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EAN : 9782823601657
168 pages
Editions de l'Olivier (21/08/2014)
3.95/5   508 notes
Résumé :
" Le goût du citron glacé envahit le palais de Jacob, affole la mémoire nichée dans ses papilles, il s'interroge encore, comment les autres font-ils pour dormir. Lui n'y arrive pas, malgré l'entraînement qui fait exploser sa poitrine trop pleine d'un air brûlant qu'elle ne parvient pas à réguler, déchire ses muscles raides, rétifs à la perspective de se tendre encore et se tendant quand même. "

Jacob, un jeune Juif de Constantine, est enrôlé en juin ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (119) Voir plus Ajouter une critique
3,95

sur 508 notes
Dans l'appartement, modeste mais bien tenu, de la famille Melki, à Constantine, la joie n'est pas souvent à l'ordre du jour. Les hommes, Haïm et son aîné Abraham, ordonnent, les femmes, Rachel et sa bru Madeleine, obéissent et se taisent. le seul rayon de soleil, c'est Jacob, le dernier né de Rachel, son fils chéri, sa réussite. Lui seul sait mettre de la gaîté entre ces murs où trop souvent résonne la fureur du père. Lui seul joue avec ses nièces, Fanny et Camille, les fait voler comme un avion. Lui seul sait trouver les excuses qui évitent à Gabriel, son neveu, les corrections que trop souvent il mérite. Lui seul voit la peine de Madeleine, séparée de sa famille restée à Tunis, esclave de sa nouvelle famille malgré ses huit mois de grossesse, mal-aimée par un mari autoritaire. Brillant, beau, généreux, Jacob a 19 ans en cette année 1944. Il sort à peine de l'adolescence mais sait qu'il doit répondre à l'appel de la France qui a besoin de troupes pour chasser l'envahisseur Allemand, là-bas, loin, en Europe. Jacob va faire ses classes, devenir un homme, un soldat. du désert algérien au Débarquement de Provence, de l'éblouissement à fouler le sol français, à la peur, aux tirs, à la perte de ses camarades, le voyage de Jacob dans la France en guerre est fait de découvertes et de pertes. Juifs comme lui, français et musulmans se battent pour sauver un pays qui n'a pas toujours voulu d'eux, apprennent la solidarité, savourent la gloire du libérateur et, dans le rude hiver alsacien, se souviennent de la chaleur de Constantine, de leur famille, de leur foyer. Pendant ce temps, en Algérie, les Melki suivent les actualités, imaginent les combats de Jacob et surtout attendent son retour.


En même pas 200 pages, Valérie ZENATTI réussit à nous transporter au coeur de l'Algérie française, au coeur de la famille Melki, au coeur de la guerre. Porté par le personnage lumineux de Jacob, ce roman est pourtant un livre de femmes, celles qui attendent, celles qui se soumettent, mais qui savent aussi se révolter, lutter, s'imposer. Concentré d'amour, de tendresse et de chaleur, Jacob, Jacob évoque pourtant des épisodes douloureux pour les juifs d'Algérie : leur statut qui change avec les lois vichystes, leur incorporation dans l'armée française et, plus tard, leur fuite devant le FLN. de la France, ils connaissent l'histoire et la géographie mais leur pays, c'est l'Algérie où pourtant on leur dira qu'ils ne sont pas chez eux. Déracinés, ils ont le droit ici, grâce à Valérie ZENATTI, de retrouver un peu de leur passé, des traditions, des odeurs, des saveurs perdues mais profondément inscrites dans leurs gènes. En refermant les pages de cette histoire, pleine de force et de sensibilité, on quitte à regret les Melki mais, comme eux, on garde au fond du coeur le souvenir de Jacob qui murmurait son prénom pour ne pas oublier qu'il n'était pas qu'un matricule. Puissant et bouleversant, à lire.
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Jacob, Jacob, un prénom à réciter comme un poème pour que jamais il ne s'efface, pour que toujours, Jacob soit présent.

Jacob a dix-neuf ans quand il s'engage sur le front durant la seconde guerre mondiale. Et laisse un vide immense pour sa famille qui voit en lui le soleil de leurs nuits. Jacob c'est qu'il est lumineux le brave garçon, il est drôle, intelligent, beau, aimant, Jacob il a tout un monde qui bat en lui. Difficile pour les siens de le voir partir. Alors Rachel sa mère va suivre toutes les actualités sur son poste télévisé. Elle veut savoir où il est son fils, elle veut être là avec lui.

Entre la peur des siens, Jacob apprendra la peur de la guerre, des ennemis, des bombes, des jours qui ressemblent à la nuit. Il trouvera du réconfort dans les bras de Louise, il écoutera la petite voix qui viendra lui rappeler sa vie près des siens.

Une jolie plume où le sujet est traité avec sobriété, j'aurai aimé le connaître davantage Jacob, j'aurai aimé rire avec lui, qu'il m'apprenne à faire des ricochets au bord de l'eau...
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Valérie Zenatti signe avec son roman : Jacob Jacob une histoire bouleversante, qui nous émeut au-delà des frontières, d'un pays, de l'histoire d'un pays : l'Algérie.
Jacob, c'est d'abord l'histoire d'un juif pied-noir qui vit dans une pays, une ville qu'il aime : Constantine .
Il est jeune, très jeune, dix -neuf -ans quand il est enrôlé dans l'armée française en 1944. Il participe dans un premier temps au débarquement de Provence.
Comme le dit si bien Valérie Zenatti, quel étrange paradoxe :
" Il sera le défenseur d'une Europe qui avait tué ou laissé mourir ses juifs mais qui l'avait bien voulu, lui , pour la délivrer, alors que trois ans avant son incorporation on ne l'avait pas jugé suffisamment français pour l'autoriser à franchir les portes du lycée d'Aumale "
Jacob n'aura jamais vingt ans, quelle émotion en lisant ces lignes, cette incantation à laquelle il se livre, répétant son nom: Jacob Jacob pour s'endormir.

" Alors quand les secondes d'insomnie résonnent dans son crâne comme la scansion d'une défaite, que l'angoisse du jour qui se lèvera sur une nuit blanche étouffe sa poitrine, pour se bercer et réussir à s'endormir enfin, Jacob répète doucement son prénom : Jacob , Jacob, Jacob
Après la Provence, sa destination finale sera l'Alsace où Jacob meurt presque d'une balle perdue.
Ce livre en dit long, très long sur l'horreur de la Guerre, sur les massacres et les ruines de ceux qui restent.
Ce livre en dit long sur la bêtise humaine, sur les préjugés raciaux qui s'abat sur la vie des hommes.
Ce livre est un pavé jeté contre la haine des hommes, un baume donné à tous ceux qui doivent fuir, s'exiler dans une autre vie.

Un petit récit mais un immense roman.
Je le dédie à mon père qui a aujourd'hui 87 ans , né à Constantine, une très belle ville que je ne connais pas
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Un ouvrage court et lumineux lu d'une traite qui nous transporte de Constantine la blanche, resserrée autour de son rocher, fière de son pont suspendu et des quatre autres ponts tendus autour d'elle, ville forteresse amoureuse des gorges en Algérie, aux cieux funestes et opaques des terres d'Alsace en guerre, à l'hôpital de Colmar, oú le 20 janvier 1945, Jacob, jeune juif Algérien , amoureux des vers de Victor Hugo, issu d'une famille très modeste , ne participera pas à la bataille qui durera trois semaines......
Valérie Zenatti rend un hommage vibrant à son jeune oncle? ( roman familial?) disparu trés loin des siens pour libérer la France, un pays dont Rachel,sa mére , aimante,illettrée, dont le courage force l'admiration du lecteur, comprend si peu la langue.....
Malgré la longueur des phrases , ce roman sensible et puissant, poétique et vibrant , nous fait revivre Jacob, candide,sincère et doux, parti faire ses classes puis son régiment, envoyé en France combattre les allemands, titulaire de son bac à une époque où ses frères, pauvres et frustes et les autres membres de sa famille n'avaient pas eu accès aux études.....un trés beau personnage, malgré le désespoir, la tristesse de cette famille oú les hommes étaient durs, les femmes obéissaient et se taisaient, à la fois fortes et soumises....je n'en dirai pas plus.Jacob dit "Jacob Jacob" apportait la joie aux siens, chacun attendait le retour de ce fils prodige , qui faisait leur fierté .....
Un roman puissant et bouleversant pour lutter contre l' oubli où les questions se bousculent , souvent sans réponses....un ton juste et empathique pour les personnages, on va garder longtemps en soi le doux souvenir de Jacob! Une époque qui prélude à de plus forts tourments encore et des déracinements qui vont apporter la violence et chambouler tant de familles de l'autre côté de la Méditerranée ! Peu d'ouvrages explorent cette période, je vais aller à la recherche des autres récits de Valérie Zenatti que je ne connais pas ! Un livre où la grâce surprenante de l'écriture (qui peut ne pas plaire à tout le monde) donne à la force des sentiments une couleur et une saveur particulières!
A lire!


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Rechercher ses racines, remonter le cours du temps pour faire revivre les êtres disparus, encore chéris dans la mémoire collective d'une famille, par les photos ou les derniers mots d'une grand-mère.

En 1944, les alliés viennent de débarquer en Normandie, la guerre va vers son dénouement et l'Algérie va contribuer à la libération de la métropole par l'envoi de troupes, des jeunes hommes, parfois à peine sortis de l'adolescence.

A Constantine, la ville des ponts, c'est l'heure de la mobilisation pour Jacob. Laissant dernière lui une famille juive algérienne dans l'attente des nouvelles, il va connaitre les combats du débarquement en Provence, la liesse des villes libérées, l'amour dans les bras d'une fille, l'hiver et la mort de compagnons en Alsace...

Un destin qui remet en mémoire les images du film Indigènes, aux combattants venus des colonies, sanglés dans leurs uniformes pour combattre le froid, sonnés par le fracas des combats, ballotés par la peur de la mort, la chance de survivre, le déracinement et la fascination d'un monde aux codes différents de leurs racines.

En marge de la guerre, c'est aussi le récit extrêmement touchant d'une vie de famille vécue de l'intérieur, un quotidien simple et modeste, meurtri par les aléas : attente du retour du combattant, difficulté de subsistance, règles de vie familiale où la femme est assujettie à un univers masculin, indigence pour exprimer des sentiments d'amour et de peine.

Une famille comme tant d'autres, pieds noirs enracinés dans la culture musulmane, qui devra faire dans un futur encore lointain, un choix de déracinement, emportant les souvenirs d'un pays qui fut le sien, et où restent des tombes oubliées.

Une écriture ample, aux phrases longues et denses, qui donne à la narration un rythme de doux ressac, de mer qui ondule lentement, charriant les faits, des brides de pensées, des bulles de réflexion. Puis le rythme s'accélère dans l'urgence des combats, les mots se bousculent. La plume est sans contexte le bijou de ce livre, récompensé par le Prix du Livre Inter 2015.

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critiques presse (2)
Lexpress
06 octobre 2014
L'auteur d'Une bouteille dans la mer de Gaza brode une superbe tapisserie, ressuscitant, par la grâce de sa langue, au rythme des mélopées arabes, la vie d'une famille juive dans l'Algérie des années 1940 et les combats éprouvants des troupes menées par le général de Lattre de Tassigny.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Telerama
01 octobre 2014
Si la romancière a trouvé le ton juste pour dire la cacophonie destructrice qui peut tonner dans une cervelle d'homme en guerre, c'est qu'elle écrit à hauteur d'enfant. Avec cette lucidité impulsive, ce regard à la fois immédiat et distant, cette sensibilité aux goûts, aux formes et aux couleurs des sentiments.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (103) Voir plus Ajouter une citation
À la caserne de Touggourt, on prend à peine le temps de répondre à la femme qui s’exprime moitié en français moitié en arabe, passe du vouvoiement ou tutoiement de manière incohérente, appelle « mon fils » le lieutenant qui s’est arrêté un instant pour l’écouter, touché, elle lui évoque sa grand-mère corse, elle est à la recherche du sien, de fils, il est tirailleur, Jacob Melki, il a une très belle voix et des cheveux châtains, une cicatrice sur le crâne côté gauche, il s’est cogné au coin de la table quand il avait un an et demi, il était sage mais plein de vie aussi, il avait dansé en battant des mains, perdu l’équilibre, c’est comme ça qu’il s’est cogné, il a beaucoup saigné, ça saigne tellement la tête, j’ai couru avec lui dans les bras jusqu’au dispensaire sans m’arrêter, sans respirer, maintenant il est soldat français, tu ne sais pas où il est, mon fils ? Le lieutenant demande à Rachel la date d’incorporation de Jacob, elle ne comprend pas le mot incorporation, il explique, quel jour votre fils est-il parti à l’armée ? Le 22 juin, à neuf heures il est parti, je ne l’ai pas vu depuis, je languis beaucoup. Le lieutenant se doute que Jacob est déjà prêt à accoster en Provence, il n’en dit rien Rachel, il pense qu’elle serait heureuse de savoir qu’elle peut le retrouver quelque part, elle vivra quelques jours encore en l’imaginant toute proche et non pas de l’autre côté de la mer face à l’ennemi allemand dont on dit que la cruauté est sans limites, il saisit un bordereau de l’armurerie, le feuillette, concentré, dit, Jacob Melki, oui, voilà, il est à la caserne d’Aumale.
La caserne d’Aumale, comme le lycée d’Aumale, c’est bon signe, songe Rachel, Jacob est protégé par le duc d’Aumale. Il avait de si bonnes notes, toujours dans les premiers, premier prix de récitation et deuxième prix de composition, il a pourtant raté l’école pendant deux ans quand on l’a renvoyé en 1941 parce que la France avait décidé que les juifs d’Algérie étaient de nouveau des Indigènes. Le directeur du lycée avait convoqué Jacob dans son bureau avec d’autres camarades dont la sonorité du nom ne laissait planer aucun doute sur leur qualité d’éléments irrémédiablement étrangers à la France. Je suis désolé, avait-il dit, ce sont les directives, les enfants juifs n’ont plus le droit de fréquenter nos établissements. Jacob l’avait regardé comme si on lui avait découvert une bosse dans le dos, il avait baissé la tête en murmurant mais comment va faire alors pour étudier, le directeur avait écarté les bras en lançant un coup d’œil en biais sur le portrait du Maréchal Pétain accroché près de la fenêtre. Dans la soirée, le professeur d’anglais, Monsieur Adda, était venu frapper à leur porte. Rachel était gênée de le recevoir dans un appartement aussi petit où on se cogne les uns aux autres, elle avait envoyé Madeleine et les enfants dans la chambre à coucher, Monsieur Adda avait fait semblant de ne rien remarquer, s’était assis sur une chaise comme s’il était dans la salle des fêtes de la mairie et avait dit : ce décret est une infamie. Tous avait hoché la tête vigoureusement sans comprendre, devinant qu’ils ne pouvaient qu’être d’accord avec le mot et le ton catégorique qui l’imprégnait. Nous aussi on nous a chassés du lycée, ils ne veulent plus de juifs, ni comme professeur ni comme élèves, alors on a décidé de continuer à donner des cours aux enfants, ça se passera chez moi, tu viendras tous les matins à neuf heures, avait-il précisé en fixant Jacob, et on leur prouvera que les juifs tiennent par-dessus tout à l’instruction. Ainsi, en étudiant quelques heures par jour dans l’appartement de Monsieur Adda, entassés dans la salle à manger avec ses camarades, Jacob avait appris tout le programme de seconde, les yeux rivés sur le dessin du tapis qui aimantait son regard, et l’année suivante, retournant au lycée après le débarquement américain, il avait même eu le premier prix d’anglais, à force de le chanter, il savait bien le parler, ça lui permettra sûrement de trouver une bonne situation, à mon Jacob, ma vie, Dieu le protège là où il est, à la caserne d’Aumale, maintenant la France ne le rejette plus, au contraire, elle le juge suffisamment français pour porter l’uniforme de son armée, il est lavé de la honte d’avoir été chassé de l’école.
Page 52 – 54
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Le latin, comme un jeu, comme une langue qui s’amuse, qui étonne mon père, fait sourire ma mère, à quoi ça sert le latin, à être instruit, à comprendre le français, autrement, il est la loupe qui permet de distinguer les subtilités de la langue, il est le soleil qui fait miroiter les éclats de la langue.
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Les visions se bousculent en lui le remplissent d'une excitation presque insupportable, la beauté grave du lieu dilate sa poitrine, il court sur la passerelle métallique en direction du pylone ouest, un camion passe en soulevant sous ses roues un vacarme de tôle entrechoquée, transmettant un deuxième frisson à Jacob, qui descend vers la ville, foulées régulières accordées à sa respiration, les mots martèlent ses tempes, quand les résultats du baccalauréat, arriveront, je serai, déjà, parti, l'entrainement, les classes, ils appellent ça, les classes, à dix-huit ans, on passe, d'une classe aux classes, mais ça n'a rien à voir, plus jamais, assis, à écouter monsieur Baumert, lire Hugo, balzac, Flaubert, plus jamais, le latin, dominus, domine, dominum, domini, domino, domino, le latin, comme un jeu, comme une langue qui s'amuse, qui étonne mon père, fait sourira ma mère, à quoi ça sert le latin, à être instruit, à comprendre le français, autrement, il est la loupe, qui permet de distinguer, les subtilités de la langue, dit monsieur baumert, il est le soleil, qui fait miroiter, les éclats de la langue, il est une autre façon de dire le monde, que l'arabe, la langue de ma mère, la langue de mon père, que le français, la langue venue parler ici, depuis bientôt cents ans... (p. 12-13)
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A la caserne de Touggourt, on prend à peine le temps de répondre à la femme qui s'exprime moitié en français moitié en arabe, passe du vouvoiement au tutoiement de manière incohérente, appelle "mon fils" le lieutenant qui s'est arrêté un instant pour l'écouter, touché, elle lui évoque sa grand-mère corse, elle est à la recherche du sien, de fils, il est tirailleur, Jacob Melki, il a une très belle voix et des cheveux chatains, une cicatrice sur le crâne côté gauche, il s'est cogné au coin de la table quand il avait un an et demi, il était sage mais plein de vie aussi, il avait dansé en battant des mains, perdu l'équilibre, c'est comme ça qu'il s'est cogné, il a beaucoup saigné, ça saigne tellement la tête, j'ai couru avec lui dans les bras jusqu'au dispensaire sans m'arrêter, sans respirer, maintenant il est soldat français, tu ne sais pas où il est mon fils ?
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Jacob était fait de ces mots transmis de génération en génération, prières, bénédictions, exclamations, il était fait aussi des silences si nombreux autour de l'amour, de la mort, et il était curieux qu'il ait rencontré les deux à des milliers de kilomètres de là où il était né, détaché des siens, défenseur d'une Europe qui avait tué ou laissé mourir des juifs mais qui l'avait bien voulu, lui, pour la délivrer, alors que trois ans avant son incorporation on ne l'avait plus jugé suffisamment français pour l'autoriser à franchir les portes du lycée d'Aumale. Et les questions que cette situation posait, Jacob n'avait pas eu le temps de les méditer, de les appréhender. Elles auraient pu être des sujets de dissertation, il y aurait réfléchi à froid, avec la distance des années qui assourdit les sons, estompe les couleurs, mais fige parfois les événements et les êtres dans un lieu invisible, débarrassés de toute matérialité, de toute temporalité, réduits à leur essence même d'émotion et de pensée liées, de trace. Il aurait cherché dans sa mémoire des citations apprises en cours de philosophie, de rhétorique, de littérature. Il aurait éprouvé de nouveau, en l'approfondissant, cette exaltation qui s'était emparée de lui lorsqu'il avait découvert le territoire sacré de la parole intérieure et les chemins que la langue orale et la langue écrite peuvent esquisser pour qui les emprunte. Et au fur et à mesure que le récit des années de guerre se serait imposé, dévoilant les déportations, les camps, l'inhumanité de ces années-là, la fierté d'avoir libéré l'Europe aurait perdu de son éclat. Il se serait dit, accablé, nous avons gagné la guerre, oui, mais pour tant et tant d'hommes, de femmes et d'enfants, nous sommes arrivés trop tard. Il aurait alors pris conscience qu'il avait fait partie de l'histoire, acteur, indéniablement, mais pas si puissant qu'il avait cru l'être dans la pinède en feu sur les hauteurs de Toulon quand il avait tiré pour la première fois aux côtés des GI's, et porté Bonnin sur son dos pendant des centaines de mètres. Il se serait interrogé sur le miracle mille fois répété qui lui vait permis de se soustraire à la mort. Pouvait-on voir en cela le hasard, la chance ? Peut-être. La découverte du drame tellurique auquel il avait mis fin avec ses camarades se serait faite par à-coups, au hasard d'une lecture, d'une rencontre, d'un souvenir, parce que même après cette guerre qui aurait exigé une redéfinition totale des rapports entre les êtres, personne n'avait eu la capacité d'arrêter le temps, d'imposer le silence, la réflexion, les événements se succédaient, la propagande les mettait en scène pour les actualités, les mouvements saccadés de la vie détournaient chaque jour le regard vers un autre point.
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Vidéo de Valérie Zenatti
Dans Qui-vive, la narratrice, Mathilde, semble perdre pied dans un monde toujours plus violent et indéchiffrable. Perdant le sommeil, puis le sens du toucher, elle s'arrime à des bribes de lumière des feuillets retrouvés à la mort de son grand-père, une vidéo de Leonard Cohen à Jérusalem, les réflexions douces-amères de sa fille adolescente et décide subitement de partir en Israël pour tenter de rencontrer ce qui la hante. de Tel-Aviv à Capharnaüm puis à Jérusalem, ses rencontres avec des inconnus ne font qu'approfondir le mystère. Trajectoire d'une femme qui cherche à retrouver la foi, ce roman initiatique interroge avec délicatesse le sens d'une vie au sein d'un monde plongé dans le chaos.
À l'occasion de ce grand entretien, l'autrice reviendra sur son oeuvre d'écrivaine où l'enfance et la guerre tiennent une place particulière, ainsi que sur son travail de traductrice.
Valérie Zenatti est l'autrice d'une oeuvre adulte et jeunesse prolifique. Elle reçoit en 2015 le prix du Livre Inter pour son quatrième roman, Jacob, Jacob (L'Olivier, 2014), et le prix France Télévisions pour son essai Dans le faisceau des vivants (L'Olivier, 2019). Son premier roman adulte, En retard pour la guerre (L'Olivier, 2006) est adapté au cinéma par Alain Tasma et réédité en 2021. Elle est également la traductrice en France d'Aharon Appelfeld, décédé en 2018, dont elle a traduit plus d'une dizaine de livres.
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