très amoureuse de lui, pour laquelle il n'éprouve évidemment aucun désir mais qu'il voudrait éviter de blesser.



Ce récit est un témoignage réaliste, particulièrement sincère, sans complaisance ni contrition. Je suppose qu'on trouve rarement ces qualités dans la littérature, sur un tel sujet - pour le moins délicat. Le lecteur pénètre dans la subjectivité de Pier Paolo, qui nous parait ni sympathique ni antipathique, mais simplement vrai; il doit admettre que tout questionnement moral est ici mis entre parenthèses. A cause de la guerre, les expériences de ce "héros" tourmenté s'insèrent dans une ambiance de fin du monde - un monde pourtant en plein devenir, car le narrateur est lui-même jeune et désireux de vivre, même si c'est dangereusement. Enfin, j'ajouterai que le décor somptueux de la campagne frioulane, indifférent à la violence des hommes, contribue à faire de ce récit un étonnant hymne à la vie.

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L'odeur de l'Inde

Je ne connaissais pas cet auteur et en lisant son « récit », je me suis dit « Il est gay ! ». Poète, journaliste, cinéaste, il serait mort assassiné par un gigolo sur un lieu de drague. Vous allez me dire : « On s’en fout ! ». Non, car justement, quand il aide Revi qui lui « prend la main », il faut lire entre les lignes. Ils ont eu une liaison charnelle, évidemment ! C’est pour cela qu’il tente de l’aider. Comme je le raconte dans mon livre (50 ans après, il m’est plus facile d’évoquer l’homosexualité), il est aisé de percevoir ce brûlant désir que les homosexuels indiens éprouvent. J’ai connu un Indien, d’autres m’ont accosté dans la rue, à l’hôtel, et j’avais l’impression d’être « une tarte au citron ». Pasolini avait mon âge lors de son voyage : 40 ans, et il était superbe.





Ce que j’ai aimé dans ce livre, à mi-chemin entre L’Inde où j’ai vécu d’Alexandra David-Neel et Nue India d’Alexandre Bergamini, c’est la liberté de l’auteur. Il dit tout ce qu’il pense. De nos jours, tout écrivain sur l’Inde marche sur des œufs de peur de se faire traiter de néocolonialiste. Évidemment, Pasolini présente une vision occidentale de l’Inde. Il généralise beaucoup trop : « Il est vrai que les Indiens ne sont jamais joyeux : ils sourient souvent, c’est vrai, mais ce sont des sourires de douceur, non de gaieté ». Il croit connaître un pays à travers des promenades nocturnes alors qu’il a surtout passé son temps entouré de bourgeois dans des réceptions. D’ailleurs, pourquoi se promener le soir en Inde ? Un livre LGBT, je vous dis !





Le style est poétique, littéraire et comme il ne s’agit pas d’une histoire de A à Z, mais un mélange éparse de réflexions, ce livre, pourtant court, n’est pas simple à lire.



En conclusion, un livre engagé sur l’Inde, pour apercevoir ce pays dans ses années 1960, sans oublier qu’il s’agit d’un livre LGBT.
Lien : https://benjaminaudoye.com/2..
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Nouvelles romaines / Racconti Romani (édition..

La Feuille Volante n° 1260

Racconti romani (Nouvelles romaines) Pier Paolo Pasolini – Folio.

Traduit de l'italien par René de Ceccatty. (édition bilingue)



Ce recueil de nouvelles écrites par Pasolini (1922-1975) dans les années 50 et publiées dans la presse puis initialement sous le titre « Histoires de la cité de Dieu, nouvelles et chroniques romaines » sont des textes épars qui constituaient la première partie du volume édité en 1998, c'est à dire vingt ans après l'assassinat de l'auteur. Il s'agit donc d'un recueil posthume qui retrace l'itinéraire de Pasolini dont certains textes ont été publiés dans la presse de l'époque ou repris en partie dans d'autres écrits. Quand il arrive à Rome en 1950 venant du Frioul, il est pauvre comme le sont les personnages de ces textes et découvre cette ville qui comptera tant pour lui. Il s'attache d'ailleurs à la décrire et notamment le quartier du Trastevere, pittoresque, vivant populaire et même malfamé à cette époque, ce qu'il ne n'est évidemment plus aujourd'hui. C'est en tout cas une balade dans cette partie de Rome, favorisée par la consultation de mon vieux « guide bleu » des années 50 . Il n'est pas encore le critique littéraire, et le cinéaste célèbre qu'il deviendra quelques années plus tard mais a déjà publié des poèmes et la société dans laquelle il vit reste pour lui une occasion unique de réflexion.

Des ces quatorze textes, il cherche à dire ce qu'il voit, à rendre compte de la pauvreté de cette époque et de la débrouillardise des petites gens pour survivre et son style est plutôt descriptif que poétique en ce sens qu'il souhaite avant tout témoigner de l'environnement social qu'il côtoie sans cependant négliger les images oniriques. Comment en effet, gommer le lyrisme de son écriture ? Parfois, comme dans « Roma allucinante », il laisse parler son âme de poète et cela donne un texte aux accents surréalistes, plein d'images, de couleurs et de sons qu'il faut lire à haute voix pour apprécier toute la musicalité de cette langue. Plus tard il se penchera sur la société dans laquelle il vit, cherchera à la décrypter pour, peut-être, l'améliorer ou à tout le moins y imprimer sa marque.

Ce recueil comporte aussi des idées de films, futurs scénarios écrits sans recherche poétique, un style plus ordinaire et haché mais qui sont autant de pistes de réflexion sur la ville de Rome qu'il aime tant mais aussi sur ceux et celles qui la peuplent (I morti di Roma – Donne di Roma). Il y parle du quotidien des vivants mais aussi de la violence qui en est indissociable, du côté transitoire et dur de la vie, de la mort qui guette chacun parce que c'est notre condition à tous. Pour souligner ce trait, il prendra plus volontiers dans ses films des acteurs amateurs plutôt que des comédiens professionnels connus. Il prend l'image des ponts parce que, à cette époque, le Tibre est encore une frontière dans cette ville. D'un côté la richesse et de l'autre la misère. Ce sont certes des points de passage mais aussi des instants dans la vie des Romains de toute condition, aristocrates, prolétaires, petites frappes ou prostituées.

Pasolini était un personnages atypique a bien des titres, homosexuel revendiqué, communiste marginal et dont l'assassinat lui-même reste, encore aujourd'hui, une énigme, ce qui épaissit le mystère mais aussi la passion que peut inspirer un tel personnage. J'ai, en tout cas, découvert ici, et avec intérêt, un écrivain que je ne connaissais pas.





© Hervé Gautier – Juillet 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Affabulazione

On résout une énigme et on tue le père.Ce n'est plus un mystère.

On ne résout pas un mystère et on en vient à vouloir tuer le fils.

Mythologie expérimentale… et si Œdipe était inversé ?

Infanticide, inceste, pouvoir et politique. Ce père livré à la lecture des ses propres entrailles, à la puissance du mâle, seul en son rêve, se sait père mais se sent fils. Le père qui voudrait résoudre le mystère . Ce fils qui lui est autre, différent, qui lui est concurrent, qu'il devient le libre indifférent. Le père envoie le fils à la guerre. Voilà le crime, voilà la réalité du meurtre. Voilà la violence du mensonge. Les raisons de son désir. Voilà la douleur du monde. Le mythe est une fable. L'enfer n'est pas le songe.

Étonnante pièce. Onirique, physique, puissante.

Pasolini n'est pas une énigme, ni un mystère, mais une question .

Pier Paolo Pasolini : « Poésie », voilà ton nom.



Astrid Shriqui Garain
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L'odeur de l'Inde

On retrouve ici Pier Paolo Pasolini au cours du voyage en Inde qu’il fit avec Moravia et Morante. Le récit qu’il en fait est tout à fait différent de celui de Moravia : on est ici dans une expérience très personnelle, privée, presqu’intime de l’Inde. Pasolini est beaucoup moins dans un rapport intellectuel et rationnel avec l’Inde, et propose une approche plus physique, plus sensuelle de l’Inde des années soixante.



En conclusion, les récits de Moravia et de Pasolini se complètent tout à fait.

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Théâtre

J'ai emprunté « Théâtre » de Pier Paolo Pasolini parce que je voulais absolument lire le texte de la pièce « Affabulazione » que je suis allée voir au théâtre dans une mise en scène de Stanislas Nordey.

J'ai découvert à cette occasion que Pasolini n'est pas seulement un grand cinéaste italien mais qu'il est aussi poète, romancier et qu'il a écrit six pièces dans les années 1970 qui restent peu connues : "Calderón" ; "Affabulazione" ; "Pylade" ; "Porcherie" ; "Orgie" ; "Bête de style".



Avec Affabulazione, Pasolini propose un « théâtre de parole » direct, poignant, tendu entre visions oniriques et confrontations radicales ce qui peut donner un côté bavard à ses textes. Tout en s'ancrant concrètement dans son époque, il veut renouer avec la tragédie grecque, sa violence, sa charge mythique.

Sous le signe du spectre de Sophocle, Affabulazione inverse le meurtre fondateur d'Oedipe : tout y naît de la hantise qu'un fils – trop beau, trop désirant - inspire à son père, industriel milanais terrifié par cette image inversée de son propre déclin. Et si le désir de “tuer le fils” était le vrai refoulé de notre société ?

C'est un texte époustouflant dont le rythme, la puissance, rend inquiétant le questionnement générationnel de Pasolini.



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Théorème

Moins abscons et plus compréhensible que le film, chargé d'images poétiques, présenté comme une suite de notations d'un observateur plutôt que d'un narrateur, Théorème est le fruit d'une pensée sans équivalent. Celle d'un homme qui mêlait sexe (hétéro ou homo) , social (prolétariat ou bourgeoisie) politique (marxisme ou fascisme) et religion (chrétienne ou païenne) dans un creuset commun pour en tirer de très éclairantes passerelles.

Il faut voir tous ses films et surtout lire ses essais (les lettres luthérienne, les écrits corsaires) pour comprendre à quel point ses prophéties des années 70 se réalisent: le consumérisme tuera l'humanité là où le fascisme même a échoué. A voir aussi une passionnante série sur France Culture.
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Les Anges distraits

Toute l'enfance puis la jeunesse de Pasolini dans le Frioul tant aimé.

C'est à travers ces pages, courir avec lui en culottes courtes dans les rues de Crémone, c'est être un sage écolier de Pordenone, Carsara captivé par le maître, autant que distrait par la vie rurale et païenne que la chrétienté peine à toucher, c'est être dans la cellule du parti sous le portait de Lenine et le regard du Christ.
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Lettres luthériennes : Petit traité pédagogique

Rassemblant des textes tardifs, écrits d’une plume à la fois pleine de gravité, juste avant sa mort, dont il analyse avec une intuition incroyable la source (il est assassiné par le milieu social et culturel dont il ne cesse de s’inquiéter dans ces écrits même, de manière obsédante, avec une attention précise aux faits divers sordides, dont il sera bientôt un protagoniste), Pier Paolo Pasolini montre dans « les lettres luthériennes » toute sa fureur solitaire, sa détermination à penser, penser, penser, contre son confort, contre l’air du temps, contre sa famille de pensée (le progressisme), contre lui-même (il va jusqu’à abjurer les films qu’il a créés il y a peu), contre les pouvoirs : celui déclinant d’une Démocratie chrétienne dominante dont il prévoit la disparition dans le berlusconisme dont il ne connaît pas le nom mais qu’il dessine précisément, contre le pouvoir de l’argent, qu’il qualifie déjà, en 1975, de « transnational » (ce que les économistes critiques ne feront que dans les années 90).







« Les lettres luthériennes » sont un prolongement de ses « écrits corsaires » parus précédemment, qui voient Pasolini se jeter de toutes ses forces dans la bataille polémique, essayant d’expliquer aux progressistes que le progrès, c’est à dire le développement capitaliste fondé sur l’élargissement de la consommation est en train de les piéger, en refermant tout horizon de substitution au règne marchand.







Conscient qu’il est d’une gigantesque révolution en cours, pendant qu’elle se produit, il lutte avec sa plume, et nous livre des textes d’une étrange essence, d’un genre inédit, qui ne ressemblent à rien d’autre, mêlant gravité et dérision, y compris l’auto dérision de sa lucidité impuissante. Un mélange inédit de prose poétique, de familiarité, de pamphlet utilisant l’anecdote et de fulgurance poétique, tout cela intégrant des pans de marxisme parfois très orthodoxe. Pasolini est désespéré et lutte, car il sait et l’exprime très poétiquement, avec son propre cas, que ce sont les choses qui éduquent, plus que les opinions et sermons. La télévision en particulier, offre des modèles sans besoin de discours. Ces modèles s’imposent, en façonnant les personnalités. Il y a tout Bourdieu chez Pasolini.







La révolution arrive d’outre atlantique, où elle a démarré après-guerre, elle débarque en Italie, sans transition (c’est cette absence de transition qui l’inquiète car rien ne permet d’amortir la violence de cette révolution) : la société de consommation qui unifie culturellement l’Italie, et en élimine les cultures particulières et d’abord la culture populaire en tant qu’autonomie dans la société. C’est une société de petit bourgeois qui s’impose. Mais de petits bourgeois souvent sans moyens, donc de frustrés, donc de brutes. Ce sont ces brutes matérialistes, privées de leurs repères culturels, c’est à dire de leur décence commune (Pasolini est le fils caché d’Orwell, indéniablement. Il ne le cite jamais, pourtant. Comme il l’est de l’Ecole de Francfort, qu’il ne cite pas non plus. Il pense son Italie, charnellement, seul face à elle, avec l’aide de Marx). Ce sont ces petites brutes qui le tueront bientôt sur la plage. Il les connaît, il aime à vivre parmi eux, il aime à trainer dans les quartiers ouvriers et lumpénisés de Rome, où il voit un peuple italien se transformer à grande vitesse, bouleversé par les valeurs de la consommation qui détruisent toute autre valeur. Pasolini voit le monde de Houellebecq et de Bret Easton Ellis se mettre en place, mais il est particulièrement inquiet pour l’Italie, car celle-ci passe directement d’un monde pré industriel à la société de l’hypermarché, sans qu’une nouvelle culture puisse s’interposer.







Pourquoi Luther ? Il ne le dit pas, mais on peut penser que Luther a été l’annonciateur d’un virage anthropologique. Celui de l’apparition de l’individu. Et Pasolini, dans les années soixante, est le cri d’alerte d’un autre virage, celui qui passe du capitalisme industriel, celui des marchands de canon, à celui des frigidaires. Le pouvoir n’a plus tellement besoin de tirer sur la contre société, puisqu’il l’a ralliée, avec la promesse de la marchandise et du confort, tout en annihilant sa capacité d’organisation, de solidarité, de création d’une alternative sociale. Tout cela sera confirmé par les faits. Pasolini a eu raison. Il sait qu’il aura raison, et il en est furieux. A ce moment là, il essaie encore de trouver un espoir en se raccrochant à un changement du Parti communiste italien, grâce à ses jeunesses. Un espoir qui sera douché, puisque précisément ce sont ces communistes là, les italiens, qui iront le plus loin et le plus vite dans le ralliement aux valeurs « démocratiques » de la société de marché. Quand il seront mûrs, vieillis, et qu’ils seront au pouvoir en Italie.







La colère de Pasolini se dresse contre la Démocratie Chrétienne, faussement chrétienne à son sens, ne gardant du catholicisme que l’hypocrisie, dont il voit la mort arriver, car le monde catholique s’effondre, qui a laissé cette révolution marchande déferler sur l’italie, l’enlaidir (sur le plan urbain en particulier). L’Eglise est réduite, comme dans « le Parrain » de Coppola quelque temps plus tard, à une machine financière. Il n’aura pas l’occasion de voir les horreurs de la télé berlusconienne mais il la pressent. Il sait déjà que c’est l’ennemi. Il propose, de manière provocatrice, l’abolition de la télévision. Mais aussi… de l’école, dans la mesure où il la voit tout à fait incapable de s’opposer à ces lames de fond, et donc productrice de rancœur et de conformisme. Qui lui donnerait tort aujourd’hui, à ce grand scandaleux ? Pasolini était très lucide sur la déliquescence maffieuse de la politique italienne, sur les liens entre le pouvoir italien et la CIA. L’Italie, située sur un nœud géopolitique de la guerre froide, et dotée d’un grand Parti communiste, était un enjeu extrêmement sensible pour les deux blocs. Pasolini savait que le remplacement du fascisme par une démocratie chrétienne ne changeait pas grand chose aux rapports sociaux dans son pays. Mais il a aussi su sortir de cette analyse et voir tout de suite en quoi les transformations économiques allaient modifier son pays, jusqu’à produire une « humanité nouvelle ». Il en a été l’annonciateur isolé, hurlant. L’hédonisme s’est installé. Et oui, il menace le monde, la planète, et Pasolini le dit dès les années soixante.







Mais c’est d’abord la jeunesse qui préoccupe Pier Paolo Pasolini. Et les lettres luthériennes commencent comme une lettre de Sénèque à Lucilius : en l’occurrence un jeune qu’il imagine, nommé Genariello. Comme une leçon philosophique à un jeune crée de toutes pièces. Il est dur et sévère avec cette jeunesse qu’il ne voit pas réagir, qu’il voit devenir vulgaire au contact de la marchandise. De sa rage, ils les qualifient de « monstres ». Il n’aura pas ménagé les électrochocs. Il voit cette jeunesse, ne pas profiter de la libération sexuelle, mais en ressortir névrosée. Il pressent l’expansion de la drogue, qu’il définit comme « un ersatz de la culture« . Le grand vide de civilisation cherche à se combler. La drogue y pourvoira.







Il y a cette idée, très contemporaine, aussi, chez Pasolini : la pauvreté n’est pas la pire des choses. C’est la misère culturelle qui lui donne toute sa laideur. En ce sens, lire Pasolini aujourd’hui est stupéfiant, tant ce qu’il décrit est encore pertinent pour comprendre nos maux, pour saisir la défaite populaire. Pour comprendre aussi, pourquoi le jihad est un absolu, comme la drogue, de substitution au vide :







» La culture des classes subalternes n’existe (presque) plus : seule existe l’économie des classes subalternes. J’ai répété une infinité de fois, dans ces maudits articles, que le malheur atroce, ou l’agressivité criminelle, des jeunes prolétaires et sous-prolétaires, provient précisément du déséquilibre entre culture et condition économique. Il provient de l’impossibilité de réaliser (sinon par mimétisme) des modèles culturels bourgeois, à cause de la pauvreté qui demeure, déguisée en une amélioration illusoire du niveau de vie« .



C’est terrible, d’avoir raison.
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Sonnets

Pasolini n'est pas un nom que l'on associera volontiers au sonnet. Qui dit sonnet dit Pétrarque, ou Michel-Ange, ou Ronsard, ou Shakespeare... Pourtant, le révolutionnaire de la culture, le marxiste de la table rase, le révolté, bref Pasolini a recours à cette forme antique pour faire la chronique de la douleur amoureuse, et le ton est toujours juste, quoique toujours légèrement parodique. En effet, la modernité du propos ne peut que créer une tension étrange et ironique avec la forme adoptée, et cette dissonance est une des grandes beautés de l'oeuvre.
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L'odeur de l'Inde

Pier Paolo Pasolini part en voyage (avec Alberto Moravia) en Inde dans les années 60. Il livre dans ce très court carnet de voyage ses pensées sur les moeurs indiennes, décrit les paysages, évoque ses rencontres. A la fois poétique, et ethnologique, l'auteur parvient formidablement à embarquer son lecteur avec lui.
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L'odeur de l'Inde

Pasolini a signé là sur l'Inde un de ses écrits les plus durs. Nous sommes en 1961, certes, et l'Inde a changé... mais il y a ce qui change, et les choses qui restent les mêmes. Ce récit, c'est des tranches de vie, des anecdotes, des aperçus furtifs, des rencontres de hasard, des personnages que l'on croise et dont on ne saura plus jamais rien. Et c'est ce dégoût qui monte, car rien de tout cela n'est supportable, ni la misère, ni la saleté, ni ce décalage invraisemblable entre notre mode de vie et de pensée et ce que l'auteur a sous les yeux. Et comme rien n'est supportable, on a mal pour lui et on a l'impression qu'il veut fuir, et ne plus jamais revenir, et ne plus jamais entendre parler de l'Inde, ne plus jamais voir cette saleté et cette misère ni respirer cette odeur de pourriture, de pauvreté et de cendres.

Mais c'est l'Inde, et c'est fascinant et magique sans qu'on puisse l'expliquer. Et ce qui explose à la fin de ce récit, c'est l'amour de l'Inde, et le sentiment que ce pays ne lâchera jamais ceux qu'il attrape dans sa magie.
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Les Ragazzi

Le titre original Ragazzi in vita que l'on pourrait traduire par "débrouillards" annonce un roman dur, extrême et fort. C'est le premier roman de Pier Paolo Pasolini écrit en 1955...
Lien : http://fromtheavenue.blogspo..
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Une vie violente

« Une vie violente » de Pier Paolo Pasolini (1922-1975) s'offre une nouvelle traduction grâce à Jean-Paul Mangarano et je peux enfin découvrir l'auteur dont j'avais déjà lu plusieurs fois des citations mais jamais un texte complet. La présentation du roman souligne « un classique contemporain au réalisme brutal ». Effectivement, nous y sommes totalement puisque Pasolini nous plonge dans les bas-fond de la pauvreté romaine avec tout ce que cela peut entraîner. L'écriture navigue entre termes littéraires et familiers de façon très efficace et très juste. Les dialogues sont particulièrement argotiques et peuvent mettre en difficulté, durant la lecture. Le lecteur fait partie des personnages. On se sent poisseux. Comme eux. Ce roman est aussi une porte d'entrée pour découvrir l'auteur dont le côté scandaleux n'est plus à prouver.
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Lettres luthériennes : Petit traité pédagogique

Pour les lecteurs étrangers à la politique politicienne d'Italie et pourtant soucieux de s'immerger dans la pensée de Pasolini, et notamment son intransigeance de catholique à l'encontre de la pseudo "Démocratie Chrétienne" des années 50-60, qu'ils préfèrent les "Ecrits Corsaires" à ces "Lettres luthériennes" qui sont certes écrites dans le même sillage, mais qui se réfèrent souvent à des affaires plus précises et quelque peu oubliées.
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La rage

On connait Pasolini pour ces films de fiction et sa radicalité. On le connait souvent moins pour son côté d'essayiste. Le film "La Rage" lui a été commandé par un petit producteur italien qui lui a demandé de réaliser une oeuvre à partir d'une banque d'images filmées pour la télé depuis les années 50 jusqu'au moment de sa sortie en 1963. On sait combien Pasolini détestait la télévision qu'il qualifiait de "mort de l'âme". Pourtant à partir de ces images, le cinéaste nous offre un chef d'oeuvre par son commentaire mêlant vers et prose. Le travail de traduction des éditions "nous" est sublime et, s'il ne peut égaler la beauté de l'italien parlé dans le film, rend honneur aux textes du cinéaste.



Le lyrisme nous emporte, Pasolini nous embarque, sa critique devient la nôtre. On se révolte avec lui du monde qu'il voit se construire sous ses yeux et on se lamente un peu de voir qu'il est devenu réalité, que ce que craignait l'auteur dans les années 60 est aujourd'hui considéré comme l'état normal du monde. Au delà du contenu très politique qui ravira certain et que d'autres haïront, la forme est d'une beauté sans nom. Une sorte de poème héroïque qui fonctionne même sans le support des images. Il est rare de trouver des films aux qualités littéraires si grandes et lire ce commentaire présente un intérêt presque aussi grand que de voir le film. Cet ouvrage est un bon support de réflexion et nous interroge, cinquante ans après, sur l'état de notre monde, sur le progrès, sur ce que l'homme fait de la beauté et de la planète. Il n'y a pas de qualificatif plus adéquate pour décrire ce livre que le mot "beau". C'est une révolte belle et riche que Pasolini nous donne ici, une révolte qui construit plus qu'elle ne détruit.



Un vrai coup de coeur pour le passage sur la mort de Marylin Monroe, une réflexion sur la beauté justement, la beauté que le monde ignore ou feint d'ignorer. La beauté rendu à son état mortel, passager qui fait verser quelques larmes sur l'absurdité du monde.
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La Longue route de sable

Voilà un bon premier livre d'un auteur attachant, qui consacre le récit de son voyage en Italie à sa confrontation avec les lieux où Pasolini a vécu, et avec les derniers témoins de sa vie. Si la phrase et le style n'échappent pas toujours aux tics, aux fautes et aux vulgarismes contemporains, la prose de ce jeune auteur a cependant de la tenue, de la dignité et une certaine profondeur. Un lecteur qui ignorerait tout de Pasolini devrait pourtant se garder de chercher à faire sa connaissance à travers ce livre, qui ne parlera qu'à ceux qui ont vu ses films et lu ses écrits, en partie au moins. Cependant, l'amour de l'auteur pour ce révolté absolu donne de lui une belle image, et les larges citations de poèmes et de proses ont de quoi choquer les belles consciences. Un bon livre, à conseiller à ceux qui aiment déjà Pasolini, qui a toujours parlé et écrit pour des jeunes gens comme l'auteur.
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Poèmes de jeunesse

Ce volume ne présente pas seulement les poèmes de jeunesse de Pasolini, ce génie multiforme des lettres et du cinéma italiens, mais aussi des textes de maturité, dont le dernier est de 1962. On verra donc le talent, les thèmes, les images, évoluer au rythme de la maturation de l'homme et de ses choix politiques comme de ses constantes personnelles. L'édition bilingue donne à voir le texte en italien ou en dialecte, pour les poèmes que l'auteur écrivit en frioulan.
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Poésies, 1953-1964

J'ai d'abord découvert Pasolini par le cinéma : Oedipe Roi, Médée, Accatone,L'évangile selon Saint Mathieu. J'ai été frappé d'abord par une façon singulière de raconter des histoires. Que je n'avais vu nulle part ailleurs. Puis j'ai découvert que la source de son art était la poésie écrite. Et quand je suis revenu à son cinéma tout s'est éclairé.



Depuis, comme certains amis rares, je reviens le voir, à intervalles réguliers, souvent espacés dans le temps, pour me nourrir de sa rage.
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