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Anna Rocchi Pullberg (Traducteur)
EAN : 9782020359382
241 pages
Seuil (30/11/-1)
3.73/5   30 notes
Résumé :

Durant l'année 1975, dernière de sa vie, Pasolini, âgé de 53 ans, s'adresse dans le quotidien Il Corriere della sera, à un jeune homme imaginaire pour faire son éducation sociale et politique. Ce dialogue ouvert prend de l'ampleur, et devient un véritable « petit traité pédagogique » au sujet de la presse, la sexualité, l’anticonformisme, la liberté, l'école, la télévisio... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Rassemblant des textes tardifs, écrits d'une plume à la fois pleine de gravité, juste avant sa mort, dont il analyse avec une intuition incroyable la source (il est assassiné par le milieu social et culturel dont il ne cesse de s'inquiéter dans ces écrits même, de manière obsédante, avec une attention précise aux faits divers sordides, dont il sera bientôt un protagoniste), Pier Paolo Pasolini montre dans « les lettres luthériennes » toute sa fureur solitaire, sa détermination à penser, penser, penser, contre son confort, contre l'air du temps, contre sa famille de pensée (le progressisme), contre lui-même (il va jusqu'à abjurer les films qu'il a créés il y a peu), contre les pouvoirs : celui déclinant d'une Démocratie chrétienne dominante dont il prévoit la disparition dans le berlusconisme dont il ne connaît pas le nom mais qu'il dessine précisément, contre le pouvoir de l'argent, qu'il qualifie déjà, en 1975, de « transnational » (ce que les économistes critiques ne feront que dans les années 90).



« Les lettres luthériennes » sont un prolongement de ses « écrits corsaires » parus précédemment, qui voient Pasolini se jeter de toutes ses forces dans la bataille polémique, essayant d'expliquer aux progressistes que le progrès, c'est à dire le développement capitaliste fondé sur l'élargissement de la consommation est en train de les piéger, en refermant tout horizon de substitution au règne marchand.



Conscient qu'il est d'une gigantesque révolution en cours, pendant qu'elle se produit, il lutte avec sa plume, et nous livre des textes d'une étrange essence, d'un genre inédit, qui ne ressemblent à rien d'autre, mêlant gravité et dérision, y compris l'auto dérision de sa lucidité impuissante. Un mélange inédit de prose poétique, de familiarité, de pamphlet utilisant l'anecdote et de fulgurance poétique, tout cela intégrant des pans de marxisme parfois très orthodoxe. Pasolini est désespéré et lutte, car il sait et l'exprime très poétiquement, avec son propre cas, que ce sont les choses qui éduquent, plus que les opinions et sermons. La télévision en particulier, offre des modèles sans besoin de discours. Ces modèles s'imposent, en façonnant les personnalités. Il y a tout Bourdieu chez Pasolini.



La révolution arrive d'outre atlantique, où elle a démarré après-guerre, elle débarque en Italie, sans transition (c'est cette absence de transition qui l'inquiète car rien ne permet d'amortir la violence de cette révolution) : la société de consommation qui unifie culturellement l'Italie, et en élimine les cultures particulières et d'abord la culture populaire en tant qu'autonomie dans la société. C'est une société de petit bourgeois qui s'impose. Mais de petits bourgeois souvent sans moyens, donc de frustrés, donc de brutes. Ce sont ces brutes matérialistes, privées de leurs repères culturels, c'est à dire de leur décence commune (Pasolini est le fils caché d'Orwell, indéniablement. Il ne le cite jamais, pourtant. Comme il l'est de l'Ecole de Francfort, qu'il ne cite pas non plus. Il pense son Italie, charnellement, seul face à elle, avec l'aide de Marx). Ce sont ces petites brutes qui le tueront bientôt sur la plage. Il les connaît, il aime à vivre parmi eux, il aime à trainer dans les quartiers ouvriers et lumpénisés de Rome, où il voit un peuple italien se transformer à grande vitesse, bouleversé par les valeurs de la consommation qui détruisent toute autre valeur. Pasolini voit le monde de Houellebecq et de Bret Easton Ellis se mettre en place, mais il est particulièrement inquiet pour l'Italie, car celle-ci passe directement d'un monde pré industriel à la société de l'hypermarché, sans qu'une nouvelle culture puisse s'interposer.



Pourquoi Luther ? Il ne le dit pas, mais on peut penser que Luther a été l'annonciateur d'un virage anthropologique. Celui de l'apparition de l'individu. Et Pasolini, dans les années soixante, est le cri d'alerte d'un autre virage, celui qui passe du capitalisme industriel, celui des marchands de canon, à celui des frigidaires. le pouvoir n'a plus tellement besoin de tirer sur la contre société, puisqu'il l'a ralliée, avec la promesse de la marchandise et du confort, tout en annihilant sa capacité d'organisation, de solidarité, de création d'une alternative sociale. Tout cela sera confirmé par les faits. Pasolini a eu raison. Il sait qu'il aura raison, et il en est furieux. A ce moment là, il essaie encore de trouver un espoir en se raccrochant à un changement du Parti communiste italien, grâce à ses jeunesses. Un espoir qui sera douché, puisque précisément ce sont ces communistes là, les italiens, qui iront le plus loin et le plus vite dans le ralliement aux valeurs « démocratiques » de la société de marché. Quand il seront mûrs, vieillis, et qu'ils seront au pouvoir en Italie.



La colère de Pasolini se dresse contre la Démocratie Chrétienne, faussement chrétienne à son sens, ne gardant du catholicisme que l'hypocrisie, dont il voit la mort arriver, car le monde catholique s'effondre, qui a laissé cette révolution marchande déferler sur l'italie, l'enlaidir (sur le plan urbain en particulier). L'Eglise est réduite, comme dans « le Parrain » de Coppola quelque temps plus tard, à une machine financière. Il n'aura pas l'occasion de voir les horreurs de la télé berlusconienne mais il la pressent. Il sait déjà que c'est l'ennemi. Il propose, de manière provocatrice, l'abolition de la télévision. Mais aussi… de l'école, dans la mesure où il la voit tout à fait incapable de s'opposer à ces lames de fond, et donc productrice de rancoeur et de conformisme. Qui lui donnerait tort aujourd'hui, à ce grand scandaleux ? Pasolini était très lucide sur la déliquescence maffieuse de la politique italienne, sur les liens entre le pouvoir italien et la CIA. L'Italie, située sur un noeud géopolitique de la guerre froide, et dotée d'un grand Parti communiste, était un enjeu extrêmement sensible pour les deux blocs. Pasolini savait que le remplacement du fascisme par une démocratie chrétienne ne changeait pas grand chose aux rapports sociaux dans son pays. Mais il a aussi su sortir de cette analyse et voir tout de suite en quoi les transformations économiques allaient modifier son pays, jusqu'à produire une « humanité nouvelle ». Il en a été l'annonciateur isolé, hurlant. L'hédonisme s'est installé. Et oui, il menace le monde, la planète, et Pasolini le dit dès les années soixante.



Mais c'est d'abord la jeunesse qui préoccupe Pier Paolo Pasolini. Et les lettres luthériennes commencent comme une lettre de Sénèque à Lucilius : en l'occurrence un jeune qu'il imagine, nommé Genariello. Comme une leçon philosophique à un jeune crée de toutes pièces. Il est dur et sévère avec cette jeunesse qu'il ne voit pas réagir, qu'il voit devenir vulgaire au contact de la marchandise. de sa rage, ils les qualifient de « monstres ». Il n'aura pas ménagé les électrochocs. Il voit cette jeunesse, ne pas profiter de la libération sexuelle, mais en ressortir névrosée. Il pressent l'expansion de la drogue, qu'il définit comme « un ersatz de la culture« . le grand vide de civilisation cherche à se combler. La drogue y pourvoira.



Il y a cette idée, très contemporaine, aussi, chez Pasolini : la pauvreté n'est pas la pire des choses. C'est la misère culturelle qui lui donne toute sa laideur. En ce sens, lire Pasolini aujourd'hui est stupéfiant, tant ce qu'il décrit est encore pertinent pour comprendre nos maux, pour saisir la défaite populaire. Pour comprendre aussi, pourquoi le jihad est un absolu, comme la drogue, de substitution au vide :



» La culture des classes subalternes n'existe (presque) plus : seule existe l'économie des classes subalternes. J'ai répété une infinité de fois, dans ces maudits articles, que le malheur atroce, ou l'agressivité criminelle, des jeunes prolétaires et sous-prolétaires, provient précisément du déséquilibre entre culture et condition économique. Il provient de l'impossibilité de réaliser (sinon par mimétisme) des modèles culturels bourgeois, à cause de la pauvreté qui demeure, déguisée en une amélioration illusoire du niveau de vie« .

C'est terrible, d'avoir raison.
Lien : http://mesmilleetunenuitsali..
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J'ai eu l'impression de lire les aveux en forme de testament d'un homme orgueilleux sur ses pensées et sur ce qu'il croit avoir compris du monde. le ton, plutôt pédant, n'aide pas à accorder beaucoup de foi à toutes ces paroles puisque je dirais, à l'instar des gardiens qui tapent le carton dans la bibliothèque dans le film "Seven" et à qui l'inspecteur reproche de ne pas profiter de tout ce que leur offre cet univers préférant le jeu de cartes: "On sait ce qu'il faut savoir, nous : "Je sais que je ne sais rien".
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Pour les lecteurs étrangers à la politique politicienne d'Italie et pourtant soucieux de s'immerger dans la pensée de Pasolini, et notamment son intransigeance de catholique à l'encontre de la pseudo "Démocratie Chrétienne" des années 50-60, qu'ils préfèrent les "Ecrits Corsaires" à ces "Lettres luthériennes" qui sont certes écrites dans le même sillage, mais qui se réfèrent souvent à des affaires plus précises et quelque peu oubliées.
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Citations et extraits (28) Voir plus Ajouter une citation
Il est vrai que les puissants ont été dépassés par la réalité, avec leur pouvoir clérical-fasciste qui leur colle à la peau comme un masque ridicule ; mais les représentants de l'opposition ont été dépassés eux aussi par la réalité, avec sur leur peau, comme un masque ridicule, leur progressisme et leur tolérance.
Une nouvelle forme de pouvoir économique a réalisé à travers le développement une sorte fictive de progrès et de tolérance. Les jeunes qui sont nés et se sont formés pendant cette époque de faux progressisme et de fausse tolérance sont en train de payer de la manière la plus atroce cette falsification (le cynisme du nouveau pouvoir qui a tout détruit). Les voici autour de moi, une ironie idiote dans le regard, un air bêtement rassasié de tout, des attitudes de voyous offensifs et aphasiques - lorsqu'il ne s'agit pas d'une douleur et d'une appréhension, presque, de jeunes filles de pensionnat - avec lesquels ils vivent la réelle intolérance de ces années de tolérance.
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Je suis comme un Noir dans une société raciste qui a voulu se gratifier d'un esprit de tolérance. Autrement dit, je suis un "toléré".
La tolérance, sache-le bien, est toujours purement nominale. Je ne connais pas un seul exemple ni un seul cas de tolérance réelle. Parce qu'une "tolérance réelle" serait une contradiction dans les termes. Le fait de "tolérer" quelqu'un revient à le "condamner". La tolérance est même une forme plus raffinée de condamnation. On dit en effet à celui que l'on "tolère" - mettons, au Noir que nous avons pris comme exemple - qu'il peut faire ce qu'il veut, qu'il a pleinement le droit de suivre sa nature, que son appartenance à une minorité n'est pas un signe d'infériorité, etc. Mais sa "différence" - ou plutôt sa "faute d'être différent" - reste la même aux yeux de celui qui a décidé de le tolérer et de celui qui a décidé de la condamner.
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Il y a une dizaine d’années, le sens du mot « obéissance » et celui du mot « désobéissance » étaient profondément différents. Le mot « obéissance » désignait encore cet horrible sentiment qu’elle avait été durant des siècles de contre-réforme, de cléricalisme, de moralisme petit-bourgeois, de fascisme, alors que le mot « désobéissance » désignait encore ce merveilleux sentiment qui incitait à se révolter contre tout cela.
Cela, contre toute logique ce que nous appelons historique, a été balayé non par la rébellion des « désobéissants », mais par une volonté nouvelle des « obéissants » (j’insiste : la première véritable et grande révolution de droite).
Contre-réforme, cléricalisme, moralisme petit-bourgeois, fascisme, sont des « restes » qui gênent en premier lieu le nouveau pouvoir. Est-ce contre ces « restes » que nous luttons ? Est-ce aux normes de ces restes que nous « désobéissons » ?
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Chez les jeunes, le conformisme des adultes est déjà mûr, féroce, complet. Ils savent d'une manière très subtile comment faire souffrir les jeunes du même âge, et ils le font bien mieux que les adultes, parce que leur volonté de faire souffrir est gratuite : c'est une violence à l'état pur. Leur découverte de cette volonté est la découverte d'un droit. Leur pression pédagogique sur toi ne connaît ni la persuasion, ni la compréhension, ni aucune forme de pitié ou d'humanité. C'est seulement au moment où tes camarades deviennent tes amis qu'ils découvrent sans doute la persuasion, la compréhension, la pitié, l'humanité ; mais les amis ne sont tout au plus que quatre ou cinq. Les autres sont des loups et ils t'utilisent comme un cobaye servant à exprimer leur violence, et vis-à-vis duquel ils peuvent vérifier la validité de leur conformisme.
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La plupart des intellectuels laïcs et démocratiques italiens se donnent de grands airs, parce qu’ils se sentent virilement « dans » l’histoire. Ils acceptent, dans un esprit réaliste, les transformations qu’elle opère sur les réalités et les hommes, car ils croient fermement que cette « acceptation réaliste » découle de l’usage de la raison. (…) Je ne crois pas en cette histoire et en ce progrès. Il n’est pas vrai que, de toute façon, l’on avance. Bien souvent l’individu, tout comme les sociétés, régresse ou se détériore. Dans ce cas, la transformation ne doit pas être acceptée : son « acceptation réaliste » n’est en réalité qu’une manœuvre coupable pour tranquilliser sa conscience et continuer son chemin. C’est donc tout le contraire d’un raisonnement, bien que souvent, linguistiquement, cela en ait l’air. La régression et la détérioration ne doivent pas être acceptées, fût-ce avec une indignation ou une rage qui, dans ce cas précis, et contrairement aux apparences, sont des mouvements profondément rationnels. Il faut avoir la force de la critique totale, du refus, de la dénonciation désespérée et inutile.
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Vidéo de Pier Paolo Pasolini
PIER PAOLO PASOLINI / UNE VIE VIOLENTE / LA P'TITE LIBRAIRIE
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